Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Management de l'innovation et innovation managériale (Suite et fin)

par Mourad Hamdan *

L'innovation managériale: plus facile à dire qu'à faire

La première étape de l'innovation managériale est sans conteste l'acceptation que cet exercice est très difficile, et ce, pour 4 principales raisons:

1. L'ancrage des certitudes: Difficile à remettre en cause et considéré à tort comme vérité absolue !

2. La peur: de perdre le contrôle, du pouvoir, de faire des erreurs. Penser autrement, c'est forcément prendre un risque, tout simplement car il n'est pas possible de se référer à quelque chose d'existant. Et dans notre pays, le risque est synonyme de danger. Dans d'autres, la prise de risque est perçue comme du courage et une opportunité.

3. La pression sociale: Beaucoup de personnes renoncent à une idée au motif qu'elle est dite irréaliste ou qu'elle sera rejetée par les autres. Or l'innovation managériale est avant tout une affaire de conviction et ne doit pas dépendre du regard des autres dont la tendance est, dans notre pays, plutôt au pessimisme, à la critique et au conformisme (jusqu'à ce que l'on ait la preuve que ça marche !).

4. Les limites du raisonnement: Dur de penser autrement. Comment faire ? Il existe une croyance populaire: la créativité est un don et dépend de la personnalité. Heureusement, cette pensée est totalement fausse. La créativité est une capacité, donc elle s'apprend !

S'engager dans des démarches d'innovation managériale suppose avant tout d'apprendre à désapprendre !

Les 5 étapes pour réinventer son management

1. Eprouver réellement et sincèrement le besoin de changer

Il existe 2 principales raisons pour lesquelles les entreprises s'engagent dans ce type de démarche:

- La première est en réaction face à un danger, une crise ou une contrainte d'envergure qui remet en cause la pérennité de l'entreprise.

- La seconde est le fruit d'une conviction d'un leader «iconoclaste».

Quoi qu'il en soit, et compte tenu des impacts que cela va avoir sur tous les acteurs de l'entreprise, la remise en cause des pratiques managériales ne doit pas être un effet de mode !

2. Communiquer ouvertement et avec transparence son intention

L'innovation managériale est avant tout d'ordre culturel. Elle impacte les valeurs, les croyances, les comportements et modifie généralement en profondeur les pratiques héritées du siècle dernier.

Pour susciter l'adhésion, il importe d'être le plus clair possible sur les raisons de cette évolution, d'expliquer son ambition et de les communiquer avec authenticité et transparence pour pouvoir inviter les salariés à s'impliquer dans cette évolution.

Bien évidemment cela suscitera des réactions de la part des plus sceptiques mais il vaut mieux traiter les réactions que d'être modéré sur sa vision. Par expérience, les personnes qui n'adhéreraient pas à cette nouvelle vision (et notamment les cadres) n'auront d'autre choix que de quitter l'entreprise. C'est pourquoi les proches collaborateurs doivent absolument se positionner très rapidement sur leur niveau d'adhésion au fonctionnement et à la culture d'entreprise.

3. Créer le besoin de changement

Cette étape consiste à autoriser et encourager l'expression de problèmes que tout le monde connaît mais qui sont rarement évoqués ouvertement (Qu'est-ce qui nous empêche de? ? Quelles difficultés rencontrons-nous ?). En d'autres termes, l'entreprise doit inviter les salariés à formuler leurs problèmes, insatisfactions, objections ou doutes, puis y répondre de façon claire et objective.

Il se peut que certaines questions restent sans réponse. Peu importe, le plus important n'est pas de trouver la bonne solution mais de modifier la culture de manière à transformer les problèmes en opportunités d'amélioration de l'existant.

Le plus important à ce stade est de concentrer les problèmes et insatisfactions dans un espace dédié de manière à en avoir progressivement la maîtrise plutôt que de les laisser se répandre dans les couloirs ou autour de la cafétéria.

Pour soutenir cette dynamique, il est préférable de préparer les managers (via un séminaire ou des groupes de travail) à adopter une nouvelle posture et notamment à quitter le costume de l'omniscience pour endosser celui de «manager coach» (accompagnement et soutien).

