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Mobiliser la communauté mondiale pour atteindre l’ODD 14

par Amina J. Mohammed*

L’une des périodes de ma vie la plus enrichissante sur le plan intellectuel, la plus ambitieuse sur le plan politique et la plus satisfaisante sur le plan personnel fut la période où j’ai travaillé, en tant que conseillère de l’ancien Secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon, avec les États Membres et les peuples du monde entier afin de définir le Programme de développement durable à l’horizon 2030. Adopté par les dirigeants mondiaux lors de la cérémonie d’inauguration en 2015, ce plan d’action d’importance historique a intégré 17 objectifs de développement durable (ODD), ouvert la voie vers un avenir fondé sur la dignité, la prospérité et la paix pour tous. À ce stade encore très précoce où nous nous efforçons d’exploiter les possibilités offertes par ce Programme et de remplir nos promesses, c’est pour moi un très grand honneur d’avoir été choisie par l’actuel Secrétaire général António Guterres en tant qu’adjointe et donc de servir les peuples du monde entier dans cette tâche essentielle.

De par l’économie et les expériences de mon pays, le Nigéria, je sais que la conservation et l’utilisation durable des océans, des mers et des ressources marines font partie du Programme 2030 et de ses objectifs qui visent à éradiquer l’extrême pauvreté et la faim et à promouvoir un développement socio-économique pacifique et durable pour toutes les nations. Alors que les océans sont aujourd’hui à la limite de leur capacité à répondre aux besoins humains et à rester des écosystèmes viables, seule l’ONU peut mobiliser le type d’action transformative nécessaire aux niveaux mondial, régional et national pour inverser cette tendance.

Dans de nombreux pays côtiers et petits États insulaires en développement, le maintien et la restauration de la santé et de la résilience des écosystèmes côtiers et marins, comme les mangroves et les récifs coralliens, sont essentiels pour la protection contre les risques naturels, comme les tempêtes violentes et l’élévation du niveau de la mer. Ils sont également essentiels pour promouvoir la sécurité alimentaire, protéger les moyens de subsistance et assurer la croissance économique. La pêche en mer fournit des emplois à 300 millions de personnes et contribue à répondre aux besoins nutritionnels de 3 milliards de personnes. Son rôle est particulièrement important pour un grand nombre de communautés les plus pauvres dans le monde où le poisson est une source essentielle de protéines, de micronutriments et d’acides gras oméga-3. Le secteur de la pêche assure un filet de sécurité sociale, en particulier pour les femmes qui sont plus nombreuses que les hommes dans les activités secondaires liées à la pêche en mer et à l’aquaculture marine que sont la transformation et la commercialisation du poisson.

Les océans subissent aussi des pressions importantes dues au changement climatique. Dans le monde, le niveau de la mer a augmenté de 20 cm depuis le début du XXe siècle, principalement en raison de la dilation thermique des océans ainsi que de la fonte des glaciers et des calottes glaciaires. Dans certaines régions, l’élévation du niveau de la mer est encore plus importante. Les tendances générales au réchauffement, le blanchiment massif des coraux, l’acidification et l’élévation du niveau de la mer mettent en danger les écosystèmes dans toutes les régions, menaçant la pêche, les chaînes alimentaires et la capacité des océans à servir efficacement de puits de carbone. Les températures plus élevées augmentent la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes et la montée prévue du niveau des mers de deux mètres d’ici à la fin du siècle pourrait être catastrophique pour les habitats côtiers et les économies. Des centaines de millions de personnes sont menacées.

La situation au Nigéria fournit un exemple frappant de cette menace. Le littoral est essentiel pour les populations de l’État de Lagos et du delta du Niger, qui comptent 19 % de la population du pays et qui sont très vulnérables face à la pauvreté, à la croissance démographique, à l’urbanisation, à la pollution de l’eau et au mauvais état de santé, à un assainissement défectueux et à une mauvaise utilisation des sols. Lagos, en particulier, est menacée par l’érosion et les inondations du littoral. Si l’érosion est un phénomène naturel, les activités humaines, comme la construction de ports et d’installations de production pétrolière et de barrages sur les cours d’eau ainsi que l’extraction de sable, accentuent les risques. Le delta du Niger, dont les activités représentent 35 % du produit national brut et 90 % des recettes d’exportation, fait face à une perte importante de la biodiversité, à la déforestation, à la surpêche ainsi qu’à une perte des zones de frai due à la destruction des mangroves. Les déversements d’hydrocarbures continuent d’avoir un effet dévastateur sur les océans et les cours d’eau.

Ces exemples montrent que la conservation et l’utilisation durable des océans, des mers et des ressources marines vont bien au-delà du besoin d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses effets. Elles doivent comprendre toutes les activités liées aux océans, y compris la pêche et l’aquaculture, les sources terrestres de pollution, le tourisme, les transports et les nouvelles industries axées sur l’océan comme les énergies renouvelables produites en mer et la biotechnologie marine. Tous les problèmes auxquels les océans sont confrontés sont crées par l’homme; il est possible de les inverser par une action concertée et coordonnée. C’est ce à quoi visent l’ODD 14 et tous les objectifs connexes.

