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Acteurs et enjeux de la crise nord-coréenne

par Abdelhak Et Yacine Benelhadj(1)

Le président des Etats-Unis semble atteint d'une ferme volonté guerrière dont l'objet, outre le Venezuela et la Chine, ainsi que la Russie, la Syrie..., est la Corée du Nord et son armement nucléaire.

Sous prétexte que Pyongyang menacerait ses voisins, voire les bases militaires américaines du Pacifique, voire le territoire même des Etats-Unis, le locataire de la Maison Blanche annonce qu'il irait jusqu'à user de « tous les moyens » pour réduire ce qu'il tient pour une grande menace. Aux Etats-Unis des paroles s'élèvent cependant pour relativiser le danger nord-coréen et appeler D. Trump à tempérer ses réactions. Un peu partout dans le monde, l'opinion publique est inquiète, mais surtout perplexe, devant un conflit dont on n'arrive pas à mesurer au juste les enjeux et la portée.

Berlin, Paris et Pyongyang.

Les problèmes que connaît l'Union Européenne, au moment où la Grande Bretagne négocie sa sortie, trouvent dans l'appréciation de la crise des missiles nord-coréens et des menaces américaines, l'occasion de les mettre en évidence.

La divergence entre les membres de l'Union est multiforme, dans un contexte déflationniste préoccupant : financière, monétaire et économique (déficit budgétaire, endettement, différentiels de taux d'intérêt, commerce extérieur...), politique de défense, politique étrangère (Ukraine, Otan, Turquie, Syrie, Sahel, immigrations...). Sans compter les différends intérieurs en chacun d'eux (Grande Bretagne, Espagne, Belgique, Italie...).

Ces divergences s'observent aussi dans la manière avec laquelle les Européens interprètent la confrontation entre Pyongyang et Washington. C'est notamment le cas de Berlin et de Paris.

La position française est si alignée sur Washington que les médias (généralement amènes à l'égard de Paris) ont préféré la minorer, se contentant de rapporter les communiqué officiels.

Le président français, en vacances à Marseille, constate la menace sur la paix et la sécurité, mais se place immédiatement aux côté de son homologue américain et en impute la cause au régime nord-coréen.

Ainsi, le 12 août dernier, E. Macron s'est empressé de rendre publique l'analyse que fait son pays de la situation et des voies et moyens propres à y mettre fin. Ecoutons-le : le président français fait part « de sa préoccupati on devant l'aggravation de la menace balistique et nucléaire en provenance de Corée du Nord, qui porte atteinte à la préservation de la paix et de la sécurité internationales ». « Le régime nord-coréen est aujourd'hui engagé dans une escalade dangereuse, qui fait peser une menace sérieuse sur la sécurité de ses voisins, ainsi que sur la pérennité du régime international de non-prolifération », écrit l'Elysée. « Face à cette menace, la communauté internationale doit agir de façon concertée, ferme et efficace, comme elle vient de le faire au Conseil de sécurité, afin d'amener la Corée du Nord à reprendre sans condition la voie du dialogue », poursuit la présidence française. « Avec les autres membres du Conseil de sécurité », la France demande à la Corée du Nord « de se conformer sans délai à ses obligations internationales et de procéder au démantèlement complet, vérifiable et irréversible de ses programmes nucléaires et balistiques ». Emmanuel Macron assure par ailleurs « les alliés et partenaires de la France dans la région de sa solidarité dans la période actuelle ». (AFP le S. 12/08/2017 à 13:42) Ce qui disqualifie aussitôt la France comme parti à la gestion de la crise (en tant que membre du Conseil de sécurité). Au reste, le soutien qu'elle apporte aux Etats-Unis est de peu de poids, même si on le limite à la dimension purement médiatique. De ce point de vue, l'appui français est aussi « décisif » que celui de la Grande Bretagne qui est aussi inaudible que sa voisine alors que sa visibilité en Amérique est autrement plus grande.

La question ici n'est pas de revenir sur les origines du problème coréen, que l'on peut faire remonter à la guerre déclarée au début des années 1950, relancée sous une autre forme après la disparition de l'Union Soviétique et des nouvelles relations entre Chine et Etats-Unis. La question n'est même pas de discuter du nucléaire nord-coréen, des vecteurs que ce pays essaie de mettre au point et de la menace réelle ou supposée qu'il représente pour les pays voisins et pour la présence des forces américaines dans cette région du monde. La question est de savoir si l'attitude de la Maison Blanche est ou non adéquate et proportionnée.