Libérer la parole suppose 2 qualités. Tout d'abord le courage. Il n'est pas évident pour le management d'entendre des critiques et d'être remis en cause. Mais la critique n'est pas forcément un jugement. Elle peut être aussi un point de départ d'un renouveau. Il faut accepter que tout ne soit pas parfait ou que ce qui était un atout par le passé puisse devenir une limite pour le futur. La seconde qualité est l'humilité, à savoir accepter et faire accepter le principe que le management ne sait pas tout. Le mythe du manager omniscient est à l'origine de beaucoup de problèmes dans nos entreprises (démotivation du manager, évitement de certains problèmes, critiques de collaborateurs, déresponsabilisation suite à une erreur?). Oser dire à son équipe qu'on ne sait pas mais que l'on compte trouver une solution ensemble est par expérience extrêmement libérateur pour les managers? et les collaborateurs.

4. Mobiliser l'intelligence collective

Résoudre les problèmes ou trouver de nouvelles idées ne dépend plus de modèles élaborés par des consultants de renom (il n'y en a plus) mais repose à présent sur la capacité des entreprises à faire émerger et valoriser les idées du plus grand nombre.

Cette étape consiste à élargir le «champ d'expression des idées» à tous les niveaux de l'entreprise. Elle suppose de s'émanciper du paradigme selon lequel seuls les experts ou la hiérarchie ont de bonnes idées.

Des entreprises telles qu'Orange, Google ou Lego ont su innover en permettant au plus grand nombre d'exprimer leurs idées par le biais des systèmes informatiques dédiés, soit internes (IdClic d'Orange, GoogleIdeas?), soit externes (IdeaStorm de Dell, Mindstorm de Lego?).

Il est fréquent que cette étape génère une certaine résistance de la part du management qui se voit en quelque sorte dépossédé de son pouvoir d'initiative, voire décisionnel. Tel fut le cas pour une grande entreprise dont le PDG a validé une idée exprimée par un technicien qui a remis en cause un projet d'un dirigeant (et qui a fait gagner des millions à son entreprise).

Tout le monde ne voudra pas jouer le jeu mais tel n'est pas l'objectif. Le but est de permettre aux alliés et à ceux qui ont des idées de pouvoir s'exprimer et s'impliquer dans le projet d'entreprise. Convertir les 61% de non engagés en engagés tout en laissant les opposants là où ils sont serait un résultat louable. Lorsque la «masse critique de succès» sera atteinte, les opposants à la nouvelle culture managériale n'auront plus d'autre choix que d'adhérer ou de se démettre. La force du collectif est nettement supérieure à celle du statut. L'intelligence collective est le moteur le plus puissant des transformations car, sur le plan opérationnel, toutes les interventions efficaces se fondent sur elle !

5. Instituer des communautés

Décloisonner sans pour autant modifier l'organigramme s'obtient par l'instauration de «communautés d'engagement». En d'autres termes mobiliser les collaborateurs, sur la base du volontariat (c'est primordial), sur un certain nombre de thèmes, que ce soit pour renforcer les liens ou le partage d'expériences autour de missions communes, de problématiques sans solutions connues, d'expérimentations ou encore pour créer de la convivialité autour de sujets extra-professionnels.

Outre le décloisonnement, cette démarche permet de renforcer l'agilité par la mise en relation de collaborateurs volontaires et bienveillants. Elle représente une bonne opportunité pour les entreprises qui seraient freinées par des acteurs réfractaires au changement.

Réinventer son management: les vraies fausses bonnes raisons de ne le pas le faire

Si la plupart des entreprises dynamiques avouent être séduites par toutes ou partie de ces innovations, la quasi-majorité recule lorsqu'il s'agit de s'engager dans la réinvention de leurs pratiques, au motif que:

- «elles ne sont pas encore prêtes» (lorsqu'elles le seront, ne sera-t-il pas trop tard ?),

- «chez eux c'est différent» (en quoi ? Si les métiers ne sont pas les mêmes, les modes de collaboration sont quasiment identiques !)

