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Pouvons-nous sauver les récifs coralliens ?

par Carrie Manfrino*

D’après un rapport des Nations Unies, 70% des récifs coralliens dans le monde sont menacés : 20% ont déjà été détruits sans espoir d’amélioration, 24% risquent de disparaître et 26% supplémentaires sont menacés à long terme(1). Alors que 40% (3,1 milliards) de la population mondiale vit à 100 km d’un océan, l’effondrement des écosystèmes côtiers est particulièrement problématique. Les pertes importantes des écosystèmes des récifs coralliens sont donc aussi un problème économique et social(2). Les structures récifales protègent les communautés côtières des vagues lors des tempêtes, se transforment en sable qui se dépose sur les plages et sont une source importante de revenus pour le commerce de loisirs local. Les récifs coralliens sont aussi le vivier de médicaments du XXIe siècle. Des myriades d’organismes, y compris des éponges, des coraux et des lièvres de mer, contiennent des molécules ayant des propriétés anti-inflammatoires, antivirales, anti-tumorales et antibactériennes. De nouveaux traitements de la maladie d’Alzheimer, des maladies cardiaques et virales ainsi que de certaines inflammations sont développés à partir de ces molécules. L’effondrement des récifs coralliens a des répercussions importantes sur les océans, la population humaine et, d’ailleurs, sur la planète. Pour l’avenir, nous devons trouver les moyens de conserver ce qui reste, idéalement prendre des mesures audacieuses, décisives pour inverser la trajectoire tragique. Les solutions exigeront des innovations et des partenariats susceptibles de promouvoir les changements sociétaux nécessaires pour mettre un terme aux dégâts causés aux récifs coralliens et inverser la tendance.

Le temps joue contre nous, mais le Programme de développement durable des Nations Unies à l’horizon 2030 établit un plan pour la future protection des océans. Les objectifs de développement durable (ODD) mettent en lumière avec davantage d’acuité les ramifications économiques, sociales et culturelles de la baisse importante des populations de poissons, la fragilité des écosystèmes des récifs coralliens et l’érosion côtière due à l’élévation du niveau de la mer ainsi qu’à une mauvaise gestion(3). Par exemple, l’ODD 14 décrit la nécessité de réduire la pollution marine; de réglementer l’exploitation des poissons et de mettre un terme dans les plus brefs délais possibles à la surexploitation, à la pêche non réglementée et aux pratiques de pêche destructrices afin de restaurer le plus rapidement possible les stocks de poissons. L’objectif est de gérer et de protéger de manière durable au moins 10 % des écosystèmes marins et côtiers d’ici à 2020, de renforcer leur résilience et de prendre des mesures pour les restaurer.

Alors que 70 % des récifs coralliens ont déjà disparu ou sont menacés, une meilleure protection sera, cependant, nécessaire pour compenser les pressions de plus en fortes exercées par le changement climatique. Les coraux blanchissent suite à l’expulsion d’algues symbiotiques lorsqu’ils sont stressés. Des températures plus élevées que d’habitude à la surface de la mer pendant des périodes prolongées ont entraîné leur mortalité dans le monde, un phénomène qui, d’après les modèles climatiques, sera de plus en plus fréquent(4). Des études indiquent que les réserves marines gérées, où tout prélèvement est interdit et où 50 % des récifs sont protégés, sont vulnérables au réchauffement des mers, mais en mesure de se regénérer(5). Malheureusement, l’exemple de blanchissement le plus récent au sein de la Grande Barrière de corail illustre comment le changement climatique, causé principalement par des émissions de carbone anthropiques, détruit cet écosystème marin essentiel bien que protégé, même dans des lieux éloignés des populations humaines(6). L’Accord de Paris de 2015, adopté lors de la vingt-cinquième session de la Conférence des Parties à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 21), a marqué le début d’une ère nouvelle qui pourrait atténuer les effets des changements climatiques sur l’humanité, mais pas sur les coraux. Pour que les récifs puissent survivre, il faut s’attaquer résolument aux effets des changements climatiques afin que toutes les solutions proposées aient un effet sensible. Par quels autres moyens pouvons-nous régler ce problème complexe ? Considérons le paradigme extra-gouvernemental suivant : la collaboration des secteurs public et privé.

LE COLLOQUE «REPENSER L’AVENIR DES RÉCIFS CORALLIENS»

En juin 2016, un échantillon de scientifiques influents, spécialistes des récifs coralliens et en sciences sociales, des responsables de fondations, des directeurs d’organisations non gouvernementales, des responsables politiques et des membres du grand public se sont réunis à Londres à l’occasion du Colloque international «Repenser l’avenir des récifs coralliens», animé par son Altesse royale le Prince Edward, Comte de Wessex, le fondateur du Central Caribbean Marine Institute (CCMI). Le CCMI est un organisme non gouvernemental d’éducation et de recherche doté d’un centre dynamique à Little Cayman, dans les îles Caïmans. Soutenu principalement par des fonds privés, il travaille en partenariat avec les écoles locales de sorte que tous les enfants ont une meilleure connaissance des océans lorsqu’ils atteignent l’âge de 12 ans.