Les Nations Unies et leurs institutions spécialisées aident déjà les pays en développement à atteindre les cibles interdépendantes de l’ODD 14. L’objectif essentiel est de rechercher des solutions pour harmoniser le développement économique et la santé des océans. Nous ne pouvons pas continuer à causer des changements qui modifient les écosystèmes océaniques, voire les accélèrent. C’est pourquoi le système des Nations Unies travaille avec les gouvernements et le secteur international, le secteur privé et les organisations de la société civile pour renforcer les structures de gouvernance, promouvoir l’application des instruments juridiques internationaux ainsi que les divers outils de gestion comme la gestion intégrée des zones côtières et la planification de l’espace marin, et faciliter une approche coordonnée à l’application de la loi et des politiques afin d’assurer la protection de l’environnement et un développement économique durable.

Pour l’avenir, quatre mesures sont particulièrement importantes. Premièrement, mobiliser les décideurs à tous les échelons ainsi que la volonté politique et faciliter la création de partenariats. La Conférence sur les océans, qui aura lieu du 5 au 9 juin 2017 au Siège des Nations Unies à New York, mettra l’accent sur toutes les questions pertinentes souvent ignorées. Elle permettra aux parties prenantes de prendre des engagements concrets. Ce rassemblement est aussi une plate-forme qui permettra d’expliquer à tous les acteurs le cadre juridique international qui régit les mers et les océans ainsi que les outils et les méthodes nécessaires pour leur utilisation durable et leur conservation. Il sera particulièrement important de promouvoir des modes de consommation et de production durables, en particulier dans le secteur de la pêche, et de favoriser la mise en place de mécanismes axés sur le marché afin de réduire les déchets et la pollution.

Deuxièmement, traduire la volonté politique exprimée dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 en des engagements de financement pour renforcer les capacités. Les Nations Unies travaillent déjà avec les gouvernements sur la mise en place d’instruments financiers innovants comme les obligations bleues, les assurances et les échanges de créances contre l’adaptation. Conjointement aux entités qui octroient des subventions, comme le Fonds pour l’environnement mondial, le Fonds vert pour le climat et le Fonds pour l’adaptation, des moyens sont nécessaires pour améliorer la gouvernance des ressources et des environnements marins et promouvoir la diversification économique, la création d’emplois, la sécurité alimentaire, la réduction de la pauvreté et le développement économique durable.

Troisièmement, élargir la base des connaissances. Des données et des informations scientifiques et économiques de meilleure qualité sont nécessaires pour comprendre les conséquences et les coûts environnementaux des activités humaines sur les océans, les répercussions socio-économiques de la baisse du niveau des mers sur le bien-être humain ainsi que les synergies et le rééquilibrage entre les différentes politiques. Ces données seront fournies par divers rapports et évaluations, comme le rapport du Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat sur les océans et la cryosphère ainsi que le Mécanisme de notification et d’évaluation systématiques à l’échelle mondiale de l’état du milieu marin, y compris les aspects économiques. Je salue aussi la contribution du Partenariat mondial pour les données du développement durable qui œuvre à combler les lacunes critiques des données et à assurer l’accès à ces dernières et leur utilisation. Il nous faut exploiter le potentiel des mégadonnées afin d’identifier les risques en temps réel et de les traiter. Les données sont l’élément moteur de toute décision et la matière première de toute responsabilité. Elles peuvent compléter et renforcer les statistiques traditionnelles et engager le monde vers l’égalité d’information où tous les citoyens, toutes les organisations et tous les gouvernements disposent, au moment opportun, d’informations satisfaisantes et prennent les bonnes décisions qui peuvent améliorer la vie des personnes.

Quatrièmement, partager les meilleures pratiques et expériences. Un grand nombre de solutions les plus innovantes sont locales allant des zones maritimes gérées à la gestion de la pêche collective effectuée par les coopératives. Si toutes ne peuvent pas être reproduites à une grande échelle, certaines peuvent avoir une plus grande portée. Les différentes cultures et les différents systèmes de connaissances, y compris les savoirs traditionnels, peuvent offrir de nouvelles perspectives à l’innovation et à la compréhension des questions essentielles liées au développement durable, comme la responsabilité intergénérationnelle. Il sera aussi primordial d’éduquer les jeunes à la fragilité de l’environnement marin et à son importance pour le développement durable.

La préservation de l’intégrité des écosystèmes marins nécessitera une transformation profonde de la manière dont l’humanité considère ces ressources fragiles, limitées et irremplaçables, et les utilise. Mais si nous suivons les orientations données par le Programme 2030 et investissons judicieusement dans le développement durable, nous pouvons maintenir et améliorer la qualité de vie que les mers, les océans et les ressources marines offrent à l’humanité.

Depuis les quelques années pendant lesquelles j’ai pris part à l’élaboration et à la mise en œuvre du Programme 2030, j’ai vu le rôle essentiel que les Nations Unies jouent en faveur du rapprochement des peuples, offrant une tribune de discussion et fournissant des données, des analyses et des options politiques qui font autorité. Et, lorsqu’à une période récente, j’ai occupé le poste de Ministre de l’environnement au Nigéria, j’ai vu non seulement les besoins de près, mais aussi la volonté des personnes à contribuer à la résolution des problèmes pour leur communauté et pour le monde. Cet esprit, conjugué à l’appui du système des Nations Unies, peut permettre de réaliser des progrès importants. Je me réjouis de travailler partout avec les partenaires afin d’engager les personnes et la planète – y compris les océans et les mers si précieux – sur la voie d’un développement durable.

*Vice-Secrétaire générale des Nations Unies.