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70ème Festival International du Film de Cannes - UNE HIRONDELLE ALGÉRIENNE FERA-T-ELLE LE PRINTEMPS CANNOIS ?

par De Notre Envoyé Spécial À Cannes : Tewfik Hakem

Ouverture ce soir de la 70ème édition du Festival de Cannes. L'occasion de découvrir en avant première le premier long-métrage de Karim Moussaoui, «En attendant les hirondelles», sélectionné dans le cadre d'Un Certain Regard et qui représentera l'Algérie dans ce grand rendez-vous des cinémas du monde. Notre envoyé spécial à Cannes dresse la liste des autres films à voir durant les 12 jours du Festival et observe les dernières mutations de l'industrie cinématographique.

Quels sont les films capables de rendre lisible les bouleversements du monde ? Ou alors: quels films réussissent à synthétiser au mieux nos angoisses du moment ? C'est la feuille de route de l'envoyé spécial du Quotidien d'Oran à Cannes. On sait que les bonnes résolutions de début de Festival ne sont jamais tenues, qu'une fois de plus, encore une fois, toujours et toujours l'attrait de la fête l'emportera sur toutes autres considérations, mais on ne sait jamais, ça dépend aussi de la météo. Les jours de pluie on sera studieux, promis.

UNE PETITE SÉLECTION DE LA SÉLECTION OFFICIELLE.

En sélection officielle, les histoires qui se coltinent les temps présents sont minoritaires. Nous avons quand même déniché cinq en compétition. En tête «AUS DEM NICHTS» de Fatih Akin, cinéaste turco-allemand connu pour explorer la thématique du déracinement et la place des «bâtards de la mondialisation» en occident quand les vents des nationalismes identitaires se lèvent. Avec une star au casting (Diane Kruger), Fatih Akin revient avec une histoire de vengeance au sein de la communauté turque-allemande.

Comme il n'y a aucun film arabe, aucun film perse, aucun film africain en compétition cette année, le film de Fatih Akin a en quelque sorte bénéficié d'un favorable report de voix. Ne serait-ce que parce qu'il sera question d'une certaine nuit chaude de la Saint- Sylvestre à Cologne et que l'action se déroule dans Les quartiers turcs de Berlin, au plus fort des tensions entre Erdogan et Merkel. Dans la langue de Goethe «AUS DEM NICHTS» ne veut pas dire «Tous les autres s'appellent Ali, le retour», en langue de Dickens ça donne «In the Fade»?

Autre film qui suscite la curiosité, «JUPITER'S MOON «, et pas seulement parce que son titre est joli. L'action se passe dans un pays européen dirigé par un premier ministre nationaliste et xénophobe. Si le film tient les promesses de son résumé on peut saluer le hongrois Kornél Mundruczó de faire de la résistance au régime de Viktor Orbán. C'est l'histoire d'un jeune immigrant jeté dans un camp de réfugiés qu'un scientifique essaye d'extirper ? pour profiter de ses dons de lévitation ! Intrigante intrigue !

On reste dans la même actualité, l'autrichien au deux palmes d'or, Michael Haneke donc, propose «HAPPY END», qui obtient déjà la palme du meilleur synopsis, avec juste une petite phrase, un phrase juste: «Tout autour le Monde et nous au milieu, aveugles.» Le film traite de la Jungle de Calais, et confrontera une»famille bourgeoise européenne», au»monde autour». La famille ? Jean-Louis Trintignant, Isabelle Huppert, Mathieu Kassovitz. On va adorer les détester ( ou pas, d'ailleurs).

On passe à l'Ukraine avec «A GENTLE CREATURE «de Sergei Loznitsa, une nouvelle adaptation de «La Douce» de Dostoïevski, près d'un demi-siècle après le film de Robert Bresson. Le Pitch ne nous laisse pas de marbre : «une femme vit seule à la périphérie d'un village en Russie. Un jour, elle reçoit un colis qu'elle a envoyé à son mari incarcéré, marqué «retour à l'expéditeur». Choquée et désorientée, elle n'a d'autre choix que de se rendre à la prison, dans une région éloignée du pays, à la recherche d'une explication?». On ne sait pas si la pauvre dame va emmener un coq avec elle - à la manière de Keltoum dans «Le Vent des Aurès», mais c'est chronique d'un mélo social annoncé. Puisse-t-il être à la hauteur de nos attentes. Les deux précédents films de Sergei Loznitsa«My Joy» et «Dans la brume» étaient plutôt réussis.

Enfin pour terminer ce top 5, «OKJA» du sud-coréen Bong Joon-Ho, fable sur l'Amérique et l'ultra-libéralisme, film qui mélange les genres, avec «un animal imposant» sorti de ses montagnes coréennes. Cet espèce de Yéti est une créature inventée, mais les hommes et les femmes qui convoitent la bête ou qui veulent la protéger pour servir leurs intérêts sont nos frères humains contemporains. Tilda Swinton et Jake Gyllenhaal n'ont pas les beaux rôles. Ca donne envie.

