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Tébessa: Se lever tôt pour gagner son pain !

par Ali Chabana

  En ce temps de canicule où tous se calfeutrent quelque part, Ammi Ahmed, appelons-le ainsi, ose mettre le nez par tous les temps. La soixantaine, cheveux grisonnants, maigre comme un clou, l'échine courbée sous le poids d'une existence difficile, les traits marqués de son visage en sont les stigmates. Ammi Ahmed est un lève-tôt et pour cause son « boulot » l'exige, de cela dépend sa famille, son épouse et ses deux filles encore avec lui. Il fait dans la récupération de produits qu'il trouve sur la voie ou près des poubelles, du pain rassis et des bouteilles en plastique, ces dernières sont si proliférantes, résultat d'une surconsommation d'eau à cause d'une chaleur suffocante. Aussi, il doit sortir tôt de chez lui, car la concurrence ne lui laisse pas le temps, pour faire une bonne cueillette, les agents de l'hygiène sont là, eux aussi, pour ramasser du pain rassis et d'autres objets. Depuis le matin, il traîne ses deux ballots, tout en fouinant dans les dépotoirs et au seuil des habitations, un sac réservé au pain qu'il revendra à des boutiques à Bab Zouatine, celles-ci le transformeront à leur tour en aliment de bétail, après l'avoir séché au soleil et broyé. Ammi Ahmed réside dans l'un de ces nombreux quartiers populeux où la vie n'est pas toujours rose, des gens qui, pour ne pas sombrer, exercent des métiers pénibles et peu rémunérés, une main-d'œuvre corvéable qu'on retrouve dans les chantiers, souvent sans protection sociale. D'autres improvisent des étals de légumes à proximité des routes ou érigent des tables de fortune au marché de la friperie. Ammi Ahmed, lui, continue son bonhomme de chemin, en cette journée de grosse chaleur, le front suant, il marque une halte sous un arbre, pour se reposer et nous dit : « Je n'ai eu que des postes de travail rudes, les uns plus que les autres, sans avoir jamais réussi à m'installer; des boulots qui, au final, ont nui à ma fragile santé, que ce soit les chantiers de travaux publics ou dans des travaux agricoles. Je n'arrivais pas à m'en sortir, l'argent que je gagnais arrivait tout juste à répondre aux besoins de ma famille, mes enfants étaient encore en bas âge.

Et puis vint la dégradation de ma santé qui m'obligea d'arrêter de travailler ». Et de continuer : « Le travail devint une denrée rare et était difficile pour moi de reprendre, surtout avec l'âge, alors pour ne pas rester sans activité et afin de subvenir aux miens, je fais le nettoyeur de la nature, l'écolo malgré moi, en même temps un moyen de survie ». Puis, il fait une réflexion sage sur le gaspillage du pain qu'il alla chercher parmi les ordures qu'il qualifie d'actes abominables. Sur ce, le vieil homme se lève en arrachant ses deux fardeaux, le souffle coupé par la fatigue et il fixe de loin une décharge publique, peut-être qu'il y dénichera du pain rassis et des bouteilles en plastique.