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Privatisation ou «Pillardisation» de l'Economie algérienne ?

par Mourad Benachenhou

Les plus récentes projections de l'évolution de l'Economie mondiale, pour l'année 2017, projections établies à partir des statistiques publiées par le FMI, en avril de cette année, placent l'Economie algérienne, au 55ème rang mondial, sur un total de 191 pays.

Classement n'est pas raison !

Cette projection définit la production nationale de chaque pays comme étant : « le produit intérieur brut, équivalent à la valeur marchande totale de tous les biens et services finaux produits dans un pays au cours d'une année donnée. » Sur les quelque 78 mil milliards de dollars (ou 78 trillions de dollars) de produit intérieur brut mondial, projeté pour 2017, la part, en dollars, de l'Algérie est estimée, par le même document à 174 milliards de dollars, ce qui représente 0,22% de cette production. L'Algérie fait partie des 62 pays dont le produit intérieur brut serait supérieur à 100 milliards de dollars. Cependant, cette compilation, si fiables soient les informations statistiques sur lesquelles elle repose, et si rigoureuses aient été les méthodes utilisées pour établir les projections qu'elle propose, n'en présente pas moins une faiblesse qui en réduit la crédibilité. Elle est fondée sur la sommation de valeurs marchandes disparates d'un pays à l'autre, car la source de ces valeurs varie d'un pays à l'autre, en fonction de la structure de leurs économies respectives. Ainsi, un pays dont toute la création de richesse dépend, essentiellement de la production de matières premières, et plus particulièrement de pétrole, se trouve, par définition, dans la même classe qu'un pays de produit intérieur brut équivalent, mais dont la structure de sa production est diversifiée. Dans cette compilation, tous les pays du monde forment une seule classe, et les différences de capacité de production sont effacées au profit d'un classement basé sur l'addition de valeurs marchandes, exprimées en dollars, mais dont l'origine varie d'un pays à l'autre.

L'Algérie au même niveau économique que le Népal ?

Les différences en termes de maîtrise technologique, de diversification de la production nationale comme de la composition des exportations, sont totalement effacées. L'Algérie tient, dans ce classement, une position relativement bonne, à condition que soit omis le fait que son économie est peu diversifiée, et dépend essentiellement de la production des hydrocarbures, tant sur le plan interne que sur le plan international. Les tentatives de calculer un produit intérieur brut, hors hydrocarbures, sont, à la fois inutiles et dangereuses, car elles laisseraient croire qu'en l'absence des hydrocarbures, l'Economie algérienne pourrait garder son même produit national brut et son même classement, ce qui est loin de la réalité du terrain. Si on essayait d'affiner ce classement, fondé sur un agrégat à la valeur trompeuse, et qu'on classait l'Economie algérienne sur la base de ses exportations hors-hydrocarbures, en excluant, bien sûr, les dérivés des hydrocarbures et les exportations de sucre, à but spéculatif boursier, l'Algérie se retrouverait au même rang que le Népal, considéré comme l'un des pays les plus pauvres du monde, placé au 105ème rang, en termes de Produit intérieur brut, et au 151ème rang en terme d'exportations.

Une libéralisation qui a accru la dépendance économique de l'Algérie

L'ouverture de l'Economie algérienne sur le monde, son intégration dans l'Economie mondiale, avec la libéralisation des transactions commerciales, ainsi que le processus de privatisation des activités de production de biens et services, entamées, officiellement, depuis 1988, c'est-à-dire depuis quelque 29 années, soit plus d'un quart de siècle de cela, devaient, selon la profusion de publications tant de sommités internationales que des institutions financières multinationales ou régionale, permettre la diversification de l'Economie, par la libération de l'initiative privée. Selon ces beaux écrits, l'Algérie aurait dû voir, non seulement, une intensification de son industrialisation, reflétée dans la prolifération des industries manufacturières nationales, mais également, une diversification de ses exportations de biens et services, brisant le quasi monopole des hydrocarbures comme sources de devises, moteurs de l'Economie du pays, et garants de la stabilité sociale, et donc politique du pays. On n'a nul besoin d'être un économiste chevronné, aux cheveux blanchis par les nuits de réflexion sur les statistiques économiques du pays, pour constater, qu'en fait, le processus de « privatisation » de l'Economie a abouti, paradoxalement et contrairement aux annonces proclamées par les « politiques, » à l'exacerbation de la dépendance, tant à l'égard des hydrocarbures qu'à l'égard des importations de biens et services, dont la gamme va de la glace à la vanille, en passant par les pâtes alimentaires, sans oublier la construction des infrastructures et des immeubles d'habitation, le tout financé exclusivement par les devises provenant des exportations d'hydrocarbures.