Ce colloque avait pour objectif d’établir un dialogue entre les experts du secteur public et du secteur privé en offrant diverses perspectives sur les mesures à prendre pour assurer l’avenir des récifs coralliens. L’accent a été mis sur la nécessité d’adopter une démarche plus progressive, plus ambitieuse et plus innovante à la fois pour assurer une protection immédiate et pour prévenir des pertes supplémentaires. Les points d’accord, de désaccord, les réactions inattendues et les conclusions du colloque peuvent être résumés dans le contexte de la COP 21 et de l’ODD 14. La principale conclusion a été que les solutions visant à assurer la protection des coraux doivent transcender rapidement les frontières sociales, économiques et culturelles. Les objectifs en matière d’émissions fixés à Paris lors de la COP 21 entraîneraient une hausse des températures d’ici à 2030 qui seraient dévastatrices pour les récifs coralliens(7). Il faudrait aussi que les recommandations de l’ODD 14 prennent en compte le niveau de destruction des récifs déjà en cours qui est causé par le changement climatique et les effets directs des activités humaines.

Si l’on veut élargir les zones protégées et éliminer les incidences négatives, il faudra examiner les problèmes humains au-delà des limites des zones protégées. La préservation dépend d’une gouvernance forte qui est souvent occultée par des intérêts privés. Un changement des comportements humains et des conditions qui les influencent, y compris la pauvreté et les effets de la mondialisation, serait une première étape nécessaire dans de nombreux domaines(8). Enseigner l’importance de la pêche durable et offrir des possibilités de développement des énergies renouvelables et de l’écotourisme sont des stratégies qui ont permis d’augmenter avec succès les taux d’emploi et d’améliorer l’assainissement tout en réduisant la pauvreté, la malnutrition et la pollution. Des solutions à long terme devraient permettre d’améliorer la condition des femmes dans les pays en développement qui soutiennent de manière significative la pêche marine et l’aquaculture en fournissant l’accès à des emplois.

Les stratégies de gouvernance descendantes pourraient être plus persuasives si l’on expliquait mieux aux communautés l’importance de la protection des récifs. Une bonne gouvernance pourrait effectivement réduire la surexploitation, éviter les dégâts causés par les ancres et éliminer les effets directs des activités humaines à condition que les questions humaines et la perception des communautés soient incluses comme éléments du plan(9).

La restauration des coraux par l’élevage ou la transplantation est souvent citée comme une solution possible, mais ne pourra être envisagée sérieusement qu’en éliminant les facteurs de stress qui ont conduit à leur disparition. L’exploitation et l’extraction destructrices, comme cela s’est produit en mer de Chine méridionale, doivent cesser. Il faut mettre un terme au déversement des eaux usées et des égouts dans les eaux côtières, une pratique qui entraîne la prolifération d’algues. L’arrêt du développement côtier non planifié, qui réduit la productivité des coraux due à une sédimentation excessive, jouerait un rôle important pour inverser le déclin des récifs dans certains lieux. Les conclusions et les recommandations du colloque sont présentées ci-dessous, quant au fond et en tant qu’exemple d’une collaboration productive entre les secteurs public et privé.

RÉSUMÉ DU COLLOQUE «REPENSER L’AVENIR DES RÉCIFS CORALLIENS»

• Le rythme du déclin des récifs coralliens est encore plus rapide que les trajectoires actuelles d’au moins une décennie.

• À l’avenir, les récifs seront très différents des récifs actuels dans leur structure et leur composition.

• L’objectif 14 du Programme 2030, qui vise à conserver au moins 10 % des mers côtières et marines, devrait être revu à la hausse concernant les récifs coralliens, étant donné que, cumulativement, 70 % des récifs sont menacés.

• Les effets du climat sur les récifs coralliens, en particulier l’augmentation rapide des températures à la surface de la mer, entraîneront la disparition de vastes zones de récifs qui n’auront pas le temps de se régénérer avant la survenue d’une nouvelle période de fortes températures.

• Les objectifs de l’Accord de Paris, adoptés lors de la COP 21 en vue de réduire les émissions de carbone, sont inappropriés. Les récifs disparaîtront avant que ces objectifs ne soient atteints.

• L’effondrement des récifs coralliens a des conséquences de grande portée pour les océans et les populations, les récifs étant reconnus comme des sentinelles qui protègent les communautés côtières.

