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Apprendre à connaître et à aimer les océans

par Emily Penn*

Un jour, j’ai été réveillée au milieu de la nuit par un bruit sourd contre la coque de notre bateau. Nous avons couru sur le pont pour constater que nous étions entourés de plastiques flottant sur l’océan. Nous ne comprenions pas. Nous étions à plus de 1 600 km du littoral. Les agents de la Station spatiale internationale placée en orbite au-dessus de nos têtes étaient les personnes les plus proches de nous. Pourtant, nous avons dû nous rendre à l’évidence : ces déchets, qui nous entouraient dans l’une des parties les plus reculées de la planète étaient bel et bien causés par l’homme.

Je venais de terminer mes études universitaires et allais en Australie lorsque cet incident a donné une nouvelle orientation à ma carrière : naviguer de par le monde avec pour mission de renforcer le lien entre les scientifiques et les spécialistes de la communication et les océans, par l’étude des questions marines de l’Équateur aux pôles.

En mer, j’ai pu voir de près l’effondrement des pêches, l’accumulation des substances chimiques toxiques dans les organismes marins, la dépendance des communautés insulaires vis-à-vis des produits alimentaires emballés et l’étendue de la pollution causée par les plastiques. Nous faisions une halte dans de petites îles et constations que les populations locales ne pouvaient plus pêcher pour nourrir leur famille, car les navires commerciaux avaient entraîné l’effondrement de leurs pêches. L’élévation du niveau de la mer avait rendu leurs terres incultivables, car la terre était trop salée. Ils étaient donc devenus dépendants des produits alimentaires importés et emballés dans ce nouveau matériau – le plastique.

Aucun système n’étant en place pour traiter ce type de déchets, ils étaient jetés sur les plages, dans la mer, ou tout simplement brûlés. L’odeur nauséabonde de plastique brûlé était omniprésente. Lorsque j’ai cherché à connaître son origine, j’ai appris que certaines substances chimiques – les dioxines – se forment lors d’une combustion incomplète des déchets et qu’elles sont cancérogènes lorsqu’elles sont absorbées par l’organisme. Ce fut ma première mission : éliminer la combustion des plastiques dans un groupe d’îles du Tonga.

LE DÉFI DES TONGA

Il a fallu d’abord changer ma façon de penser. En apprenant la langue tongane, j’ai réalisé que dans ces îles du Pacifique Sud, le mot «poubelle» n’existait pas. L’idée d’éliminer des ordures par un système géré n’existait pas dans cette culture, car jusqu’à récemment elle n’avait aucune raison d’être étant donné que les produits organiques étaient jetés sans que cela pose de problème. Il fallait non seulement mettre en place une infrastructure, mais trouver d’autres moyens d’éliminer ce matériau inorganique.

Six mois de travail et d’apprentissage avec la communauté locale ont donné lieu à un immense nettoyage. Avec 3 000 volontaires locaux, nous avons ramassé 56 tonnes de déchets en seulement 5 heures.

J’étais stupéfaite par cette quantité de déchets. Nous avons ramassé tout ce qui était produit localement, mais aussi les déchets échoués chaque jour sur les plages, y compris des articles avec des étiquettes d’emballage écrits dans des langues que je n’ai pas reconnues. Je voulais savoir d’où venaient ces plastiques et pourquoi ils échouaient dans ces îles reculées du Pacifique.

C’est ainsi que j’ai commencé à m’informer sur l’utilisation du plastique.

LE PROBLÈME DE LA CONCEPTION

Il s’avère que chaque minute, nous utilisons près de 2 millions de sacs en plastique dans le monde1. Ces sacs sont utilisés une fois, peut-être deux, au mieux trois fois. Puis, on les jette. Le plastique est une matière étonnante conçue pour durer indéfiniment. Nous l’utilisons pour fabriquer des produits comme des sacs et des bouteilles qui sont conçus pour être utilisés une fois, puis jetés à la poubelle. Ce décalage entre la science des matériaux et la conception des produits a créé une situation où nous avons d’immenses quantités de déchets dont nous n’avons pas besoin et qui n’ont aucune valeur.

Mais ce n’est pas un problème. Ne pourrions-nous pas simplement recycler tous ces plastiques ? Apparemment, non. Moins de 10 % des plastiques utilisés aux États Unis d’Amérique sont recyclés2. En visitant un centre de recyclage, j’ai compris pourquoi. Le plastique est un terme générique qui désigne différents matériaux aux propriétés différentes et donc aux structures chimiques différentes. Pour les recycler, il faut d’abord les nettoyer, puis les séparer, un processus long et coûteux qui consomme de grandes quantités d’énergie et d’eau. Il faut aussi que les gens acceptent de payer plus pour du plastique recyclé plutôt que d’opter pour un plastique vierge moins cher.

Tous ces plastiques inutilisés n’étant pas recyclés, il n’est pas surprenant que chaque année3 jusqu’à 8 millions de tonnes soient déversées dans les rivières, les cours d’eau et les océans.

J’ai appris que les déchets plastiques sont entraînés des littoraux jusqu’à l’océan par des courants marins et finissent par s’accumuler pour former cinq gyres océaniques subtropicaux. Au centre du gyre (zone formée par d’immenses tourbillons), l’océan est calme et les débris organiques ou les morceaux de plastique y sont attirés. J’ai entendu parler des îles de plastiques flottantes, mais plus je me documentais plus je réalisais notre manque de connaissances.

Ce fut donc ma deuxième mission : me rendre dans ces zones où des déchets sont accumulés et voir ce qui en était.

