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Emigration clandestine vers l'Italie: L'Algérie, un nouvel Eldorado des passeurs ?

par Yazid Alilat

L'Algérie est-elle devenue la nouvelle route de l'immigration clandestine vers l'Italie ? Pour une partie de la presse anglaise, relayée par les autorités italiennes, l'Algérie serait en train de devenir un point de passage privilégié de l'immigration, et une «nouvelle Libye». «L'Algérie risque de devenir la nouvelle Libye», avertissent certains titres britanniques, dont le ?Times', ?The Telegraph' et ?The Financial Times'.

Les trois titres, proches des milieux politiques conservateurs anglais et de la Finance, rapportent que près de 1.100 migrants ont transité en 2016 et 800 depuis le début de ?année 2017 par l'Algérie, vers l'Italie. «L'Italie a lancé l'alerte», écrivent ?The Times' et ?The Telegraph', sur la nouvelle route en Méditerranée qu'empruntent les réseaux de passeurs de migrants clandestins, à destination de la Sardaigne. «Depuis le début de l'année, environ 800 personnes ont quitté l'Algérie et ont atterri sur les côtes de la Sardaigne, après 24 heures de navigation sur de petits bateaux en bois», écrivent les deux titres selon lesquels «le gouvernement italien craint que le pays nord-africain ne remplace la Libye comme point de départ» de l'immigration clandestine vers l'Europe. De son côté, le ?Financial Times', la bible des milieux d'affaires de la City, rappelle, de son côté, que les arrivées d'immigrants clandestins de Libye ont diminué d'un tiers au mois d'août dernier par rapport à juillet. Quant aux mesures prises par l'Italie et l'Union européenne pour contrer le rush des immigrants et lutter contre l'immigration clandestine, elles n'ont pas encore donné plus de visibilité sur leurs résultats, estime le quotidien londonien. Pour autant, d'autres sources, dont le haut commissariat des Nations unies aux Réfugiés (UNHCR), estiment que les nouvelles routes de l'immigration clandestine vers l'Europe, via l'Italie sont au nombre de trois: à partir de l'Algérie, la Tunisie et la Turquie. Selon Federico Rossi, porte-parole du HCR pour l'Italie, qui a documenté les arrivées, au 6 septembre dernier, «les données des arrivées (de migrants, Ndlr) sont très variables, surtout à court terme». En fait, explique-t-il, les arrivées de migrants vers les côtes italiennes, en particulier la Sardaigne, dépendent de plusieurs facteurs, dont les données météorologiques, les points de contrôle sur les lieux de départ. «Pour les départs à partir de la Turquie vers l'Italie, ils augmentent ,généralement, pendant l'été»», explique t-il, indiquant qu'il s'agit d'Irakiens et d'Afghans naviguant sur des embarcations à voiles, et «ont une plus grande disponibilité économique.» Federico Rossi estime que «le déclin de la route, à partir de Libye est réel, mais la hausse du nombre d'autres itinéraires (de l'immigration clandestine) n'est pas encore structurelle, il est donc, trop tôt, pour comprendre ce qui se passera. Ce pourrait être juste une caractéristique des mois d'été», résume le porte - parole du HCR, en Italie. Si la baisse des arrivées de migrants clandestins, à partir de Libye est palpable, avec 11.000 arrivées, en juillet, en août, ces départs de Libye vers les côtes de la Sardaigne ont baissé à 2.000. Mais, cette baisse des arrivées à partir de la Libye, selon le HCR-Italie, a été accompagnée par une hausse des arrivées en Sardaigne à partir de la Tunisie, avec 166 clandestins en juillet et 366 en août qui ont rejoint l'île, et 153 arrivées en août à partir de l'Algérie. A partir de la Turquie, les arrivées de clandestins sur les côtes de Sicile se sont établies à 314 en juillet et 430 en août dernier, toujours selon le HCR-Italie, qui signale qu'il n'y a eu aucun passage d'immigrants à partir de la Grèce. Par contre, vers l'Espagne, à partir de l'Algérie et du Maroc, il y a eu 2.657 personnes qui ont fait la traversée au mois de juillet et 1.518 personnes en août, majoritairement des Subsahariens.