Accessoirement, la question serait aussi de savoir s'il y a une chance pour que l'Europe puisse un jour disposer d'une politique étrangère commune qui lui donnerait une existence dans le paysage politique international. Et qui confèrerait un crédit à un projet de défense commune dans la mesure où l'on cesserait enfin d'inverser l'ordre rationnel des questions : commencer d'abord par le fondamental « Pourquoi » avant de se lancer sans discernement, sous la pression des lobbys de l'armement, dans la réponse aux « Qui », « Quand », « Où », « Comment »...

L'on pourrait alors (reprenant le mot de H. Kissinger) en déduire le nombre de numéros de téléphones à joindre en Europe pour entamer des négociations crédibles sur le sort des crises dans l'administration desquelles le « Vieux Continent » pourrait apporter son concours.

La réaction allemande, nette et tranchante, est infiniment plus significative et moins « diplomatique ». Dès le vendredi 11 août à Berlin, la chancelière allemande, Angela Merkel, a vertement critiqué les déclarations belliqueuses de Donald Trump. « Je ne vois pas de solution militaire à ce conflit. (?) L'Allemagne va participer de manière intensive aux possibilités de résolutions non militaires, mais je considère l'escalade verbale comme une mauvaise réponse. »

Berlin se pose, avec des arguments péremptoires et indiscutables, en patron de l'Europe (à reculons la France affaiblie économiquement et financièrement, a fini par convenir que l'idée du « couple franco-allemand » a fait long feu) et parle en futur partenaire, ès qualité, des Grands de ce monde. Depuis longtemps, discrètement, l'Allemagne exige une réforme des institutions internationales où elle estime avoir une place résolutive, au même titre que le Japon, l'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud et de quelques autres sous une forme actualisée du concert des nations.

L'opposition allemande est d'autant plus justifiée que, comme d'habitude, l'exécutif américain ne s'est pas embarrassé de la plus élémentaire consultation de ses « alliés » dont il attend (sans d'ailleurs avoir besoin de le réclamer) le soutien unanime et sans faille.

« Le charme, écrivait A. Camus, naturellement dans un domaine dont D. Trump semble n'avoir aucune idée, c'est se faire répondre ?oui' sans avoir posé aucune question ».

Pourquoi la Corée du Nord ?

Cette attitude est coutumière d'une Amérique convaincue de sa puissante et de son ascendance sur ceux qu'elle tient pour ennemis et sur ceux qui reconnaissent pour alliés. Elle ne prend parfois même pas la courtoisie de les informer de ses analyses, de ses projets et de ses décisions. Ses « alliés » en prennent souvent connaissance les lendemains par les médias.

Tout le monde sait ce qu'il en est de l'OTAN et de tous les systèmes militaires mis en place dans le monde par les Etats-Unis d'Amérique. Le principal rôle des autres membres consiste à y joindre leurs forces armées, convenablement formatées et normalisées (calibres, communications...), sous le commandement d'un général américain.

C'est d'autant plus aisé que la plupart d'entre eux ont renoncé à toute industrie militaire nationale et sont tous devenus à divers degrés, les clients des industries US.

Tout le monde sait aussi que la bombe nord-coréenne est un prétexte. L'objet principal de l'animosité américaine est ailleurs. Mais arrêtons-nous un instant sur cette affaire. Les idées reçues sur la Corée du Nord ont oscillées entre deux extrêmes :

- Dès les premiers essais, les médias occidentaux s'en sont gaussés : qui peut sérieusement tenir pour vraisemblable la maîtrise technique nécessaire à la mise au point d'une bombe atomique par une « dictature sanguinaire, féodale, arriérée... le dernier îlot d'une idéologie désuète, incapable de nourrir son peuple, inapte à la moindre créativité technique. »

Janvier 2004. Pyongyang autorise une délégation américaine « non officielle », comprenant un expert nucléaire, à visiter Yongbyon. L'expert Sigfried Hecker n'est pas convaincu des capacités de la Corée du Nord à utiliser sa technologie nucléaire à des fins militaires. Nombre de ses collègues doutent que la Corée puisse disposer des connaissances et des technologies permettant de produire des armes miniaturisées, précises et des vecteurs à longues portées.

Le 1er essai nucléaire nord-coréen a eu lieu le 09 octobre 2006. Mais dès le 14 octobre, les expert américains doutent que c'en fut un (Associated Press, le S. 14/10/2006, 02h06).

Ses missiles étaient alors de « vrais pétards mouillés » qui explosaient sur leur pas de tir ou finissaient guère plus loin au large de la Corée. On parlait aussi de « bombe sale » (présumant qu'il existerait des « bombes propres » au même titre que des « frappes chirurgicales » qui n'atteindrait que des « méchants » exécutés sans jugement2).

