Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Cosmogonie, mythologie au pays Dogon

par Reda Brixi

Le pays Dogon occupe le nord-est du Mali. Il est caractérisé par la falaise de Biandagara qui s'étale sur 400 km comme un trou de fromage où s'agrippe cette peuplade. S'ils occupent des grottes, c'était pour fuir l'ennemi et bénéficier de la haute plaine nourricière. Mise en relief par les écrits de l'anthropologue Marcel Griaule dans son livre « dieu d'eau », s'ensuit toute une foule de curieux et des essaims de touristes tous azimuts sur le terrain.

Plus qu'une ethnie, les Dogons constituent un véritable peuple et un pays. Bien que peu nombreux, environ 560.000 personnes, ils possèdent leur propre langage et une religion islamique se greffe sur ce substrat pour devenir dominante.

Isolés sur leur falaise, au cœur d'un environnement peu amène, les Dogons ont acquis la renommée par leur cosmogonie. Ils ont développé un ensemble de mythes et de légendes complexes, fort poétique et parfois ésotérique. Cet ésotérisme, prêté à de multiples interprétations, a permis le développement de quelques thèses farfelues, entre autres certains ont cru y voir les réminiscences de lointaines visites d'extra-terrestres.

L'étonnement vient plutôt du fait que cette civilisation aussi pauvre matériellement ait pu développer un tel matériel conceptuel, à chaque « parole » vient s'adapter un niveau d'initation, l'initié cherchant à remonter à la parole originielle, celle qui a permis la création du monde. La vision de cette cosmogonie par cette peuplade découverte par Marcel Griaule à travers son éclaireur (Ogotemmeli) s'est propulsée après la deuxième Guerre mondiale lors d'un raid de Citroën à travers l'Afrique. Ce fut la grande découverte, comme quoi les Africains peuvent penser à une origine du monde aussi charpentée et cartésienne. Les Dogons seront mis à toutes les sauces et causer florès littéralement. A ce concept qui se traduit par des manifestations mythologiques où le masque demeure le fondement de leur vision matricielle, la fête du Sigui célébrée tous les soixante ans est une occasion d'affirmation et de cohésion du peuple Dogon. C'est bien beau d'évoquer théoriquement cette tribu, ce qui est important comme disait André Gide « c'est comment palper le sable de ses orteils » de constater de visu la féérie et son osmose avec la réalité. Autrement dit, comment l'atteindre et jouir de cet exotisme spécifiquement africain. Suivez l'aventure?

- Qu'à cela ne tienne l'ami, je suis disposé pour une virée, mon congé est de longue durée avant que la cloche du retrait sonne définitivement

- Quoique le Mali, c'est la porte à côté, il n'est pas facile de se malmener jusqu'à ses confins. Désertiques d'abord, pauvres en tout où le Sahel exerce son plein pouvoir atmosphérique. La vie est autrement vécue.

Il faut y aller, le sort est jeté sur la connaissance de cette tribu et localité aussi historique (pays du djihad de Hadj Omar) qu'ethnologique. La période est plus propice avant qu'elle soit investie par les récents salafistes de tous bords. Le pays dogon se situe à l'opposé du Kidal et plus au Sud. La grosse fièvre n'a fait qu'effleurer l'épidémie. L'opération française « Barkhane » à bien ralenti la gangrène mais loin de l'enrayer tant que la pauvreté à pignon sur rue. L'Algérie de loin a compris sa douleur, elle se mèle de ses oignons. A Tam, le préposé d'Air Algérie nous avertit que le vol sur BBM est aléatoire, il est subordonné au bon vouloir de l'opérateur de la météo. Si ce dernier est bien réveillé à 5 heures du matin, la communication avec les pilotes favorise la liaison sinon c'est le retour direct sur Alger. A plusieurs reprises ce vol a été annulé. Nous voilà avertis. Bardés de nos sacs à dos, l'agent d'Air Algérie nous (ma compagne F, historienne, médecin et férue de l'Afrique) refusa l'enregistrment et nous pria de patienter tant que le feu vert de la météo n'est pas encore parvenu de BBM. Transis par le froid, nous attendions en espérant la délivrance. Une heure après, l'annonce jaillit au micro. Quelle chance ! L'opérateur s'est levé à temps. Le coucou d'une vingtaine de places fendit le ciel pour survoler le grand désert jusqu'aux confins du Mali. Bordj Badji Mokhtar connu par les télespectateurs de la météo pour ses hautes températures en été, considéré comme le trou parfait pour aiguiser son spleen et savourer la mutation disciplinaire. Un peu comme « Tataouine les bains » du bidasse français lorgnant « sa quille » au sud de la Tunisie à l'époque coloniale.

On peut dire que notre aventure commence sur des chapeaux de brousse. Nous voilà entraînés dans la spirale de l'hallucination africaine. Prêts à fracasser l'ostracisme. A l'arrivée, une Land Rover nous achemina vers le village distant à 7 km. L'envahissement d'une poussière comme sillage des nombreuses quatre/quatre, concurrença le grand nuage pour embrouiller et falsifier de paysage. Devant la baraque des douanes du poste de sortie, nous tentâmes de glaner quelques informations sur d'hypothétiques camions miracles en partance sur Gao. Seul élément de liaison terrestre. C'est l'Afrique qui commence et avec elle l'imprécision? du temps et du mirage. L'officier nous rassura d'un maigre espoir, moral déjà affecté avant terme. C'est l'immensité du paysage qui impressionne, enveloppé d'un silence troublant. On est comme des fourmis à la croisée des chemins.

-Revenez demain à l'aube et espérez.

-Qu'à cela ne tienne, nous serons à l'heure.

-Une chance sur dix !

Retour au village. Tout est repéré en un clin d'œil : caserne, gendarmerie, bâtiments administratifs, artère principale avec ses menus commerces dont une cabine téléphonique suivi d'épicerie, de tailleur et de coiffeur et le clou : une terrasse café-restaurant tenu par des Algériens. Le tableau sera complet avec notre tente bleue azur en retrait au deuxième rang.

Une infraction architecturale plein d?exotisme avec « des blancs nordiques » nous avons créé notre Zone Touristique, où dix minutes après, la visite des bambins multi couleur nous envahissent.

Nous reprenons nos sacs, désertant le bivouac à vide, l'abandonnant au vent comme seule sentinelle présente trouvée sous la dent. « Qui ne risque rien n'a rien ». « La mise est sur le vent ».

-La carte ou le menu, svp.

-Ahuri, le serveur ne savait quel langage nous parlions.

-Nous voulons manger.

-Il n'y a qu'un seul plat de pomme de terre.

-Ok ! Deux, alors?

-Un djoundi de l'autre table me réclame une cigarette

-Je ne suis pas fumeur

-Dommage, il y a pénurie depuis quatre jours, « Elkmaïnes » ne sont pas arrivés.

-Elkmaïnes ? C'est quoi cette nouveauté ?

-Ça se voit que vous n'êtes pas d'ici, Elkmaïnes c'est le pluriel de camion arabisé (El Camion)

La conversation se prolonge à la même table.

-« Dans ce trou, il n'y a rien, la plupart des fonctionnaires sont des agents mutés par mesure disciplinaire ou promotion. Des têtes brûlées, des légionnaires qui sévissent comme des loups. A midi, ils sont tous groupés au seul restaurant ».

Effectivement, à midi, une vingtaine de jeunes prirent place en s'épanchant en des salamalecs tonitruant. A la terrasse, nous primes place à côté d'un groupe à la conversation énergique. Des signes de chapeau de ma compagne qui voulait certainement traduire un message.