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L'Algérie, un démarrage en côte

par Chaalal Mourad

«En 1999, l'Algérie avait besoin de changer le regard que lui portait le monde. Bouteflika a été rappelé au service pour cette mission. Mettre la capitalisation diplomatique des années 70/80 au profit du pays. Le regard que lui portent ses propres enfants, importait peu. Pourtant, tous sont unanimes : l'Algérie est bloquée.»

Une société humaine est à l'image d'une entreprise économique qui a contracté une police d'assurance. En difficulté, celle-ci recourt à ses assureurs de l'intérieur ou de l'extérieur pour couvrir et supporter tout ou une partie des dégâts, y compris ceux occasionnés par des catastrophes naturelles, des incendies ou de vol. Lorsque les voyants virent au rouge, certaines entreprises en difficultés recoururent à des incendies ou des vols combinés pour se faire rembourser, camoufler, effacer toute trace de mauvaise gestion ou de vol organisé. Par surcroît, de coupables, ils redeviennent victimes.

Le pays a vécu beaucoup de secousses, certaines étaient spontanées, d'autres préméditées. Les mouvements spontanés étaient, eux aussi, récupérés en aval. Le but, brûler ce qui pouvait être brûlé pour effacer toute trace de la gestion aléatoire, des choix politiques ou économiques insensés qui ont été derrière ces faillites. En 1963, Ben Bella promulguait la nationalisation des terres agricoles coloniales et l'instauration des domaines autogérés. Réforme agraire, on appelait cela. En 1971, Boumediene étend le concept aux terres non coloniales, c'est la révolution agraire (RA). L'Algérie fut donc lancée dans une voie non capitaliste par l'aile progressiste du régime. La RA a viré à l'échec, tout comme l'industrie industrialisante, inscrite au S.A.D (Stratégie Algérienne du développement) qui promettait l'industrialisation du pays en moins de deux décennies.

La S.A.D postulait que " seul l'État est capable de déclencher un mécanisme de stimulation économique, au moyen de l'établissement de certaines industries de base? S.A.D n'était en fait qu'une tentative de mise en œuvre d'un mode cumulatif, ayant pour objectif le réinvestissement d'un excédent externe (la rente pétrolière) pour développer un mode de production interne, via l'industrie lourde, sous contrôle total de l'État. Voulant socialiser l'économie, l'État n'a fait que créer sa propre bourgeoisie. Des cadres qui s'approprièrent les moyens de production collectifs. C'est le règne de l'administratif et de la gestion verticale qui pompait partout, au nom d'un intérêt général et d'un collectivisme trompeur.

" Khalatha tesfa ", semer le désordre pour rétablir l'ordre, c'est la règle d'or de toute gestion verticale qui arrive aux limites de ses possibilités. Quand elle n'arrive plus à satisfaire, en même temps, le loup et le berger. Se retrouvant face au mur, elle crée des conflits internes, des faux débats pour tenir la société en écart des questions essentielles que pose le développement dans toutes ses dimensions. Mais surtout, pour échapper à tout questionnement. En Algérie, on confond entre une remise à zéro et une mise à jour d'actualisation.

Tout au long de son histoire, l'Algérie a produit une multitude de Nérons qui voulaient brûler tout pour rebâtir sur les décombres de leurs propres échecs et reproduire à l'infinie leurs inepties. Des plantons, aux PDG., des agents de bureaux, aux ministres. De simple gendarmes ou policiers aux généraux. Quand ça ne marchait pas ; on détruisait ce qu'on pouvait comme un vulgaire château de cartes et on refait tout à zéro, sans se soucier de la facture économique, politique ou même sécuritaire que cela pouvait engendrer. On efface toute trace de la gestion antérieure et on recommence à zéro. Dans un régime qui a toujours prisé le changement dans la continuité, cela sonnait faux. Tant que ça pompe " Rebhna we Ekhsarna, kif kif", une mentalité qui nous a coûté cher.