- Aujourd'hui, pour faire le lit de la politique belliciste américaine, les médias mettent en exergue le danger crédible et avéré d'un nucléaire qui se développerait dans le monde - sous quelques formes qu'on veuille - sans contrôle occidental (dont l'AIEA n'est qu'un appendice instrumental). Alors que le Traité de non-prolifération (TNP) avait été initié sur la base d'une philosophie générale devant déboucher sur la disparition universelle de l'armement atomique.

Hiroshima et Nagasaki ont été tellement oubliées que même le Japon ne renonce pas à se pourvoir de l'abomination dont ses villes furent victimes.

La Corée du Nord, de pays archaïque devient un ennemi crédible.

Des clichés similaires ont été colportés par exemple à propos de l'Iran des Mollahs.3

Octobre 2002. La crise nucléaire nord-coréenne éclate lorsque le représentant du département d'Etat américain, James Kelly accuse Pyongyang de développer des programmes militaires nucléaires en violation de ses engagements internationaux. La Corée du Nord se retire du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et revendique en tout état de cause le droit de « posséder non seulement des armes nucléaires mais aussi d'autres types d'armes plus puissantes pour la défense de sa souveraineté face à la menace américaine ».

Décembre 2002. Pyongyang affirme vouloir relancer le réacteur de Yongbyon et expulse les inspecteurs de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA).

19 septembre 2005. La Corée du Nord accepte d'abandonner tous ses programmes nucléaires aux termes d'un accord négocié à Pékin après deux ans d'intenses négociations. En retour, la Corée du Sud, les Etats-Unis, le Japon, la Russie et la Chine devaient fournir à Pyongyang une aide énergétique et des garanties en matière de sécurité. Ils s'engagent aussi dans une normalisation de leurs relations avec un pays reclus en quasi-autarcie. Commence alors un jeu de chat et de souris et des cycles de négociations confuses, semant le « chaud » et le « froid » qu'il serait trop long de détailler dans le cadre d'un article. Le fait est que la Corée ne recherche pas vraiment à se doter d'armements nucléaires menaçant quiconque (est-ce vraiment dans ses intérêts ?), mais d'entretenir des relations ouvertes avec le monde pour le développement de son économie et de son pays tout en en étant assurée que les Etats-Unis respectent ses choix politiques et sa souveraineté.

Tout le monde a compris, avec de Gaulle, que la « bombe » n'est pas une arme comme les autres qui, sous peine de jouer au « Docteur Folamour » (Stanley Kubrick, 1964) suivant l'exemple du très inspiré président Harry S. Truman, confère la capacité de dissuader tout agresseur au pays qui la possède avec la ferme résolution nécessaire de s'en servir, fut-ce face à un assaillant convaincu d'une illusoire « mad man theory ». L'entourage de D. Trump (bien après Nixon qui s'y était essayé en vain) tente de convaincre de l'efficacité de l'action d'un président « imprévisible ».

Il est à peu près certain que la Corée du Nord est loin d'être un modèle économique et politique. Mais qui, en dehors du peuple coréen est habilité à en juger ? Qui contesterait à la Corée du Nord, malgré le protecteur chinois qui en use comme d'un pion dans sa confrontation à l'Amérique, de refuser le sort qui fut réservé à l'Irak de Saddam Hussein et à la Libye de Kaddhafi, orphelins d'une Ligue Arabe défunte ?

Le fait est que les Etats-Unis ne peuvent consentir à ce qu'un pays, aussi petit soit-il, puisse échapper à son autorité et à son influence et fasse injure à ce qu'ils considèrent comme un mode de développement et d'épanouissement qui fasse concurrence à ce que l'Occident pose comme un cheminement universel et indépassable, quelles que puissent être ses imperfections intrinsèques (« Le pire des régimes, à l'exclusion de tous les autres » clamait doctement et malicieusement W. Churchill4).

Quitte à attaquer un pays en dehors du droit et de toute légalité internationale, ainsi que le fit par exemple Bush Jr contre l'Irak en mars 2003. Chacun peut observer combien a coûté au peuple irakien l'aide bienveillante que lui a apportée l'Amérique vertueuse pour le débarrasser de son « dictateur ». Si la France hollandienne, étendue à de larges franges de l'espace partisan français au Palais Bourbon, déplore qu'Obama n'ait pas respecté sa « ligne rouge » au cours de l'été 2013 contre la Syrie, Trump se propose d'appliquer le même « remède » au régime « tyrannique » vénézuélien de Maduro.

N'oublions pas que les Etats-Unis sont la seule puissance nucléaire possédant des armes nucléaires terrestres à l'extérieur de ses frontières. En réalité, la Corée est un théâtre d'opérations qu'on ne peut vraiment comprendre que si l'on désigne les vrais acteurs et les vrais enjeux.

