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Il ne faut pas confondre reprise et sortie de crise

par Carmen M. Reinhart*

CAMBRIDGE - Le projet de stimulation économique annoncé par Donald Trump devant susciter un regain de croissance, au début de l’année la plupart des économistes pensaient que les USA allaient distancer les autres pays avancés sur le plan économique. Mais surprise, en ce qui concerne les pays développés, l’éclaircie est venue d’Europe.

La semaine dernière, le FMI a revu à la hausse ses prévisions de croissance pour la zone euro, notamment pour les quatre pays membres les plus importants : l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne. L’économiste en chef du FMI, Maurice Obstfeld, parle de «reprise qui s’affermit» au sujet de l’économie mondiale. La croissance devrait aussi reprendre dans les pays avancés d’Asie, en particulier au Japon.

Comme je l’ai indiqué dans un article précédent, l’Islande qui a connu une crise financière en 2007 est confrontée depuis déjà quelques temps à un nouveau flux de capitaux, ce qui pourrait conduire à une surchauffe. Il y a quelques jours, la Grèce, le pays européen le plus en difficulté, a pu à nouveau emprunter sur les marchés financiers - pour la première fois depuis plusieurs années. Avec un rendement supérieur à 4,6%, les obligations grecques ont suscité l’enthousiasme des investisseurs institutionnels.

Tant les dirigeants grecs qu’européens ont salué cette émission d’obligations comme une étape marquante pour un pays qui n’avait plus accès aux marchés financiers internationaux depuis 2010. Pour le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, cela montre que son pays est sur la voie d’une sortie de crise définitive.

Un peu partout les acteurs du marché et les dirigeants politiques ont le sentiment d’un retour progressif à la normale, d’autant qu’aux USA, la Fed (la Réserve fédérale américaine) sort progressivement de sa politique de fort relâchement monétaire engagée après la crise financière.

Mais est-ce véritablement le retour à la normale ? La récente reprise des pays avancés qui ont été à l’épicentre de la crise financière mondiale de 2008 signifie-t-elle qu’après des contrecoups brutaux, ils sont enfin tirés d’affaire ?

Malgré cette évolution, déclarer victoire à cette étape (même une décennie plus tard) semble prématuré. Il ne faut pas confondre reprise et sortie de crise. L’Histoire (pensons à la Grande dépression des années 1930) montre qu’une reprise économique consécutive à une phase d’après-crise de longue durée est souvent précaire si l’endettement reste excessif et le système bancaire fragile.

Lors de la «décennie perdue» liée à la crise de la dette des années 1980 en Amérique latine, le Brésil et le Mexique ont connu un pic de croissance prometteur en 1984-1985. Mais la reprise a été de courte durée en raison de graves problèmes dans le secteur bancaire, du surendettement à l’égard de l’étranger et de diverses mesures mal inspirées en politique intérieure. Ce n’est que quelques années plus tard qu’ils sont sortis de l’après-crise, avec le retour à un meilleur équilibre budgétaire, l’annulation d’une partie de la dette dans le cadre du plan Brady et un ensemble de réformes structurelles.

Depuis sa crise bancaire de 1992, le Japon a connu plusieurs redémarrages trompeurs, en 1995-1996, en 2000 et en 2010. Cela tient à l’échec de la restructuration des mauvaises dettes (les prêts zombies), à la fin prématurée de plusieurs mesures de redressement économique et à un endettement public de plus en plus insoutenable. La zone euro est sortie de la crise financière de 2008-2009 dans une situation pas trop mauvaise. Mais contrairement à la Fed, la Banque centrale européenne a augmenté les taux d’intérêt dès 2011, ce qui a contribué à enfoncer la région encore davantage dans la crise.

A considérer le passé, il faut faire preuve de prudence avant de conclure que la reprise en cours est durable. Bien des problèmes économiques créés ou exacerbés par la crise ne sont pas résolus.
Qu’il s’agisse de dette publique ou privée, à un degré ou à un autre, tous les pays avancés sont encore endettés du fait des excès qui ont donné naissance à la crise financière et de son impact prolongé sur l’économie réelle. Le bas niveau des taux d’intérêt a réduit le fardeau de la dette (des taux d’intérêt réels négatifs constituent une taxe sur les détenteurs d’obligations), mais les taux sont à la hausse.

Aux USA et au Royaume-Uni la polarisation politique atteint des records. C’est ce qui explique que ces deux pays hésitent à prendre les mesures indispensables, mais politiquement sensibles, destinées à assurer un équilibre budgétaire durable.
Le Brexit et son impact à moyen terme sur l’économie britannique constituent un autre risque. Il reste à voir comment le Japon va résoudre son problème de surendettement public et privé. Ainsi que je l’ai écrit par ailleurs, l’inflation fera probablement partie de la solution, car il ne faut pas s’attendre à ce qu’une population vieillissante vote en faveur d’une hausse de la fiscalité ou d’une diminution des avantages dont elle bénéficie pour rendre la dette du Japon soutenable.

En Europe, le niveau élevé des créances en souffrance continue à faire obstacle à la croissance en freinant la création de nouveaux crédits. Ces actifs de mauvaise qualité pourraient se transformer en passif pour certains pays. Target2, le systéme transeuropéen de règlement brut en temps réel, est devenu le mécanisme de la zone euro pour financer les écarts structuraux croissants entre les balances des paiements, ce qui conduit à des mouvements de capitaux des pays du sud du continent vers l’Allemagne. Et la dette publique de la Grèce, de l’Italie, du Portugal et de l’Espagne doit maintenant aussi inclure celle de leur banque centrale, en forte hausse.

Dans ce contexte, il faut peut-être faire preuve de davantage de prudence encore avant de décider si le moment et venu «normaliser» la politique monétaire. Même si la reprise se déroule dans les meilleures conditions possibles, les dirigeants politiques seraient mal avisés de remettre à plus tard les réformes structurelles et budgétaires nécessaires pour diminuer les risques.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz
*Professeur de finance internationale à la Kennedy School of Government de l’Université Harvard