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Jupiter à l'élysée : la France entre minorité qui « marche » et majorité qui s'abstient

par Abdelhak Benelhadj

Les législatives, après les présidentielles, viennent de rendre leur verdict : une marée de députés « marcheurs » déferlent sur le Palais Bourbon. Nouveau parti, nouveaux convertis, nouveau culte. Et sans doute aussi nouveaux cocus. Ainsi va la démocratie des urnes.

La réforme constitutionnelle alignant la durée des mandats présidentielles sur celle des législatives avait pour objectif d'éviter la cohabitation et de donner au président, dont l'élection précède celle des députés, les moyens de gouverner. Le problème est que la réduction du mandat présidentielle non seulement n'évite pas dans son principe la cohabitation, il aurait fallu pour cela priver le président de son pouvoir de dissolution, mais en outre elle introduit des perversions qui dégradent la qualité de vie démocratique que le sens commun limite (naturellement à tort) aux seules élections et au slogan favori des professionnels de la représentation : « élisez-nous et on s'occupe du reste »

1- Un des arguments en faveur du raccourcissement des cycles électoraux procède d'une subordination des mandatures politiques aux cycles technologiques, financiers et économiques qui se réduisent. Le cycle de vie d'un élu doit se conformer, proposent certains technocrates, aux domaines qui influencent et déterminent la vie des citoyens, des organisations et du monde de l'économie désormais mondialisée.

Argument fallacieux et trompeur.

A supposer les observations exactes, ce serait précisément parce que ces cycles se raccourcissent qu'il faudrait conférer au politique des mandats plus longs pour lui donner le pouvoir de les maîtriser. Aligner un court terme sur un court terme n'est pas un gage d'efficacité (argument souvent brandi par les promoteurs de ces réformes) mais au contraire réduit les capacités du politique et prive la société d'une visibilité et d'un contrôle de son évolution à long terme.

2- Loin d'instiller de la stabilité et de l'harmonie, ces changements incitent les politiques à davantage se préoccuper de leur élection que du mandat que les citoyens leur ont confié. On observe des dérives de ce genre dans les pays anglo-saxons, comme les Etats-Unis où elles dominent l'espace médiatique en particulier à cause des élections de mi-mandat qui pèsent sur les institutions politiques, le Congrès et la Maison Blanche. A peine élus, déjà en campagne. La démocratie des urnes dégénère en spectacle où les médias se donnent à coeur joie. La vie des hommes politiques, sous prétexte de l'expertise de leurs qualités morales, prennent le pas sur leurs engagements et sur l'analyse critique de leurs décisions.

3- Précéder les élections législatives par les élections présidentielles amputent les législatives de leur intérêt pour les citoyens. Et là aussi on note une hausse continue des taux d'abstention. Les citoyens ne se sentent pas concernés par une démocratie représentative, limitée aux alternances électorales, tandis que leur situation économique et sociale reste identique et même s'aggrave. En oeuvre depuis des décennies, le « dégagisme » est une résultante logique de l'insignifiance, de l'inconsistance et de la rouerie d'un personnel politique interchangeable.

De Chirac à Hollande, en passant par Jospin et Sarkozy, les Français brûlent systématiquement les chefs qu'ils ont adulés.1 Ils ne sont pas les seuls : à l'exception de l'Allemagne, l'espérance de vie des gouvernements se raccourcit de plus en plus.

Les Français inciviques ?

Constitutionnellement, légalement, l'élection de E. Macron et des députés placés sous sa bannière qui vont soutenir sa politique ne souffre d'aucun vice de forme et ne pourrait être formellement contestée.

Cependant, quand on est élu président avec 24,01% des suffrages exprimés et seulement 18,2% des inscrits, la prudence invite à la l'humilité.

Marine Le Pen est arrivée en tête dans 19000 sur 36000 communes de France. Au second tour des législatives le record d'abstention du premier tour est tombé. Plus de 56% le dimanche 18 juin. Avec un taux de participation d'une rare indigence - si l'on tient compte des bulletins « nuls » et « blancs », de seulement 38% des inscrits. Avec une participation de 19,1%, les Français de l'étranger signalent qu'ils ne sont plus en France.