En 1986, les indicateurs économiques étaient au rouge. Ajoutée à cela une crise pétrolière sans précédent, un verrouillage politique qui ne laissait aucune chance au peuple de jouer un rôle dans la politique de son pays. " Ne pensez pas! C'est le parti qui pense pour vous! ". L'explosion en a été la réponse, un certain 5 octobre 1988. Des sociétés économiques ont été brûlées, saccagées et avec elles la comptabilité et la traçabilité se sont évaporées. En 1991, on a préféré effacer toute trace du FIS, en montée fulgurante lors d'un vote sanction. Faire table rase du processus électoral qui a été lancé par feu Chadli et remettre les compteurs à zéro. Quitte à faire basculer le pays dans une violence inouïe, dont on vit, les conséquences psychologiques à ce jour. Des choix qui visaient "théoriquement ", à sauver le caractère "pseudo laïc", non déclaré, d'un État cosmopolite et pluriel. Finalement, l'Algérie n'a pas pu gagner en démocratie plus qu'elle n'a gagné en laïcité. Ce piratage de la laïcité par la raison d'État a été catastrophique.

La gestion sécuritaire de la crise des années 90 a été néfaste, puisqu'elle s'était inscrite, elle aussi, sous cette logique de la table rase. Cette dernière qui visait à corriger manu militari les dégâts politiques perpétrés par les politiciens de l'époque, en créant des partis prohibés par la Constitution. Une logique d'éradication a été opérée des deux côtés, faut-il le rappeler! C'est un invariant bien Algérien qui consiste à cultiver la fâcheuse habitude de faire et défaire les choses au gré des envies, sans réfléchir aux conséquences. Cette mentalité "DZ" (Dezzou Emaahom!), est l'autre règle d'or des nouveaux Néron's "made in Algeria". On fait une chose puis son contraire, puisque le prix politique ou économique à payer n'a jamais été personnel, mais toujours collectif.

Vue sur cet angle-là, la politique Algérienne est une " marche de l'ivrogne ". Elle est faite d'une succession de pas aléatoires, effectués " au hasard ". On l'appelle aussi : promenade aléatoire ou "Random Walk". Ces pas aléatoires sont de plus en plus décorrélés les uns des autres. Cette propriété est appelée caractère markovien, du nom du mathématicien Markov. Elle signifie qu'à chaque instant, le futur du système dépend de son état présent, mais pas de son passé, même le plus proche. Autrement dit, le système " perd la mémoire ", à mesure qu'il évolue dans le temps. Un jour on déclare une guerre, le jour suivant on la refroidit. Autant dire : No event, No comment !

Si on devait représenter le régime Algérien à une machine, celui-ci, fonctionnerait comme une pompe qui procède de temps à autre à ce que l'on a appelé "des coups de bélier". Des coupures brusques de quelques secondes dans l'écoulement, dues à un changement de régime ou fermeture brutale de la vanne. Un phénomène transitoire qui provoque une coupure dans l'écoulement, suivie d'une hausse brutale de pression qui finit par chasser dehors, le fluide qui est en amont.

Le régime lance ses préposés sur des dossiers ponctuels, puis il s'en débarrasse brutalement sans explications aucune. Ce qui s'est passé avec Tebboune, nous rappelle le cas d'Amar Saidani. Lancé contre certaines personnalités, mais lorsqu'il a généralisé son discours à l'ensemble du monde de l'argent, en disant : "Kilou el boultique wela el habette yerho", brusquement, sa feuille est tombée de l'arbre de la vie politique, lui qui était à l'apogée de sa carrière et craint par tous ses détracteurs. Poussé à la démission dans une scène surréaliste et théâtrale lors du congrès du comité central du FLN, en octobre 2016. Tous les deux étaient donc, en fin de mission et qu'au lieu de détruire les directives, comme dans le film "mission impossible", on préfère se débarrasser des exécutants eux-mêmes.

Quel que soit le modèle mathématique ou physique que l'on puisse adopter pour construire une simulation de la gouvernance en Algérie, nous déboucherons, inexorablement, sur deux schémas aussi divergents l'un que l'autre. Le premier : nous sommes sous pilotage automatique, en présence de copilotes complètement ivres, avec le risque d'un crash imminent. Le second : nous sommes face à une manœuvre de stratégie de haut niveau qui a su écarter un Premier ministre encombrant et zélé et qui commençait à accumuler une popularité inquiétante, dans un régime où c'est très dangereux de trop briller.

Vu donc la cascade des directives et de contre-directives qui s'enchaînent en boucle, on a l'impression que le centre de décision dans ce pays vacille dangereusement et ce n'est pas bon pour le pays. Finalement, avec un réservoir rempli au plein, une route descendante et un vent en poupe, on a loupé le démarrage. Maintenant que la route prend de la côte et avec un réservoir presque vide, va-t-on pouvoir démarrer ?