- «cela va être compliqué de faire changer les mentalités» (c'est là tout l'enjeu),

- «les instances représentatives du personnel s'opposeront très certainement aux changements de pratiques managériales» (pourquoi les représentants du personnel verraient un inconvénient à renforcer le bien-être, la confiance, l'autonomie ou encore la cohésion de ceux qu'ils représentent ?),

- «on n'a pas de budget» (en quoi demander à des collaborateurs d'évaluer leurs managers nécessite de l'argent ?)

DRH, acteur majeur de l'innovation managériale. Oui, mais comment ?

Si l'innovation est traditionnellement dédiée à la fonction R & D, le pilotage des évolutions (propres à chaque entreprise, en fonction de l'écart entre sa culture actuelle et de son ambition de changement), réformes, révolutions managériales sera très probablement confiée à la fonction RH.

La remise en cause des pratiques actuelles sera très certainement au début mal perçue par un certain nombre d'acteurs de l'entreprise. Certains dirigeants n'accepteront pas de voir leur autorité modifiée, certains experts ne vivront pas bien le fait que tout le monde puisse mettre un nez dans leurs pratiques, certains partenaires sociaux craindront de voir leur représentativité s'évaporer au détriment d'un rapprochement entre encadrement et collaborateurs, certains qualiticiens opposeront une «non-conformité» aux principes de la qualité, les organisateurs contesteront la suppression des outils qu'ils auront mis des années à instaurer et certains juristes déclencheront l'alerte rouge par rapport au code du travail, conventions collectives ou accords d'entreprises.

Bref, ce changement sera sans doute le plus difficile que les DRH auront à piloter, tout simplement parce que cette discipline vient contredire bon nombre de paradigmes managériaux fortement ancrés depuis plus d'un siècle. Si la fonction RH se verra confier le pilotage de ces (r)évolutions, elle ne pourra pas se positionner en expert et son rôle sera principalement de créer les conditions d'une réforme culturelle, de fédérer, d'encourager, de rassurer, de faciliter, de soutenir et de valoriser les succès, de relativiser les échecs.

Les DRH devront se montrer exemplaires et progressivement céder la place à des dirigeants convaincus qui deviendront les principaux «maîtres à bord» et les ambassadeurs de nouvelles pratiques, plus démocratiques, plus collaboratives. Il leur faudra faire preuve à la fois d'audace et d'humilité, d'enthousiasme et de patience, de structuration et de souplesse et surtout d'inventivité. Mais n'est-ce pas ce à quoi était destinée cette fonction ?

Nouvelle équation de l'engagement durable

La pérennité de l'entreprise repose sur la mobilisation de «l'intelligence collective» et l'engagement de chacun. Face au désengagement croissant des salariés, les entreprises cherchent désespérément à les reconquérir.

Elles misent sur le renforcement de leur bien-être au travail et veillent à ce qu'ils deviennent plus sollicités et mieux associés à leur avenir commun. La question qui se pose alors est: Comment motiver et fidéliser les salariés dans le contexte actuel ?

Il est des mauvaises questions qui engendrent de mauvaises réponses. Celle-ci en fait partie. En effet, l'objectif d'une entreprise n'est pas de «conserver» ses collaborateurs mais de mettre en place des processus qui favorisent l'implication et l'engagement de manière durable, ce qui est très différent. Si ces salariés sont fidèles, ils ne sont pas pour autant impliqués. Alors se pose une autre question: Comment donner envie à des collaborateurs performants de s'engager sur le long terme ? La nouvelle équation de l'engagement durable est: Ed = SxVxP

Contrairement à la fidélisation, l'engagement durable concilie le besoin de l'entreprise (performance) et de chaque salarié (épanouissement). Pour que cette implication dure dans le temps, cela nécessite 3 conditions:

- S pour donner du Sens:

Pour mobiliser une personne, il est indispensable de lui donner une direction, un but à atteindre.

Il ne s'agit pas ici, comme nous l'entendons régulièrement de parler d'objectifs quantitatifs mais plutôt de s'exprimer en termes de «raison d'être», de «rêve», d'«ambition». Les jeunes ingénieurs sont attirés par Google car ils contribuent à «Organiser le monde de l'information et le rendre universellement accessible et pertinent».

