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Recrutement des enseignants par le ministère de l'Éducation nationale: Concours et compétences pédagogiques, où sommes-nous?

par Lardjane Dahmane *

L'Ecole algérienne représente l'épine dorsale de la Nation tant sur le plan socioculturel que sur le plan du développement socioéconomique. Les problématiques de notre école sont d'ordres notamment idéologique et politique comme dans la plupart des écoles du tiers monde, mais l'Ecole algérienne a souvent négligé, par le passé, la composante pédagogique lors du concours de recrutement comme outil de développement et de valorisation de l'acte d'enseigner en milieu scolaire.

Mais aussi, comme outil de sensibilisation et de conscientisation des futurs candidats à la portée des pratiques pédagogiques, notamment l'acte d'enseigner sur l'amélioration de la qualité des apprentissages.

Par ailleurs, afin de mieux répondre aux besoins actuels des systèmes de l'Education et des sociétés de savoirs, en Algérie et ailleurs dans le monde, les responsables de l'Education entreprennent de nécessaires réformes de leurs cursus d'études et de formation au niveau scolaire. De plus, le ministère de l'Education organise, selon ses besoins en ressources humaines, un concours de recrutement de futurs enseignants pour les trois cycles de l'Education. Ce concours, en collaboration avec la Fonction publique, est basé sur des épreuves écrites et orales. Le concours de recrutement porte sur les dimensions socioculturelles et psychologiques en éducation et non pas sur les dimensions essentielles en rapport avec leurs principales futures fonctions d'enseignants : la pédagogie en général et l'acte d'enseigner en particulier.

En effet, pour faire de nos écoles des institutions d'éducation et d'enseignement crédibles et innovantes, un point est souvent négligé, notamment, lors du recrutement : l'épreuve pédagogique. Il est reconnu que c'est par la pédagogie que l'Ecole algérienne construira les savoirs et favorisera des apprentissages centrés sur les apprenants. Dans les pays nordiques, l'épreuve du concours de recrutement porte, essentiellement, sur la dimension pédagogique. Cette dernière est le critère fondamental et la raison d'être principale du concours de recrutement pour enseigner dans le palier scolaire. Or, cette dimension pédagogique est absente dans les épreuves du concours en Algérie. L'absence de cette dimension pédagogique au concours de recrutement est préjudiciable à la qualité de l'acte d'enseigner en général et aux apprentissages centrés sur les élèves en particulier.

La plupart des futurs candidats sont issus du cycle universitaire et de différents domaines disciplinaires. Ces futurs enseignants n'ont pas eu de formation à la pédagogie scolaire ni à la pédagogie universitaire durant leur cursus de formation à des fins d'enseignements. En effet, ce n'est que récemment (arrêté 932 de juillet 2016) que le ministère de l'Enseignement supérieur a instauré l'accompagnement pédagogique pour les enseignants, nouvellement recrutés en milieu universitaire. Il faut attendre, encore, des années pour voir l'impact de cet arrêt sur la qualité des enseignements, la valorisation de l'acte d'enseigner et l'amélioration de la formation universitaire en général.

Enseigner dans les trois paliers de l'Education n'est pas aussi simple que l'on prétend, car l'enseignement en milieu scolaire est une activité beaucoup plus complexe. De plus, lors de l'embauche de nouveaux enseignants, l'organisateur du concours et la Fonction publique utilisent peu les critères et les moyens appropriés pour évaluer les habiletés d'enseignement des candidats. Par ailleurs, pour la constitution du dossier académique, il n'est nullement mentionné une recommandation aux futurs candidats de se doter ou de se procurer une certification à la pédagogie témoignant de leurs habiletés à enseigner. La même remarque est valable concernant la recommandation d'une certification à la pédagogie, en contexte de la formation continue, pour les enseignants en exercice et notamment à la pratique de l'acte d'enseigner.

Il est essentiel de doter les futurs candidats d'une double expertise tant disciplinaire que pédagogique pour espérer le renouveau de notre école. Il est important de promouvoir la sensibilisation des futurs candidats à la dimension pédagogique du concours comme critère de recrutement, de nomination et de titularisation. De plus, il faut conscientiser les candidats à la nécessité de s'interroger sur leur pratique pédagogique future, leur enseignement et sur l'apprentissage de leurs futurs élèves. La mise en œuvre du concept de sensibilisation, à la dimension culture pédagogique, lors du concours de recrutement est fondamentale pour valoriser, donner du sens et de la signification à l'acte d'enseigner, en milieu de l'Education.

Il faut d'emblée estimer les retombées de cette sensibilisation et conscientisation des futurs candidats à la dimension pédagogique au concours de recrutement, et il en est de même pour les enseignants nouvellement recrutés. En effet, il est fort probable que la majorité des futurs candidats et surtout des nouveaux enseignants observent un changement dans leur conception de l'enseignement et de l'apprentissage. Il est souhaitable que ce changement de conception aille de pair avec un changement de pratique pédagogique future.