• Face à la situation critique à laquelle font face les récifs coralliens, l’engagement du public est très faible, en particulier en comparaison des nombreuses autres crises environnementales.

Des changements sociétaux sont nécessaires pour que les écosystèmes des récifs coralliens continuent de fonctionner.

• Il a été observé que les militants et les responsables de campagnes s’adressaient souvent aux ministères de l’environnement lorsqu’ils proposaient des mesures visant à protéger les coraux alors qu’il aurait souvent été plus efficace d’impliquer les ministères des finances ou du développement, qui ont un plus grand pouvoir et un meilleur accès aux ressources.

NOUVELLES MESURES PRISES LORS DU COLLOQUE

• Lancer une action mondiale immédiate pour réduire le réchauffement de la planète au-delà des objectifs de la COP 21 est fondamental pour la survie des récifs coralliens.

• Créer un mouvement de grande visibilité visant à changer les comportements sociétaux afin de réduire les effets négatifs sur les récifs coralliens et adopter un mode de vie plus durable.

• Créer un groupe de défenseurs et une coalition d’entités déterminées afin de sensibiliser aux problèmes et prendre des mesures qui fourniront des solutions appropriées pour des régions spécifiques. Se concentrer sur les diverses questions des régions spécifiques.

• Inviter les dirigeants de l’industrie, les chefs d’État et les ministères des finances à participer aux discussions et éduquer, informer et élargir le dialogue.

• Prendre des initiatives lorsque les questions influant sur l’état des récifs coralliens attirent l’attention des médias ou des gouvernements.

• Participer aux débats sur le climat en tant que scientifiques et exiger de réduire plus rapidement les émissions.

• Rechercher des solutions nouvelles, innovantes, modulables dans les diverses disciplines scientifiques, incluant des solutions en matière de gestion et de politiques et élargir le dialogue et accroître la prise de conscience des questions et des solutions.

CONCLUSION

Puisqu’il semble que les récifs coralliens soient parmi les écosystèmes les plus menacés de la planète, des changements sociétaux sont indispensables pour réduire les effets des activités humaines sur leurs écosystèmes. Ce n’est plus un sujet de débat. Il est certain que la réalisation de l’ODD 14 d’ici à 2030 pourrait contribuer à améliorer les ressources océaniques. Des mesures pour protéger les grands prédateurs, recenser les principales espèces de poissons herbivores pour les protéger, mettre fin à la pêche destructrice, au canotage et à la plongée sous-marine et gérer l’exploitation des poissons qui vivent dans les récifs seraient bénéfiques. Mais il faut prendre des mesures plus actives et lancer une campagne d’information descendante beaucoup plus énergique afin de créer une planète neutre en carbone et protéger les récifs coralliens; sinon, nous créerons un cimetière marin.

*Est Présidente et Directrice de recherche et de conservation au Central Caribbean Marine Institute, à Little Cayman, dans les îles Caïmans

Notes
1- Département de l’information des Nations Unies, «Life below water: why it matters», 2016. Disponible sur le site http://www.un.org/sustainabledevelopment/wp-content/uploads/2016/08/14_W....
2- Biliana Cicin-Sain, «Objectif 14- Conserver et utiliser de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable» Chronique de l’ONU, vol. LI
n° 4 (2014). Disponible sur le site https://unchronicle.un.org/article/goal-14-conserve-and-sustainably-use-....
3- Département de l’information des Nations Unies, «Life below water:why it matters».
4- Reuben Van Hooidonk et al. «Local-scale projections of coral reef futures and implications of the Paris agreement», rapports scientifiques, vol. 6 (2016).
5- Carrie Manfrino et al., «A positive trajectory for corals at Little Cayman Island», PLOS One, vol. 8, n° 10: e75432 (2013).
6- Terry P. Hughes et al., «Global warming and recurrent mass bleaching of corals», Nature, vol. 543, n° 7645 (2017), pp. 373-377.
7- Déclaration consensuelle de l’ISRS sur le changement climatique et le blanchissement des coraux, octobre 2015, préparée pour la 21e session de la Conférences des Parties à la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, Paris, décembre 2015. Disponible sur le site http://coralreefs.org/wp-content/uploads/2014/03/ISRS -Consensus-Statement-on-Coral-Bleaching-Climate-Change-FINA L-14Oct2015-HR.pdf; Van Hooidonk et al. «Local-scale projections of coral reef futures and implications of the Paris agreement». Hughes et al. «Global warming and recurrent mass bleaching of corals».
8- Joshua E. Cinner et al., «Bright spots among the world’s coral reefs», Nature, vol. 535, n° 7612 (2016), pp. 416-419.
9- Rachel A. Turner et al., «Trust, confidence, and equity affect the legitimacy of natural resource governance», Ecology and Society, vol. 21, n° 3 (2016).