Il est 6h30mn, Amar s'attable
au café Essaâda, sis au centre-ville. C'est son
rendez-vous quotidien pour prendre son petit-déjeuner fait d'un café crème et
d'un croissant. Amar a pris cette habitude de manger dehors, afin d'épargner à
sa vieille mère le réveil tôt le matin, elle n'en pouvait plus. Il est le cadet
d'une fratrie de cinq frères et sœurs, deux de ses frangins et une sœur se sont
mariés et n'habitent plus la maison parentale. Amar, 24 ans, vivotait au gré
des circonstances, l'instabilité caractérisait ses jours, il a tout essayé sans
vraiment parvenir à quoi que ce soit, hormis l'occasion de perdre son emploi
souvent précaire et le temps d'en chercher un autre. Si
aujourd'hui il tient un étal de produits cosmétiques improvisé dans l'une de
ces nombreuses ruelles commerçantes dans l'ancienne ville de Tébessa, à quinze
ans, «j'avais basculé tôt dans le monde du travail, sans rien savoir, plongeur
dans une gargote, puis aide vendeur chez un commerçant de fruits et légumes,
apprenti vulcanisateur et même contrebandier, et c'était toujours la même
rengaine, la chance ne m'avait jamais souri et ces gens-là m'exploitaient à
souhait vu mon jeune âge et mon inexpérience pour défendre mes droits.
Je n'arrivais même pas à subvenir à mes besoins personnels, au moment où ma
famille vivait difficilement», dit-il avec beaucoup d'amertume, le regard égaré
et la voix brisée par l'émotion d'un adulte précocement jeté dans le milieu
féroce d'un marché de travail incontrôlable. De cette vie aléatoire, le jeune
homme continue d'en subir les conséquences, bientôt trentenaire, lance-t-il
avec sarcasme. Il continue d'espérer qu'un jour il s'en sortira, retrouvera un
certain standing, s'intégrera convenablement dans la société comme un membre à
part entière, et non considéré comme un paria, revendiquera son droit pour
vivre et ne plus survivre. D'un regard furtif, il balaie la salle du café comme
pour observer les autres. Parmi ceux-ci, il y en a certainement ses semblables,
des pères de famille qui, eux aussi, viennent tôt le matin en quête d'un
travail ne serait-ce qu'une occupation temporaire sur un des chantiers ouverts en
plusieurs coins de la ville. Amar avale la dernière gorgée de
son café crème déjà refroidi, il se met debout et s'excuse, car il est temps
d'aller rejoindre son étal de fortune, il nous promet d'être un homme fort de
caractère et tenace en dépit des vicissitudes du temps et nous lance ces mots
reflétant l'état d'esprit de la personne : «La conjoncture ne me fait pas peur,
je me battrai pour ne pas m'abîmer, tous ces jeunes-là que vous voyez dans un
pétrin, mais il y en aura quelques-uns qui sauront sortir leurs têtes de l'eau,
j'en serai un de ceux-là !!»