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De Qatar à Ghaza : vengeance et turpitude

par Jamal Mimouni*

L'année 2017 est celle d'un cru politique exceptionnel. On pensait avoir tout vu dans la diversité des comportements politiques et diplomatiques erratiques entre nations, mais on en fut pour de lourdes surprises, cette année. Nous parlerons dans cet article de deux situations qui touchent le Monde arabe et que les politologues les plus avertis n'auraient pu prédire, et qui, si de prime abord, paraissent déconnectés, forment en fait une même matrice.

La Ligue de la Malfaisance : «Pour le bien du peuple qatari»

La première situation, ou le summum de l'indécence est atteint, lorsqu' une coterie de pays dont les régimes sont aux antipodes de gouvernements aux mœurs politiques acceptables, impose un blocus total à un autre pays « frère », le Qatar, accompagné d'un ultimatum et des demandes fantaisistes et d'un autre âge, « non négociables » et à « implémentation immédiate ». Ces mesures extrêmes qui pourraient, même dans le cadre de la diplomatie classique, constituer un casus belli, furent prises sans aucune raison apparente, telle qu'une crise diplomatique ou un incident frontalier. Ces mesures annoncées, en plein mois sacré du Ramadhan, qui déchira des centaines de familles de nationalité mixte, renvoya chez eux, des centaines d'étudiants qataris devenus persona non grata, des Universités de ces différents pays ou ils étudiaient, ont de plus trouvé, par la voie d'officiels Cheikhs et instances dont le Conseil des Grands Oulémas d'Arabie saoudite, des justifications « religieuses » pour ce traitement sévère dont la plus loufoque pourrait bien être: « C'est pour le bien du peuple qatari lui-même ». Bref, on serait dans le « Qui aime bien châtie bien » d'un paternalisme risible si ce n'est que ses conséquences ne le sont moins.

Ghaza la Suppliciée

L'autre situation, autrement plus dramatique, concerne la population de Gaza qui constitue, de fait, le sujet principal de cet article. Ce que subissent les quelque deux millions de Ghazaouis, est déjà une disgrâce au Monde civilisé, qui prouve, chaque jour, qu'il n'a, en fait, rien de civilisé et que sa fibre morale était si tenue qu' elle ne tenait qu'à un cheveu, qui d'ailleurs, s'est déjà cassé. Et bien, il fut trouvé en plein Ramadhan et au milieu de la chaleur assommante de l'été, une manière de serrer encore plus les vis de ce peuple, dans l'adversité, pour le priver d'électricité, de lumière, de vie, ceci non pas par l'usurpateur et le bourreau du peuple palestinien, Israël, mais sur ordre du président de l'Autorité palestinienne lui-même! Mais avant de discuter un peu plus cet acte insensé et criminel, revenons sur la situation à Ghaza. Cette enclave, occupée par Israël, durant la guerre ?des six jours' et faisant partie de la Palestine historique, fut arrachée de haute main par la résistance palestinienne après un harcèlement qui fit réaliser à Israël que le maintien de ces territoires, sous son giron, était insoutenable militairement et économiquement. Depuis Israël l'a transformée en zone interdite, au mépris de toute légalité internationale et dans le silence coupable de la soi-disant communauté internationale. Malgré cela, Ghaza a, depuis, résisté bravement à plusieurs agressions, de férocité et de cruauté inégalées, par l'armée israélienne et où l'immense majorité des victimes était des civils.

Mahmoud Abbas, le Pétain de la Palestine

Certes, nous citoyens de pays dont le destin n'est pas entre nos mains et dont le Printemps de la Démocratie a été avorté et dénoncé comme un complot contre la stabilité, la prospérité et l'ordre établi, étions habitués à subir l'histoire et à voir l'impensable se dérouler, devant nos yeux, mais là nous touchons le comble de la démesure, dans la bassesse et l'ignominie. Ainsi une enclave assiégée, terre, mer et air depuis dix ans, asphyxiée, totalement, économiquement, médicalement, une gigantesque prison à ciel ouvert dont on réduit même le droit à l'électricité, à deux heures par jour et personne ne bouge le petit doigt. Puis on voit les chicaneries de nos « frères » du Golfe qui, à coups de milliards de dollars font la cour au protecteur de l'agresseur historique, j'ai nommé le Président Trump, l'islamophobe, l'initiateur du «Muslim Ban», le misogyne, le sioniste assumé. Aussi n'est-ce pas un spectacle surréaliste que de voir Mahmoud Abbas, le Président de l'Autorité palestinienne, au mandat expiré, demander de toute son « autorité » à Israël de serrer plus l'étau aux damnés de la Terre, de Ghaza, son propre peuple, et de les punir pour leur volonté de résister et à travers cela, faire plier Hamas. Il a de plus congédié, dans la foulée et toujours durant le mois de Ramadhan, quelque six mille fonctionnaires travaillant à Ghaza et donc coupant autant de salaires qui faisaient vivre leurs familles. Et l'agresseur historique de s'obliger et exécuter avec un plaisir infini, les instructions de celui qui n'est, en dernière analyse, que leur valet utile. Difficile de tomber plus bas dans la turpitude. Bref c'est le Pétain de la Palestine qui, différence majeure avec le vrai Pétain, ne peut même pas s'enorgueillir d'une gloire passée, étant une personne qui, à l'ombre de Arafat, attendait son heure pour jouer son rôle historique de facilitateur de l'occupation, à travers la coordination sécuritaire, et finalement de punisseur de son propre peuple.

