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La réalisation de l’ODD 14 : Le rôle de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer

par Miguel de Serpa Soares*

Les océans, les mers et les zones côtières sont un élément intégré et fondamental de l’écosystème de la planète et sont essentiels au développement durable. Ils recouvrent plus des deux tiers de la surface de la Terre et représentent 97 % de l’eau de la planète. Les océans contribuent à l’éradication de la pauvreté en offrant l’accès à des moyens de subsistance durables et à des emplois décents. Plus de 3 milliards de personnes dépendent des ressources marines et côtières pour vivre. De plus, ils jouent un rôle essentiel pour assurer la sécurité alimentaire mondiale, la santé humaine et le bien-être. Ils sont aussi le principal régulateur du climat mondial, constituent un puits important de gaz à effet de serre, sont de gigantesques réservoirs de biodiversité et jouent un rôle majeur dans la production de l’oxygène que nous respirons.

Les océans, les mers et les ressources marines sont de plus en plus menacées par les activités humaines, notamment l’augmentation des émissions de CO2, le changement climatique, la pollution marine, l’extraction non durable des ressources marines ainsi que les modifications physiques et la destruction des habitats marins et côtiers. La Première Évaluation mondiale intégrée du milieu marin, achevée en 2015 sous l’égide du Mécanisme de notification et d’évaluation systématiques à l’échelle mondiale de l’état du milieu marin, y compris les aspects socioéconomiques, dresse un sombre tableau de l’état de nos océans. Les pressions anthropiques exercées sur les écosystèmes marins, y compris l’acidification des océans et le changement climatique, diminuent la résilience des océans et de leurs ressources ainsi que la capacité à fournir de manière continue des biens et des services liés aux écosystèmes. L’Assemblée générale des Nations Unies a pris connaissance avec préoccupation des conclusions de l’Évaluation : avec les pressions simultanées auxquelles les océans font face, les limites ont été atteintes ou sont près de l’être. Ce retard dans la mise en œuvre de solutions aux problèmes identifiés qui menacent de détériorer les océans entraînera, inutilement, une augmentation des coûts environnementaux, sociaux et économiques. La communauté internationale reconnaît de plus en plus qu’une économie fondée sur les océans – une économie «bleue» pour les générations actuelles et futures – doit conserver les océans, les mers et leurs ressources, et les gérer et les utiliser d’une manière durable, avec la participation de tous les secteurs, et être fondée sur la coopération et la coordination.

Ces défis ne sont pas nouveaux. Chaque année, ils sont au centre des travaux de l’Assemblée concernant les océans, le droit de la mer et les pêches durables. Des plans d’action élaborés pour traiter les questions mentionnées plus haut font aussi l’objet de débats dans des forums plus spécialisés et se reflètent dans les engagements pris par les États Membres et les acteurs pertinents dans les conclusions des grandes conférences sur le développement durable.

Il convient de rappeler que l’importance des océans aux fins du développement durable est largement reconnue par la communauté internationale et est un élément intégral des engagements fondamentaux pris par les États Membres dans ce domaine. Cette reconnaissance est exprimée dans le chapitre 17 d’Action 21, le Plan de mise en œuvre de Johannesburg et le document final de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable Rio 20 «L’avenir que nous voulons».

Parmi les 17 objectifs de développement durable (ODD) fixés dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030, adoptés par l’Assemblée générale en septembre 2015, un objectif distinct vise à répondre, entre autres, à la nécessité d’utiliser et de conserver de manière durable la vie marine : l’objectif 14 «Conserver et utiliser de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable». Les cibles de cet objectif visent à prévenir la pollution marine et à la réduire; à renforcer la gestion durable des océans et la protection des écosystèmes marins et côtiers; à examiner les effets de l’acidification des océans; à réglementer l’exploitation et à mettre fin à la surpêche, à la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, et aux pratiques de pêches destructrices; à conserver les zones côtières et marines; à augmenter, pour les petits États insulaires en développement et les pays les moins avancés, les avantages économiques découlant de l’utilisation durable des ressources marines; et à renforcer les moyens de mise en œuvre, y compris améliorer les connaissances scientifiques, le transfert des technologies marines et la mise en œuvre du droit international comme l’indique la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982.