Il est appréciable et souhaitable de préciser que les futurs enseignants de l'Education devraient être imprégnés et formés à la pédagogie après leur recrutement à travers l'organisation de séminaires de formation. Cette notion de séminaires de formation, en post-recrutement, est instaurée depuis des années par le ministère de l'Education. Mais hélas, la qualité des enseignements, des apprentissages et des évaluations, au sein de nos écoles, reste très critiquée par l'ensemble des partenaires sociaux du ministère de l'Education.

En effet, les séminaires de formations organisés par le ministère de l'Education font rarement partie d'un programme d'apprentissage à la pédagogie à l'acte d'enseigner qui est cohérent, c'est-à-dire, qui réponde aux exigences d'une planification méthodique des enseignements, des apprentissages et surtout, qui « contextualise », adéquatement, les enseignements en tenant compte des particularités des futurs enseignants de l'Education. Les connaissances pédagogiques ainsi acquises par les futurs enseignants, lors de ces séminaires, se traduisent difficilement sur le terrain par la transformation des attitudes, des pratiques et des approches pédagogiques.

Il est important de signaler, d'emblée, que ce n'est pas l'expertise ou les connaissances disciplinaires des futurs candidats qui sont mises en cause, mais beaucoup plus les pratiques d'enseignement et des stratégies d'encadrement pédagogique des apprentissages des élèves. Déjà, beaucoup d'enseignants enseignent selon un modèle traditionnel basé sur la transmission des connaissances en absence de support pédagogique adéquat. De plus, l'acte d'enseigner est improvisé, voire peu planifié et fait, parfois appel au bon sens et à l'intuition pour enseigner.

La plupart des futurs candidats au concours et des enseignants de l'Education, en exercice, sont très motivés à prodiguer des enseignements et des apprentissages de qualité à leurs élèves, mais ils n'utilisent pas les bons moyens pour y parvenir. Par moyens, on fait allusion surtout aux soutiens et conseils pédagogiques pertinents en vue d'améliorer leur pratique enseignante. En effet, les futurs candidats et les enseignants de l'Education sont amenés à appliquer et intégrer l'approche par compétence comme outil de développement des apprentissages chez les élèves, à concevoir, à superviser et encadrer des projets en équipe, à organiser des ateliers et des séances d'apprentissages par problèmes. Ces activités et pratiques pédagogiques ont un impact direct et important sur les enseignements, l'évaluation et finalement sur la qualité des apprentissages.

Un point important à soulever dans cette contribution, le rôle de l'inspecteur de l'Académie. Son rôle et sa dénomination prêtent, déjà, à confusion, car sa responsabilité n'a rien avoir avec les fonctions de pédagogue ou de soutien pédagogique tel que connu dans le milieu de l'Education. Il est perçu comme un contrôleur des pratiques pédagogiques plus qu'un formateur, un facilitateur ou un guide pédagogique auprès des enseignants.

Pour des apprentissages de qualité, centrés sur le développement de compétences chez les élèves, les futurs candidats devront, déjà, se former d'une façon autonome ou de bénéficier d'une formation ciblée sur les pratiques pédagogiques, et notamment à l'acte d'enseigner. De plus, les enseignants en exercice auront besoin de réseau de partage de leurs vécus d'enseignants et de leurs expériences professionnelles, en milieu scolaire. En effet, selon Elbe « enseigner et apprendre sont des activités interchangeables, on ne peut enseigner sans apprendre et on ne peut apprendre sans enseigner ».

Le ministère de l'Education est-il si insensible à la dimension pédagogique, au concours, comme outil de sélection et de recrutement des futurs enseignants ? Est-il si réfractaire au changement et à l'innovation pédagogique en contexte de l'Enseignement scolaire ? Et pourtant, la pédagogie et l'acte d'enseigner représentent les facteurs essentiels capables de créer les conditions nécessaires pour que les enseignants de l'Education contribuent à l'émergence d'une culture pédagogique, au sein des établissements scolaires, mais aussi de l'émergence d'une société plus prospère et de bien-être par le développement des compétences pour les besoins de la société en général.

La valorisation de l'acte d'enseigner, en milieu de l'Education signifie, également, encourager le développement de compétences et des habiletés d'enseignement, en mettant à la disposition des futurs candidats, les moyens de se former et de se perfectionner en pédagogie et à l'acte d'enseigner, bien avant leur recrutement. De plus, la dénomination, le rôle pédagogique et le statut de l'inspecteur d'Académie doivent être revus et revisités. Il est, également, essentiel à ce que le ministère de l'Education révise les normes de sélection des futurs enseignants, tout en intégrant la certification ou la formation à la pédagogie et à l'acte d'enseigner, comme critère de recrutement, de nomination et de titularisation.

*Conseiller et concepteur pédagogique