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Conflit gouvernement - oligarchie: jeux d'ombres

par M'hammedi Bouzina Med

L'Algérie ne peut relever le défi d'un avenir d'espérance sans réformes structurelles, institutionnelles et sans engagement de la société.

La vraie-fausse guerre supposée entre «l'argent et la politique» que génère le conflit entre le chef du gouvernement, Mr Abdelmadjid Tebboune, et les partenaires sociaux, plus spécialement avec le patronat algérien au travers son président, Mr Ali Haddad, traduit l'incapacité du système politique et institutionnel du pays à mener à bien les réformes structurelles si nécessaires pour arrimer l'Algérie sur la voie de la démocratie et de la modernité.

Comment peut-on croire et concevoir que le gouvernement puisse se permettre la liberté de remodeler ou, plus absurde, d'aller à l'encontre du programme présidentiel alors qu'il est nommé pour l'appliquer, selon la constitution, à la lettre et au chiffre?

Car c'est l'impression que laissent apparaitre les sorties «osées» de cet été chaud du premier ministre au travers de ses déclarations «musclées» à l'encontre aussi bien d'un grand nombre d'opérateurs économiques directement productifs tels ceux du secteurs du BTP et de l'industrie que ceux des services et du commerce tels les barons de l'importation. Quelle que serait l'honnêteté et la bonne fois du chef du gouvernement à vouloir assainir le marché algérien, et dieu sait qu'il en a grand besoin, il lui sera impossible de le faire dans les circonstances sociopolitiques actuelles du pays, sans un accord préalable des concepteurs du programme présidentiel, autrement dit le président de la république, sans un consensus avec les partenaires sociaux et, constitution oblige, sans un vote du parlement national. En fait accélérer le rythme des réformes structurelles tant revendiquées par l'ensemble du corps politique et économique national. Ce n'est à vrai dire pas tant la volonté du premier ministre à vouloir remettre de l'ordre dans la maison Algérie que la méthode employée. Mr Tebboune donne l'impression d'un électron libre qui vient bousculer le système établit, une sorte de justicier antisystème alors même qu'il est produit et acteur de ce même système depuis plus de 40 ans. Sa «ruade dans le tas» est d'autant plus énigmatique qu'il est loin d'ignorer ces principes élémentaires du fonctionnement du système qui l'a formé et promu jusqu'au poste de 1er ministre. Mais au delà de cet énième épisode de contorsion politique trouble et sans lendemain dans la vie nationale du pays, apparait au fond les soubresauts d'une société et d'un système qui tangue entre son aspiration à un modèle économique et sociétal libéral et celui d'un système fermé, collectiviste, dirigiste.

Le drame est que la transition vers un libéralisme social ne peut s'opérer sans un bouleversement des mœurs politiques, soit sans un système politique et institutionnel qui assure l'équilibre et la séparation des pouvoirs régaliens, donc sans un système démocratique dans le sens entier du terme.

Cette attente et cette aspiration vers plus de liberté, de démocratie, de modernité et de justice sociale n'est pas spécifique à l'Algérie. Beaucoup de pays affrontent parfois dans la violence cette mutation du marché économique mondial. Le cas du Venezuela illustre bien la difficulté de cette mutation vers un libéralisme fût-il social. Du coup, la volonté affichée de vouloir révolutionner le système algérien vers un modèle cohérent, juste et moderne est voué à l'échec sans une réforme constitutionnelle, sans l'accouchement d'une «nouvelle république».

Parce que la politique, l'économie, le destin social et culturel d'une nation se discute, se décide et se construit au sein des institutions nationales à tous les niveaux ( de l'assemblée communale au parlement) par le truchement du consensus. Sans cela, pour tout dire sans «Démocratie», toute tentative fût-elle noble, honnête et de bonne volonté est vouée à l'échec. Ainsi, tout le bruit médiatique fait autour de cette «affaire» n'est que l'écho d'une société et d'un système prisonnier de ses propres contradictions. En arriver à étaler sur la place publique des «rappels à l'ordre» du chef de l'Etat à son premier ministre accusé de vouloir provoquer du désordre dans l'ordre établit démontre la faiblesse et l'inutilité des institutions sensées réguler la vie politique du pays. Seul le président de la république est détenteur du pouvoir de décider du sens de la marché à donner au pays.

Les autres pouvoirs que sont la justice et le parlement sont muets. Dans l'affaire Ali Haddad il n'y pas deux solutions: soit ce dernier a triché, abusé des deniers de l'Etat ou s'est rendu coupable de délit d'initié ou favorisé injustement et alors s'est à la «Justice» de s'en occuper, soit il lui est reproché des retards d'exécution dans les travaux de ses entreprises et il lui sera appliqué des pénalités de retard et autres sanctions administratives prévues dans le cahier de charges et la réglementation en la matière. Idem pour les importateurs nationaux: soit ils sont dans le respect des règles en vigueur et dans le cas de fraude c'est à la justice de sanctionner en plus de leur radiation. Inutile de jeter l'opprobre sur tous car cela ne diffère point du discours démagogique et racoleur. Cependant, ce conflit apparu en pleine période estivale aura servi à clarifier les enjeux réels qui attendent désormais le pays: la nécessité de s'attaquer aux scories qui rongent le pays et le mènent vers la dégradation et l'anarchie: la corruption, la favoritisme, l'injustice, le clientélisme y compris politique etc.

C'est toute l'ambition des réformes structurelle évoquées à toutes les occasions et qui tardent à donner de l'oxygène à l'économie du pays et des espoirs à son peuple. Vaste et immense défi lorsqu'on constate que « l'Etat» n'arrive même pas à mettre fin aux simples quidams aux «gourdins» qui rackettent les automobilistes ou les cambistes sur le seuil des banques avec en mains des liasses de devises au vu et sus de tous y compris des autorités de police.

De là à vouloir s'attaquer aux pontes du système, oligarques et autres trabendistes milliardaires il n'y a pas photo. Il ne s'agit ni de justifier ou de défendre un clan contre un autre comme il est de tradition dans le jargon de la rue ou celui de certains médias, mais d'examiner froidement les faits, rien que les faits. Il ne s'agit pas non plus de désespérer de l'avenir du pays, mais d'oser dénoncer les tares et défauts de notre «système» sans porter la culpabilité sur telle ou telle personnalité politique, y compris celle du chef de l'Etat, ou de tel ou tel acteur économique en particulier. Le mal est profond et la responsabilité est collective, y compris celle du citoyen pour l'hygiène de son proche environnement, de son quartier au moins.