On appelle fréquemment cette Convention «la constitution des océans». Elle établit, comme l’a reconnue l’Assemblée générale, le cadre juridique qui régit toutes les activités liées à l’océan, y compris la conservation et l’utilisation durables des océans et des mers ainsi que de leurs ressources. En ce qui concerne la souveraineté des tous les États, elle reconnaît l’importance d’établir un ordre juridique qui facilitera la communication internationale et favorisera les utilisations pacifiques des mers et des océans; l’utilisation équitable et efficace de leurs ressources; la conservation de leurs ressources biologiques; et l’étude, la protection et la préservation de l’environnement marin. À cette fin, elle établit un équilibre délicat entre la nécessité de promouvoir le développement économique et social par l’utilisation des océans et de leurs ressources et la nécessité de conserver et de gérer ces ressources de manière durable. Elle vise aussi à équilibrer les droits et les obligations des États côtiers avec ceux des autres États. Elle comprend des dispositions liées aux droits des pays dans certaines circonstances, comme les États sans littoral, ainsi que des dispositions importantes concernant le règlement pacifique des différends.

En tant que cadre, la Convention devait être complétée par des règles plus détaillées adoptées dans le cadre d’organisations intergouvernementales compétentes, y compris des organisations régionales. La coopération est donc un élément central. L’Accord relatif à l’application de la Partie XI de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 (l’Accord relatif à l’application de la Partie XI) ainsi que l’Accord aux fins de l’application des dispositions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer relatives à la conservation et à la gestion des stocks de poissons dont les déplacements s’effectuent tant à l’intérieur qu’au-delà de zones économiques exclusives (stocks chevauchants) et des stocks de poissons grands migrateurs (l’Accord relatif aux stocks de poissons) reflètent la capacité de la communauté internationale à coopérer au développement des dispositions de la Convention, à combler les lacunes et à examiner les problèmes émergents. À cet égard, il convient de mentionner le processus en cours institué par l’Assemblée générale par la résolution 69/292 sur l’élaboration, dans le cadre de la Convention des océans, d’un instrument juridiquement contraignant sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale.

La Convention intègre les trois dimensions du développement durable – social, économique et environnemental – et établit le cadre juridique pour le développement durable des océans et des mers. Elle traite un vaste éventail de questions comme la délimitation et le régime juridique des diverses zones maritimes, y compris le plateau continental; les droits et les obligations de la navigation; la paix et la sécurité; la conservation et la gestion des ressources marines biologiques; la protection et la préservation de l’environnement marin; la recherche scientifique marine; le développement et le transfert des technologies marines; ainsi que les activités menées dans les fonds marins situés au-delà de la juridiction nationale. Elle comprend aussi des dispositions importantes relatives aux migrations par voie maritime avec l’obligation de prêter assistance (article 98). L’Assemblée générale n’a cessé de souligner le caractère unitaire de la Convention et réaffirmé qu’il est d’une importance primordiale pour l’action et la coopération nationales, régionales et mondiales dans le secteur marin et que son intégrité doit être maintenue, comme il est aussi établi par la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement de 1992 dans le chapitre 17 d’Action 21.

L’introduction du chapitre 17 d’Action 21 confirme, en particulier, que la Convention établit les droits et les obligations des États et fournit l’assise internationale sur laquelle doivent s’appuyer les efforts de protection et de développement durable de l’environnement marin et côtier et de ses ressources. Le Plan de mise en œuvre de Johannesburg, adopté lors du Sommet mondial pour le développement durable en 2002, a invité les États à ratifier à la fois la Convention et l’Accord relatif aux stocks de poissons, ou à y accéder, et à les mettre en œuvre tout en reconnaissant le rôle de la Convention comme cadre juridique général pour toutes les activités liées aux océans. De son côté, la cible 14.c de l’ODD 14 traite de l’amélioration de la conservation et de l’utilisation durable des océans et de leurs ressources en application du droit international comme l’indique la Convention qui fournit un cadre juridique régissant la conservation et l’utilisation durable des océans et de leurs ressources, comme il est rappelé dans le paragraphe 158 de «L’avenir que nous voulons».