Comment justifier, par-delà les arguties constitutionnelles qu'un président avec moins d'un quart des électeurs en sa faveur se fabrique une majorité parlementaire « encombrante » de près des deux tiers des députés (350/577). La lettre et l'esprit de la Vème République ne suffiraient à expliquer et à justifier une représentation si peu représentative.

La présidence Macron commence avec un déficit de légitimité politique qui fragilise par avance son quinquennat. Qu'il le veuille ou non la majorité des Français n'est pas représentée au Palais Bourbon. Qui s'étonnerait de la voir demain dans la rue ?

A contempler ce paysage on se prend à songer au mot de Churchill sur la fatalité infligée aux démocrates contraints au « plus mauvais des systèmes, à l'exclusion de tous les autres ».

On comprend que si l'on fait abstraction des nombreux députés néophytes qui se sont mis en marche, la majorité est verrouillée par de solides pièces rapportées de la droite et de la gauche socialiste aux principaux leviers de commande du gouvernement et de l'Assemblée.

Après une euphorie aussi relative, le succès électoral se paie d'une obligation impérative de résultats dans une société qui doute et une économie qui fait eau de toutes parts.

Fin de cycle

La politique économique est en effet au cœur des enjeux électoraux. Pour ceux qui ont voté et pour ceux qui s'en sont abstenus. Celle qui avait été suivie jusque-là, y compris par l'ancien ministre de l'économie et des finances, aujourd'hui à l'Elysée, a lamentablement échoué. En France et ailleurs, en Europe et dans le monde. L'Algérie se souvient de ce qu'ils lui ont coûté et les Grecs en mesurent tous les jours les « bienfaits ». Que les gouvernants algériens et grecs aient été les principaux artisans de leurs calamités ne change rien à l'affaire.

Déficits économiques, commerciaux, sociaux records, déflation, surendettement? Les acteurs de l'économie (d'où l'Etat, avec la bénédiction doctrinale de Bruxelles, a été peu à peu écarté), ont systématiquement préféré les plus-values à la valeur ajoutée.

L'hypothèse d'une baisse du chômage dans une économie où les principaux facteurs de la croissance (investissement, consommation, exportations - avec une course effrénée derrière une hausse de la productivité toujours plus élevée) sont en berne, est aussi vaine que l'utopique régulation par le marché et le progrès par la « destruction créative ».

Le pari d'une économie peu à peu dérégulée, avec encore moins de cotisations sociales et moins de fiscalité sur le capital (dont une disparition de l'ISF), avec une substitution au contrat de travail un contrat marchand (par exemple troquer le CDI contre un « contrat de projet ») qui fera des salariés les « négociants indépendants » de leur charge et de leur rémunération, dans un contexte qui ne leur est pas favorable laisse redouter de terribles différences de potentiel économiques et sociaux. Les détenteurs de revenus fixe, salariés et pensionnés, seront à l'évidence les principales victimes.

Le fait est que les Français sont lassés. Jusque-là ils ont joué la droite contre la gauche. Avec toujours les mêmes promesses et toujours les mêmes déceptions. Il est très probable qu'il s'agit là de la fin d'un cycle, de la sempiternelle alternance sans alternatives. L'amnésie des électeurs a des limites.

Toutefois, si la fin du cycle des marcheurs commencera très vite, personne ne peut encore anticiper la forme que prendra le suivant. Justement parce qu'il ne consistera sûrement pas au retour aux conditions initiales, au régime précédent.

Le PS suivra sans doute le destin de son ancêtre, la SFIO, au musée des abus de confiance et des tératologies historiques. Hollande méditera le sort qui fut réservé à Balladur, à Jospin, à Juppé, à Fillon, à Sarkozy... Il est clair cependant que l'enjeu dépasse le sort des hommes politiques.

Personne ne dispose aujourd'hui des éléments de comparaison permettant de prévoir le visage de la France lorsque E. Macron aura épuisé le très court sursis que ses concitoyens lui auront accordé.

Notes

1- Avec 280 députés en 2012, le Parti Socialiste se retrouve avec 27 députés ce dimanche. Le discours de son secrétaire général, démissionnaire, tenait du faire-part de décès et de l'oraison funèbre.