Comme l'a précisé Nietzche, «Donner un pourquoi aux personnes leur permet de s'accommoder du comment». Par ailleurs, dans un monde devenu court termiste, le sens permet de se projeter sur plusieurs années. Penser en termes de sens doit donc se faire à tous les niveaux.

- V pour partager des Valeurs:

Compte tenu de l'accélération des changements, le management par les valeurs et les principes de collaboration devient plus efficace que l'encadrement par les règles et les procédures.

Nombreuses sont les entreprises qui affichent leurs valeurs. Il en existe deux catégories:

- les valeurs terminales, orientées clients : qualité de service, disponibilité, beauté?

- les valeurs instrumentales, orientées salariés: solidarité, réactivité, innovation?

Nombreuses sont aussi les entreprises qui disposent à présent de chartes au sein desquelles figurent des valeurs. Rares sont celles qui les déclinent et les font vivre au quotidien. Prôner une valeur telle que l'esprit d'équipe alors que le système de rémunération est individuel et où l'organisation est fortement cloisonnée n'a aucun sens, sauf celui de provoquer le désengagement.

La valeur revêt une autre acception. Celle de l'intérêt et de l'utilité que représente le travail confié à un collaborateur. En quoi répond-il à son projet personnel ? En quoi s'inscrit-il dans sa stratégie de carrière ? Si vous n'avez pas de réponses à ces questions, il vous sera impossible d'évaluer le niveau d'implication dans la durée.

La relation entre employeurs et salariés sera d'autant plus forte et plus pérenne qu'elle sera basée sur un système de valeurs partagé, réaliste et opérationnel (quel qu'il soit).

- P pour éprouver du Plaisir:

De manière très schématique, il existe 2 catégories de personnes dans le monde: celles qui recherchent le bonheur et celles qui veulent évitent le malheur. Il importe de savoir à qui vous avez à faire (si possible, évitez de recruter la deuxième catégorie).

Confier un travail qui mobilise les sources de plaisir à un collaborateur augmente son désir de s'engager et sa satisfaction une fois le travail réalisé. Il ne s'agit donc pas de confier des activités au regard de ce que la personne sait faire (logique compétences) mais de ce qu'elle aime faire (logique talents).

Cela suppose que de nouveaux référentiels voient le jour. Si vous voulez garder une personne à potentiel dans la durée, il faut être en capacité de lui confier des activités qui mobilisent ses zones de plaisir, sans pour autant que ce soit le même métier.

Manager par l'aimer-faire permet d'élargir les perspectives d'évolutions professionnelles transversales, pour peu que le niveau de connaissances requis par les différents métiers soit accessible. Pourquoi serait-il impossible, alors que l'on est comptable, de devenir commercial, RH ou logisticien ?

L'entreprise qui saura mettre en place cette nouvelle équation (Engagement durable = Sens x Valeur x Plaisir) augmentera le niveau d'adhésion, de fierté et d'engagement de ses collaborateurs sur le long terme. De la vision passéiste qui consiste à exercer un contrôle et exiger des résultats financiers, elle s'orientera vers l'habilitation (à exercer une activité professionnelle) et l'atteinte d'un but commun qui est de parvenir à concilier épanouissement et performance !

Si les sondages Gallup de 2014 montrent que seulement 31% des travailleurs américains sont activement engagés au travail et estiment que les 18% qui sont activement désengagés coûtent 550 milliards de dollars US par an en perte de productivité et en déficit de créativité, je serai curieux de savoir ce que le problème gravissime du désengagement (aussi bien personnel que collectif) des travailleurs algériens représente en termes financiers.

Conclusion

Il est nécessaire d'évoluer vers les réseaux, les groupes transversaux ou l'externalisation, afin de mieux faire fonctionner les équipes dans des environnements culturels différents grâce à un langage commun, notamment dans le cadre de l'internationalisation. C'est en supplantant le management par la culture par le management par les valeurs et en transformant leur culture managériale que les entreprises pourront s'adapter aux évolutions technologiques mais également aux nouveaux modes d'organisation du travail.

* Consultant en management