Souci «humanitariste» et blocus égypto-israélien

En fait, le comble du grotesque fut touché, à notre sens, un peu plus tard, lorsque par souci « humanitariste », le bourreau de la Place Rabia El-Adaouïa ,au Caire, en août 2013, nous avons nommé le Maréchal Sissi, permit à des camions tankers égyptiens de passer le point de passage de Rafah pour soulager les Ghazaouis de cet embargo énergétique imposé par Mahmoud Abbas. Il est notoire de rappeler que le blocus de Ghaza n'existe que par la volonté égyptienne de fermer Rafah et donc de couper, totalement, Ghaza du Monde en complément du blocus israélien du reste de la bande. Dans le cas de Ghaza, un blocus cela se fait à deux, et l'Egypte est non pas seulement le complice d'Israël, dans cet acte condamnable, mais bien l'élément déterminant, dans son implémentation. D'ailleurs contrairement au poste-frontière d'Erez où passent les marchandises autorisées par Rafah, du côté égyptien rien ne passe ni marchandise, ni âme. De plus, la manière barbare dont la partie égyptienne frontalière de Rafah fut inondée puis rasée par les autorités égyptiennes relève d'un terrorisme d'Etat.

Hypocrisie et faux-semblant

Revenant à la crise du Golfe, comment qualifier, autrement, que d'hypocrisie pure, la réaction mitigée des pays occidentaux bien pensants, devant le diktat de quartet de la malfaisance envers le Qatar. Il est évident, à tous, que ces demandes de la part de régimes moyenâgeux et autocrates visaient en fait à étouffer la liberté d'expression, de même qu'elles étaient en conflit flagrant avec les principes régissant les relations entre nations, selon la Charte des Nations unies. Faire semblant de les prendre au sérieux est spécieux et malhonnête. Nous avons, ainsi, la réaction d'une sublime hypocrisie du porte-parole du gouvernement français, Christophe Castaner quand, réagissant au blocus imposé au Qatar demandait à ce dernier qu'il « .. assume toute la transparence et réponde, précisément, aux questions qui sont posées notamment par les Etats voisins». N'est-ce pas là un soutien explicite aux demandes fantaisistes de ces pays, avec en contrepartie, aucun rappel des grands principes qui régissent les relations entre Nations ou des droits de l'Homme comme on est habitué à le faire lorsqu'il s'agit d'Etats africains ou de la Turquie? Ceci, alors même, que l'on parlait, dans la presse mondiale de l'épidémie de choléra, au Yémen, en conséquence de la guerre illégale que mènent ces pays, là-bas, du énième massacre de civils par bombardements indiscriminés de l'aviation de la coalition, du réseau de prisons sécrètes implanté, par les Emirats arabes, dans ce pays. Et puis il y avait, aussi, matière à commenter dans la suppression violente de l'opposition au Bahreïn, au niveau jamais atteint de répression politique, en Egypte. Déjà, la sanction envers tout citoyen des Emirats, pour tout message de sympathie à l'égard du Qatar, d'une peine de 3 à 15 ans de prison et d'une amende allant jusqu'à 135.000 euros (En Arabie saoudite et au Bahreïn, la peine pour ce crime est seulement de 5 ans de prison), par ses écrits ou ses dires, aurait dû être suffisante pour montrer que nous sommes dans le loufoque et la démesure. Face à cette diplomatie caniveau de la France lorgnant vers de potentiels dividendes économiques et financiers, nous avons cette réaction bien plus raisonnable du secrétaire d'Etat américain, Rex Tillerson, qualifiant la crise de problème interne qui se devrait d'être résolue fraternellement, déboutant ainsi la prétention du quartet qu'elle avait pour origine le terrorisme d'Etat supposément pratiqué par le Qatar.

Défaut arabe de Solidarité

Concernant la crise de Ghaza, nous avons un mutisme complet des pays arabes envers cette situation dramatique. Le fait que deux millions de Palestiniens puissent vivre un blocus illégal et indéfini, n'agite la conscience de personne. Coupable silence de la Ligue arabe dont la raison d'être, historiquement, est pourtant, en grande partie, la Cause palestinienne, cette cause dont les pays arabes en ont fait un fonds de commerce depuis le Président Nasser. Comment pourrait-il en être autrement, alors même que l'Egypte qui préside la Ligue arabe est l'exécuteur principal de ce blocus inhumain. Le calvaire que vivent ces Ghazaouis, suite à la réduction extrême de la disponibilité de l'électricité ne pousse personne à agir. Ce n'est même pas l'ennemi israélien ou son grand protecteur les EU qui sont à blâmer, mais Mahmoud Abbas, président devenu, de toute façon, illégitime, par la fin de son mandat et que, ironie de l'histoire, seul le parlement élu dont le siège est à Ghaza aurait l'autorité de prolonger, s'il en fut question. Est-on, dans l'histoire, arrivé à un tel niveau de pusillanimité ou on peut punir, collectivement, des millions de personnes pendant plus d'une décade sans que personne ne puisse réagir?

