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Mourir de chagrin

par El Yazid Dib

Les pluies d'automne ne sont pas au rendez-vous malgré un remaniement ministériel. Les lilas ne fleurissent plus sur des balcons dédiés à des soucoupes parabolaires malgré les longs programmes du recasement social.

Alors que dire de la climatisation artificielle très conquérante en la fuite des douceurs vespérales et des brises nocturnes ? du mauvais débit d'internet par-devant l'afflux tsunamique des réseaux sociaux.

Pourquoi mourir de chagrin quand le chagrin n'est qu'une expression passagère ? Une simple réaction certainement due à une action de même force et même intensité ? Ça ne sera qu'une simple question de physique et non pas un supplice métaphysique. Ne faudrait-il pas prendre son fou rire, à éclater complètement ses poumons quand la télé ne vous offre que des motifs tenaces pour être tous rigolos. On peut bien rire de son sort, de celui de sa nation après avoir longtemps psalmodier ses angoisses et attendu sempiternellement sa régénérescence. Moudre son noir dans un coin du pays reste la seule thérapie disponible dans la pharmacie politique. La république n'est ni un canal de règlement de compte, ni un mur des lamentations et la mission publique n'est ni une série de moqueries, ni un jeu à cache-cache.

La vie comme une politique quelconque n'est le monopole de quiconque. N'attendez pas l'agonie pour crier le désarroi de son âme. Ne suppliez personne ; une fois que le calvaire supporté est en voie de s'achever. Restez zen et faites de ce périlleux silence qui assassine vos entourages une clameur assourdissante. A votre tour aussi de cultiver un nouveau jardin rempli de magnanimité et de philanthropie.

A l'image d'un prophète présageant en fédérateur et arrosé de mansuétude, il n'aurait cet homme, ce croyant puissant que l'amour à planter, que l'amour à cueillir. Que ceux qui pensent détenir les cieux ou disposer des averses, du foncier, du pèlerinage, des billets de banque, du pouvoir et de l'opposition aient un océan dans le cœur et une vaste prairie dans l'iris. La compassion n'est-elle pas parfois un regard attentif posé sur une voix qui prend peur et évite de s'exclamer ?

La société s'édifie par l'homme, par son épreuve et ses convenances. L'effroi et la joie se produisent là où s'exultent la rancune et la foi. Un enfant qui a faim n'a pas besoin d'aller se confesser au pharmacien pour qu'il dise au boulanger de lui filer un morceau de mie ou une croûte de pain. Ses yeux expriment son estomac, ses distorsions font le reste. Et il sait à l'enseigne la bonne adresse. Un peuple qui appréhende son devenir n'absout pas ses appréhensions par l'égrenage des longs chapelets ou dans la liturgie des ablutions. C'est la marche qui réduit la longueur des tunnels et déloge les ténèbres. Alors ? À quoi bon se nicher dans un confessionnal, s'abriter sous une chapelle ou s'accouder à un mihrab si toutes les demandes d'absolution se limitent à des promesses humaines? Dieu est aussi dehors. Il s'adore et s'implore partout. Il n'aime pas les maisons closes. Il a aussi sa page facebook qui s'affiche sans connexion sur toutes les poitrines, véritables portails inviolables et hautement sécurisés. Lui, n'a nul besoin d'une fibre optique ou d'une ligne spécialisée. Juste un clic labial et vous y êtes.

A la longue et face à l'hilarité quotidienne ; Il n'est plus possible de savoir taire toutes ces colères nées dans des lits adultérins. La confiance en soi ou envers l'autre ne se donne plus en frais comptant et en monnaie toute fraiche. Elle s'amenuise au fur et à mesure que naissent dans ses entrailles les pires suspicions et les drôles trahisons.

Il n'est d'épouvantable société que celle où l'humanité s'enfuit et s'éloigne de ses rebords. Il est de ces comiques situations qui font endommager l'air des gens au lieu de chercher à ne les rendre qu'heureux. Que l'homme, qui se plait dans ses forces et s'éprend de ses suppositions; lève sa main et dans une immense posture s'exhorte à plus de cœur et de bienveillance ! Malgré l'amertume des évidences et la défection des vertus, la réalité est dans ce globe mi-impur où seul le toupet des groupes accroît la vie des moribonds. Heureusement que dans chaque patrie, village, endroits; il existe des nécropoles qui embellissent l'urbanité et soulagent le martyre des âmes épuisées.

Si le destin n'a pas de pitié, l'on ne peut chercher clémence chez ceux ou celles qui n'ont plus de pitié. Que faire quand l'envie de pleurer vous submerge, si ce n'est rire et sourire jusqu'à frémir de douleur ou gémir de plaisir ? Cette vie de si bas, ses tentations, ses prétentions, la croyance de son infinité arrivent toujours à dévorer en profondeur l'âme des êtres les plus généreux. Sa corrosion s'acquiert au moment où des portes de fausse félicité semblent vous être ouvertes nonobstant tout excès de prudence. Ce n'est pas parce que l'on est promoteur immobilier que la certitude de mourir dans un palais y est. Elle n'est pas non plus debout cette certitude; que l'on va périr dans un trône du seul fait que l'on soit investi d'une puissance de prérogatives publiques, d'un mandat parlementaire ou d'une accointance solidement épaulée. Alors puisque mourir de vivre nous réclame, vaudrait mieux souffler la quiétude et respirer en derniers instants les bontés d'un trajet qui incessamment est obligé de finir. Lire un bon livre finira au moins le non-sens de mourir plus bête.