MA MISSION VERS LES GYRES

Nous avons cherché ces îles de plastiques qui pourraient être récupérés et rapportés sur terre pour être recyclés. Mais nous avons vite réalisé que les morceaux de plastique étaient plus petits que nous ne le pensions. Les déchets plastiques ne flottent pas à la surface comme de grands radeaux. Sous l’effet des rayons ultraviolets, ils se décomposent en de petits fragments. Certains s’enfoncent, d’autres sont ingérés par les animaux marins4. Au cours de mes nombreux voyages dans le monde, j’ai découvert que les déchets plastiques ont envahi la planète non seulement dans les gyres, mais des Tropiques à l’Arctique. Nos océans sont devenus une véritable soupe de fragments plastiques.

La plupart d’entre eux, qui flottent à la surface, sont invisibles à l’œil, ce qui donne l’impression que les mers sont plus propres qu’elle ne le sont et rend le nettoyage à grande échelle difficile. Nous avons dû utiliser un filet aux mailles très fines pour les récupérer et les examiner de plus près. Chaque fois que nous sortions le filet, nous trouvions des centaines de petits fragments.

Une fois rapportés à bord, nous les avons analysés. À ma grande surprise, il nous a été difficile de distinguer le plastique du plancton. Je me suis demandé comment les poissons pouvaient faire la différence. Nous avons donc pêché des poissons pour analyser le contenu de leur estomac et avons découvert qu’il contenait aussi du plastique.

Cela a soulevé de nombreuses nouvelles questions. Nous étions non seulement concernés par les effets que le pastique pouvait avoir sur l’environnement, mais réalisions aussi que nous ne savions rien des effets chimiques. Étant donné qu’il pénètre dans la chaîne alimentaire, notre chaîne alimentaire, ces particules chimiques toxiques pénètrent-elles dans notre organisme ?

LE POISON

J’ai décidé de faire faire des analyses de sang pour savoir si des substances chimiques s’étaient accumulées dans mon organisme. Travaillant avec la campagne «Safe Planet» lancée par les Nations Unies5, nous avons analysé 35 substances chimiques qui sont toutes interdites parce que connues pour être toxiques pour les être humains et l’environnement. Sur les 35 substances, nous en avons trouvé 29 dans mon organisme.

À partir de ce moment-là, tout a changé pour moi. Lorsque nous parlons des problèmes environnementaux, ils concernent très souvent d’autres personnes, d’autres lieux ou un moment donné dans l’avenir. Il semble, cependant, que la charge corporelle, une empreinte chimique, que ces contaminants représentent est à jamais présente. Les concentrations des substances accumulées dans mon organisme n’étaient pas à des niveaux alarmants, mais elles démontrent la direction vers laquelle notre société pourrait s’orienter.

LES SOLUTIONS

«Si je disposais d’une heure pour résoudre un problème et que ma vie en dépende, je consacrerais les 55 premières minutes à définir la question appropriée à poser, car une fois cela fait, je pourrais résoudre le problème en moins de cinq minutes.»
(Attribué à Albert Einstein)

L’exploration, la compréhension et l’éducation sont essentielles pour nous permettre de comprendre comment restaurer la santé des océans. Ces questions sont complexes et plus je passe du temps en mer, plus je me rends compte que les solutions commencent à terre.

Nous pouvons nous attaquer au problème à différents stades, de la source à l’océan et de la conception du produit à la gestion des déchets. Mais pour résoudre ces problèmes sur le long terme, nous devons fermer le robinet. Nous devons travailler à la source. Cette action en amont est nécessaire dans tous les secteurs de la société, en travaillant avec les concepteurs industriels, les responsables politiques au niveau gouvernemental et chacun d’entre nous à titre de consommateurs.

Si nous voulons continuer à compter sur l’océan comme source de nourriture, d’énergie, de transports et de minéraux pour les générations à venir, nous devons réduire les flux de déchets et utiliser cette ressource vitale de manière plus durable. Comme je l’ai appris au cours de mon voyage, nous prenons davantage soin des choses auxquelles nous sommes liés. Nous devons prendre conscience qu’il est urgent de rétablir le lien qui nous unit à notre planète bleue et de prendre les mesures nécessaires qui s’imposent.

Nous prenons soin des choses que nous aimons. Nous ne pouvons aimer que ce que connaissons.

*Une militante en faveur des océans, est capitaine et co-fondatrice de Pangea Exploration
Notes
1- Earth Policy Institute, «Plastic bags fact sheet», disponible sur le site http://www.earth-policy.org/images/uploads/press_room/Plastic_Bags.pdf (téléchargé en octobre 2014).
2- Gaelle Gourmelon, «Global plastic production rises, recycling lags», Worldwatch Institute, 28 janvier 2015. Disponible sur le site http://www.worldwatch.org/node/14576.
3- Jenna R. Jambeck et al., «Plastic waste inputs from land into the Ocean», Science, vol. 347, n° 6223 (13 février 2015), p.p. 768-771. Disponible sur le site http://science.sciencemag.org/content/347/6223/768.full.
4- Programme des Nations Unies pour l’environnement, «L’ONU déclare la guerre au plastique dans les océans», 23 février 2017. Disponible sur le site http://www.rona.unep.org/un-declares-war-ocean-plastic.
5- Safe Planet : the United Nations Campaign for Responsibility on Hazardous Chemicals and Wastes, note d’information.
Disponible sur le site http://networking.pops.int/portals/0/VivoIndexItem/Index2482/SafePlanet_Body_Burden_backgrounder_21apr2011_rev.pdf (consulté en avril 2017).