Bien plus, même lors du sommet arabo-islamico-US de la honte, sommet, dont le Président Trump vient de révéler dans un interview, sans complexe, à la chaîne ?CBN News' qu'il avait posé comme condition pour y présider la signature des pharamineux contrats d'armes et autres ventes avec le Royaume, pas un mot ne fut prononcé, ne serait-ce que de principe, concernant la question palestinienne, tel que d'appeler à la fin de l'occupation israélienne. Les Saoudiens ont littéralement monnayé et au prix fort, leurs ambitions politiques, toutes désuètes, par rapport aux enjeux géostratégiques réels de la région, et ce, sans contrepartie palpable.

Collusion avec l'ennemi: Hamas comme groupe terroriste

Le fait que les jérémiades de la Ligue de la Malfaisance et ses conséquences occupent tout l'espace médiatique, alors que la Cause palestinienne ait, complètement, disparu de l' horizon politique des pays arabes est, déjà en soi, une ignominie. Pire que cela, la seule référence à la Palestine, c'est cette prise de position inédite, prise sans crier garde, qui est d' assimiler le mouvement de la Resistance islamique Hamas à un groupe terroriste, ce qui n'a fait que ravir l'entité sioniste usurpatrice. Déjà Al-Fatah avait été neutralisé à travers les Accords d'Oslo signés, il y a de cela plus d'une décade et cantonné dans un rôle de supplétifs de l'armée israélienne et garants de la ?Pax-Hebraica' établie dans les territoires occupés. Ils sont, à bien des égards, l'équivalent des Harkis, durant la guerre d'Algérie et des forces de Vichy, durant l'occupation allemande de la France. Nous avons, maintenant, la seule force appelant à la résistance à l'occupation israélienne qui est taxée de terroriste par ces Etats arabes supposés être les champions de la Cause palestinienne, ce qui constitue un autre coup bas porté aux Palestiniens de Ghaza. Rappelons un fait trop souvent occulté, que la résistance à l'occupation, même par voie armée, est un droit légitime selon le droit international. Condamner les Palestiniens pour leur résistance à l'occupation et l'assimiler à des actes terroristes et des atteintes à la « paix » est une hérésie récente dont le but est de conforter l'agresseur. Ainsi, la résolution 3314 de l'AG des Nations unies interdit aux États de «toute occupation militaire, même temporaire» et affirme le droit des occupés à lutter ... » et à chercher et recevoir un soutien « dans cet effort ». Nous sommes, ici, dans une situation où l'occupation qui dure depuis cinquante ans redouble de férocité. La résolution complémentaire 37/43 du 3 décembre 1982, de la même instance des Nations unies affirme «la légitimité de la lutte des peuples pour l'indépendance ... par tous les moyens disponibles, y compris la lutte armée». Nous ajouterons, pour faire bonne mesure, que dans le « Bill of Rights » de la Constitution américaine est inscrit le droit et même le devoir des citoyens de se révolter contre la tyrannie, comme un droit naturel. Mais, bien sûr, nous ne comptons pas sur le Président Trump pour rappeler ça à son ami Netanyahou.

Incongrus mais en fait intimement liés

Ainsi la boucle est close; ces deux scandales notoires que nous a offert ce mois de Ramadhan 2017, avec la crise du Golfe d'un côté et la situation critique vécue par les Ghazaouis de l'autre, qui apparaissaient incongrus, à première vue, sont, en fait, intimement liés. Les droits et libertés individuels, la liberté d'expression et le libre accès à l'information, les droits du peuple palestinien, autant d'éléments apparemment disparates mais qui sont, en fait, en synergie. La détresse des Palestiniens et la transformation de leur combat historique en cause perdue est, en grande partie, liée au fait qu'ils ont les plus mauvais champions possible. La crise du Golfe, au-delà de son côté bouffon, a eu lieu parce que le Monde arabe est hors du mouvement de l'Histoire. Ajoutons que le seul pays arabe, qui s'en sort, honorablement, dans le drame de Ghaza est paradoxalement, le Qatar, qui malgré la crise à laquelle il se trouve confronté, vient dans un geste significatif de renouveler son engagement à la reconstruction de Ghaza à hauteur de 1,2 milliard de dollars.

* Professeur au Département de Physique, Université ?Mentouri', Constantine - Vice-président de l' ?Arab Union for Astronomy and Space Sciences' (AUASS)