Un processus de «Pillardisation » organisé de l'Economie nationale

La « libéralisation » de l'Economie, menée au grand galop, au cours de ces quelques quinze dernières années, a désentravé, certes, l'initiative privée, mais n'a pas donné les résultats escomptés ; elle a rendu l'Algérie, encore plus dépendante des hydrocarbures et des importations de biens de consommation. Car, elle a donné lieu à la création d'une race «d'entrepreneurs» aux antipodes du modèle « shumpétérien » attendu, de rapaces en costume et cravate cousus par les plus grands couturiers du monde, de conducteurs de ?Mercédès' et autres voitures super-luxe, de propriétaires de yachts et de palaces, dignes de familles régnantes, qui ont exploité, et continuent à exploiter toutes les déficiences structurelles et administratives du mode de gestion des deniers publics, et ont su innover dans les moyens qu'ils utilisent pour accaparer la plus grosse portion possible de la rente pétrolière, généreusement, distribuée par l'Etat, sous formes de subventions, d'exonération fiscales, de crédits bancaires publics généreux, de soutiens de prix, de terrains au dinar symbolique, de marchés publics surévalués, de distribution de payements de complaisance sur les crédits budgétaires, etc. etc. Brusquement, les grandes capitales mondiales, leurs bijouteries, leurs agences immobilières, et tutti quanti, voient apparaître de « nouveaux riches » algériens, aux poches remplies de devises importées de manière frauduleuse, de l'Algérie. La situation créée par une politique d'ouverture économique désordonnée et, plus ou moins, fruit de l'improvisation du moment et suivant les circonstances politiques en cours, a abouti à la « pillardisation » de l'Economie algérienne qui a été livrée à des pillards imaginatifs, sans aucun doute bénéficiant d'appuis plus ou moins occultes, dans le système de pouvoir, et qui commencent même à s'essayer à la politique étrangère pour défendre leur fortune mal acquise. Les scandales qui font la ?une' de la presse et qui révèlent un système économique en pleine déliquescence sont là pour le prouver, s'il le fallait encore, que l'issue finale, au cas où des mesures de correction urgente ne sont pas prises, risque d'être incontrôlable, tant sur le plan intérieur qu'international. Si bien placée que soit l'Armée nationale populaire, sur le plan mondial, une défense nationale forte commence, il faut le souligner, par l'assainissement de l'Economie et sa transformation en une économie de production, non de distribution et de pillage. Les agressions internationales ne commencent-elles pas, systématiquement, par le blocus économique des pays ciblés ?

En conclusion :

On est même obligé d'inventer ce terme nouveau de « pillardisation, » pour qualifier les résultats de cette politique folle qui continue, et pour la correction de laquelle on ne constate pas une démarche cohérente de la part des autorités publiques : elles s'obstinent à agir au coup par coup, à improviser, et à prendre des demi-mesures qui ne font que rendre la situation, encore, plus compliquée. Effectivement la réforme constitutionnelle de 2016 ne mentionne pas « le programme présidentiel » comme base de l'action du gouvernement, contrairement à celle de 2008, (Article 79 de la révision constitutionnelle de 2008 : » Le Premier ministre met en œuvre le programme du président de la République et coordonne, à cet effet, l'action du gouvernement, ») mais soumet, seulement, le programme du gouvernement à la consultation du chef de l'Etat et à son adoption par un Conseil des ministres, et à son approbation par l'Assemblée populaire nationale (Articles 93 et 94 de la Constitution, mars 2016) . Constitutionnellement, donc, le Premier ministre a l'initiative de l'action gouvernementale, même si cela n'est pas dit avec suffisamment de clarté, dans la Constitution amendée de 2016. Mais est-il vraiment totalement maître de ses initiatives , quelles que soient la bonne volonté et la fermeté qu'il puisse démonter pour mettre fin à ce processus de pillage généralisé qu'a enclenché l'ouverture de l'Economie ? Pourra-t-il aller jusqu'au bout de ses attributions, si peu claires soient-elles encore, bien qu'ayant gagné en autonomie, du moins constitutionnellement ? Finalement et plus important encore, en supposant qu'il ait une vision claire de la situation périlleuse du pays et du chemin à suivre pour qu'elle en sorte, sans trop de désordre, bénéficie-t-il dans sa lourde responsabilité historique, de l'appui sincère et total des forces politiques qui comptent dans le pays, car les pillards ne se laisseront pas faire, sans combat, même si son issue ne peut que leur être défavorable, du moins ne peut-on que le souhaiter ?