La mise en œuvre effective de la Convention et de ses accords de mise en œuvre sont donc une base essentielle de la réalisation de l’objectif 14 et des ODD connexes. Il est dans l’intérêt des États côtiers de renforcer leur législation nationale, en conformité avec la Convention, se rapportant à leurs zones économiques exclusives afin de réaliser pleinement les avantages de la Convention qui garantit les droits souverains des États côtiers à prospecter, exploiter, conserver et gérer les ressources naturelles, biologiques ou non, et concernant d’autres activités d’exploitation économique et de prospection de la zone. La réalisation de ces avantages peut permettre d’assurer la sécurité alimentaire et de répondre aux besoins nutritionnels, satisfaisant la demande en nouvelles sources de matières premières et d’énergie renouvelables et préservant le bien-être et les moyens de subsistance des communautés qui dépendent d’océans et de ressources en bonne santé pour prospérer.

Toutefois, malgré les progrès considérables faits dans la mise en place de ce cadre juridique et politique, des défis importants demeurent dans la mise en œuvre des instruments applicables existants, en particulier la Convention. Il est parfaitement reconnu que les problèmes des espaces marins sont étroitement interdépendants et doivent être considérés dans leur ensemble suivant une optique intégrée, interdisciplinaire et intersectorielle. En conformité avec la Convention, et comme l’a réaffirmé l’Assemblée générale, il est nécessaire d’améliorer la coopération et la coordination aux niveaux national, régional et mondial afin de soutenir et de compléter les efforts faits par les États pour promouvoir une gestion intégrée et le développement durable des océans et des mers.

Afin de favoriser la mise en œuvre des engagements pris, y compris ceux prévus par la Convention et ses instruments juridiques connexes, trois aspects fondamentaux peuvent être soulignés : la prise de conscience et l’approfondissement des connaissances scientifiques; le développement des capacités financières et de développement; et le renforcement de la mise en œuvre et de la coopération intersectorielle.

La prise de conscience de l’état de l’environnement marin et des engagements existants, ainsi que les mesures pouvant être prises pour améliorer l’état des océans, est une étape importante qui contribue à renforcer la mise en œuvre. À cet égard, l’approfondissement de nos connaissances des océans est une mesure essentielle. La recherche scientifique marine ainsi que l’échange d’informations et de données peuvent permettre de renforcer nos connaissances des océans et des mers et faciliter l’adoption de politiques. La Première Évaluation mondiale intégrée du milieu marin est un bel exemple de l’effort mondial mené par l’Assemblée générale pour améliorer l’interface science-politiques et s’assurer que les connaissances scientifiques contribuent à élaborer des politiques qui favorisent une gestion cohérente des océans.

La nécessité d’augmenter le financement et de renforcer les capacités est également soulignée. Les pays en développement, en particulier les petits États insulaires en développement et les pays les moins avancés, sont confrontés à des obstacles importants dans la gestion des espaces maritimes en raison du manque de ressources et de capacités. Dans de nombreux cas, les initiatives liées à l’océan souffrent d’un manque de financement soutenu, y compris en matière de renforcement des capacités. Des approches innovantes et un usage rationnel des partenariats pourraient permettre de surmonter ces obstacles.

Si nous voulons optimiser à long terme les avantages offerts par les océans et réaliser le développement durable, notre défi consistera à passer des paroles aux actes. À cet égard, la Conférence sur les océans, qui aura lieu au Siège des Nations Unies du 5 au 9 juin 2017, est appelée à jouer un rôle important.

*Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques et Conseiller juridique des Nations Unies ainsi que Conseiller spécial des Présidents de la Conférence sur les océans concernant les océans et les affaires juridiques.