Par ailleurs, pour Stefano Argenziano, responsable du dossier des migrations pour Médecins Sans Frontières (MSF), «la nouveauté est la hausse des immigrants clandestins, qui prennent la mer en provenance de Tunisie». Pour lui, de tels mouvements migratoires en Méditerranée n'ont pas été «vus depuis les années 1990.» Il ajoute : «si partir d'Algérie est presque une tradition, avec des Algériens et des migrants du Sahel, quittant la ville d'Annaba, la route de la Tunisie à la Sardaigne et à la Sicile s'est développée depuis la mi-août près de la Libye.» Il s'agit donc, selon le représentant de MSF, de «comprendre si nous sommes confrontés à un phénomène temporaire ou structurel», car pour lui, «il est difficile de prévoir maintenant ce qui se passera, et beaucoup dépendra de la stabilité de la Libye et des pays de transit du Sahel». Des départs depuis la Tunisie se sont accentués, ces derniers jours, selon des ONG : mardi 5 septembre, 10 personnes ont été interceptées par les gardes-côtes tunisiens à Cap Zbib, près de Bizerte, qui étaient sur le point d'embarquer, illégalement, vers les côtes italiennes, et 7 autres personnes ont été arrêtées près de Sfax. Le lendemain mercredi 6 septembre, 10 jeunes âgés de 17 à 27 ans ont été interceptés près de Ras Jebel, alors qu'ils se préparaient à embarquer vers l'Italie. Et au cours du week-end, 16 Algériens sont arrivés à Cagliari et à Porto Pino, une petite plage de la Sardaigne. Préoccupée par la recrudescence des arrivées d'immigrants à partir de l'Algérie, et craignant que ce pays ne devienne une plate-forme d'immigration clandestine, utilisée par les réseaux de passeurs de Subsahariens, après le verrouillage des passages à partir de Libye, le ministre italien de l'Intérieur Marco Minniti s'est déplacé, dimanche dernier, à Alger.

Le ministre italien a rencontré dimanche son homologue algérien Nouredine Bedoui, puis le ministre des Affaires étrangères Abdelkader Messahel, et s'est entretenu, lundi, avec le Premier ministre Ahmed Ouyahia, sur la lutte contre l'immigration clandestine et le terrorisme. Selon un communiqué du Premier ministère, «l'audience a donné lieu à l'examen de l'état d'évolution des relations bilatérales, notamment la coopération sécuritaire, la lutte contre la criminalité transfrontalière et la circulation des biens et des personnes». De son côté, le ministre italien avait indiqué que son pays «travaille avec les autorités algériennes pour améliorer notre collaboration dans les cas d'immigration clandestine». La hantise des responsables italiens est que l'Algérie, comme la Tunisie, ne soient, dorénavant, les deux nouvelles portes sur l'Europe, après que les migrants subsahariens aient déserté la Libye, où ils sont exposés aux pires sévices, selon l'Organisation internationale des migrations (OIM). Durant ces trois dernières années, près de 150.000 Subsahariens sont parvenus à entrer en Europe en traversant la Méditerranée. Depuis le début de 2017, on estime à 26.886, le nombre de migrants arrivés en Italie, soit plus de 7.000 que le nombre enregistré, l'année dernière, sur la même période. Mais, depuis juin dernier, la route de la Libye a été fermée après un accord passé entre le gouvernement libyen et les autorités italiennes, le 21 mai dernier, qui ont fourni d'importants moyens matériels aux gardes-côtes libyens et les ont formés. Ainsi, depuis cet accord, quelque 6 000 candidats à la traversée ont été ramenés en Libye, tandis qu'au moins 1.244 autres sont morts ou disparus en mer, selon l'Organisation internationale pour les Migrations (OIM).