Les deux principaux adversaires de ce jeu de dupes sont chacun l'aura compris, la Chine et les Etats-Unis.

En attendant, les Etats-Unis veulent peser sur Pékin, accusée d'hypocrisie et de duplicité, pour que les Chinois cessent de soutenir - économiquement, financièrement et politiquement - la Corée dont 90% des échanges commerciaux se font avec la Chine, mais aussi la Russie (par exemple en bloquant systématiquement avec elle les Résolutions concernant la Syrie, Israël ou l'Ukraine), le Venezuela et tous les régimes bolivarien d'Amérique Latine. Il lui est aussi reproché son intrusion silencieuse en Afrique où peu à peu ses produits et son influence pénètrent en des espaces naguère occupés par les anciennes puissances coloniales européennes aujourd'hui déconfites.

Le problème vient tout naturellement d'un double-bind qui relie de manière inextricable les deux pays. Aucun des deux ne peut se défaire l'autre sans se ruiner lui-même. Les Etats-Unis ne peuvent sérieusement s'attaquer à la prospérité chinoise alors que Pékin accueille de nombreuses transnationales américaines qui s'enrichissent à produire chinois (l'économie chinoise ne récupère qu'environ 10% de la valeur ajoutée des produits qu'elle fabrique et qu'il lui est impossible d'accéder directement aux consommateurs occidentaux).

Par ailleurs, les Etats-Unis ne peuvent se passer d'un des principaux clients, avec le Japon, de ses bons du Trésor dont la Chine détient plus de 1000 Mds$ fin 2016, avec des réserves de change supérieurs à 3000 Mds$.

Inversement, la Chine ne peut affaiblir l'économie américaine sans porter préjudice à son commerce extérieur et à ses intérêts économiques (en attendant de disposer d'un marché intérieur et régional suffisant pour se passer de la dispendieuse et infantile Amérique).

Par exemple, à supposer qu'elle puisse sérieusement l'envisager à un terme raisonnablement court, la Chine ne peut convertir tous ses avoirs en dollars (en or, en yen ou en euro, et elle aurait quelques raisons de le faire) sans entraîner une baisse brutale de la valeur de ses réserves, de sa compétitivité, de ses débouchés et de ses revenus commerciaux libellés en cette monnaie.

Si on n'interprète pas les décisions belliqueuses récentes de D. Trump contre la Corée du Nord, le régime vénézuélien qui ne respecte pas la démocratie, contre la Chine qu'il menace de rétorsions à cause du peu de cas que ce pays fait du respect de la propriété intellectuelle des entreprises américaines, sans les relier de manière directe à ses difficultés politiques intérieures, à la gestion de son image et à ses saillies médiatiques, sachant que l'opinion américaine ne porte que très peu d'intérêts à ce qui se passe loin de ses frontières, on ne comprendrait que peu de choses à l'agitation qui habite la Maison Blanche investie depuis quelques mois par un étrange président.

Des chefs d'Etat hypermédiatiques, les Etats-Unis d'Amérique ne possèdent pas l'exclusivité. A défaut d'agir, les élus s'appliquent à bavarder. Une inclination pathologique universelle. Certes, sachant que la force est toujours plus efficace quand elle s'exerce avec parcimonie, Washington comme d'habitude lance des menaces tout azimut à l'adresse de quiconque, en particulier parmi ses « très fidèles alliés », qui serait tenté de disputer son « hyperpuissance ».

Ce message a une valeur aussi bien intérieure qu'extérieure. C'est sans doute pourquoi la guerre est plus présente dans l'univers médiatique, où l'on se surpasse à brouiller les cartes permettant dans les coulisses aux diplomates d'exceller dans un art où on espère tous qu'ils parviennent à en éloigner le spectre.

Notes :

1- Yacine, étudiant en master de droit, rentre ce début août d'un voyage d'étude en Corée du Sud.

2- Voir les films: « Eye in the sky » de Gavin Hood (GB et Afrique du Sud, 2015) et « Good kill » d'Andrew Niccol (Etats-Unis, 2015).

3- Le Pakistan avait été accusé d'être au centre d'un marché noir du nucléaire dirigé par le chercheur Abdul Qadeer Khan, père de la bombe atomique pakistanaise tombé en disgrâce, sur lequel se seraient approvisionnés l'Iran, la Libye et le régime de Pyongyang.

Evidemment, la bombe israélienne et ses origines françaises, américaines, sud-africaines sous régime d'apartheid... ne peut faire l'objet d'un débat public.

4- Democracy is the worst form of government - except for all those other forms, that have been tried from time to time.

(11 novembre 1947 à la Chambre des communes : http://hansard.millbanksystems.com/commons/1947/nov/11/parliament-bill).