Le reste de la compétition officielle donne la priorité aux stars qui font faire la montée des marches. Il y a beaucoup de célébrités dans des films à priori de moindre intérêt. Colin Farrell, Nicole Kidman et Kirsten Dunst sont dans le dernier Sofia Coppola «LES PROIES», un film costumé se déroulant pendant la guerre de Sécession. Colin Farrell et Nicole Kidman resteront à Cannes car l'un et l'autre sont présents dans d'autres films retenus. Joaquin Phoenix est dans «YOU WERE NEVER REALLY HERE» de Lynne Ramsay. Julianne Moore est dans le dernier Todd Haynes «WONDERSTRUCK». Vincent Lindon est «RODIN» chez Jacques Doillon. Sont attendus également Dustin Hoffman, Adam Sander, Ben Stiller, Emma Thompson, Candice Bergen, protagonistes de «THE MEYEROWITZ STORIES» DE Noah Baumbach.

Voilà pour les films qui brigueront la palme d'or. En sélection officielle, il y a d'autres films hors compétition. Nos radars en ont sélectionné deux.

«LA DOULEUR DE LA MER » de Vanessa Redgrave (!). Cette immense actrice, engagée depuis des lustres dans toutes les bonnes causes des damnés de la Terre, réalise son premier film. Comme son titre l'indique il évoquera le sort fait aux harragas et aux migrants.

L'autre film à ne pas louper traitera de l'islamophobie là où elle s'exerce vraiment et violemment. Après avoir cuisiné Jacques Vergès, Barbet Schroeder est allé réglé son compte au «VENERABLE W.» un moine des plus influent en Birmanie ( ou 90% de la population est bouddhiste, censée être zen donc) animé d'une redoutable et destructrice islamophobie.

UN CERTAIN REGARD SUR L'ALGÉRIE

On passe au deuxième programme de la sélection officielle qui s'appelle un Certain Regard qui lui aussi à son jury, ses prix et ses films hors compétition ( vous suivez ? ). Initié d'abord pour accueillir des films d'auteurs comme un laboratoire des écritures singulières, Un Certain Regard donne de plus en plus l'impression d'un second collège où l'on retrouve des cinéastes autrefois archi primés, même «palmé d'or» et à qui on ne veut plus donner une place en compétition officielle (Laurent Cantet, par exemple). On y ajuste le nombre de femmes oubliées dans la first-list ( l'italienne Annarita Zambrano entre autres). L'on se souvient ici des pays émergents d'où la présence d'un Algérien (Karim Moussaoui «En attendant les hirondelles»), d'une Tunisienne ( Kaouther Ben Hania- après «Le chellat-balafreur de Tunis» elle revient avec «La Belle et la meute»), et d'un iranien (Mohamed Rasoulof). Pour être honnête, il arrive aussi qu'un réalisateur remarqué dans le cadre d'Un Certain Regard finisse par trouver une place dans la short liste des VIP de la compétition officielle.

Après le succès aussi large que mérité de son moyen-métrage «Les Jours d'Avant», l'Algérois Karim Moussaoui décroche dès son premier long une place de choix dans le monde convoité du Festival de Cannes. Avec «En attendant les hirondelles», il concourt pour le prix d'Un Certain Regard mais également pour la Caméra d'or qui est remise par un troisième jury au meilleur premier long-métrage, toutes sélections confondues ( vous suivez toujours ?).

Parallèlement aux deux sélections officielles du Festival de Cannes et leurs lots de films hors-compétition, de projections spéciales, de séances de minuit, il y a La Quinzaine des Réalisateurs, La Semaine de la Critique ( premiers et deuxièmes films) et l'ACID ( une sélection des films indépendants). Voilà, tout est bien expliqué ? Ah, non, on a failli oublier une autre sélection qui appartient aux officielles du Festival: Cannes Classics consacrée aux vieux films importants du cinéma, les classiques restaurés. Hélas pas de «Tahia Ya Didou» de Mohammed Zinet ni de «Omar Gatlato» de Merzak Allouache qui viennent d'être eux aussi restaurés.

C'ÉTAIT LA DERNIÈRE SÉANCE ET LE RIDEAU SUR L'ÉCRAN EST TOMBÉ

Enfin, le Festival de Cannes via son plus gros marché du film nous renseigne sur l'évolution de l'industrie cinématographique, les nouveaux rapports de force à l'intérieur de celle-ci, et les dernières technologies liées au cinéma.

Les deux premières polémiques de cette 70ème édition sont plus que révélatrices, elles résument parfaitement la situation du cinéma, art et industrie du siècle dernier, à l'heure des grandes mutations numériques.

Première polémique: deux films de la compétition officielle, The Meyerowitz Stories de Noah Baumbach et Okja de Bong Joon-ho, ont été produits par Netflix. La plate-forme de diffusion par abonnement n'a pas l'intention de sortir ses films en salles, pour privilégier les abonnés et les abonnements, normal. Or, jusqu'à présent, dans l'ancien modèle économique, le film ne pouvait être vendu -ou loué en vidéo à la demande- que quatre mois après sa sortie en salles et trente-six mois après sur une plate-forme de vidéo à la demande par abonnement, comme Netflix, Canalplay, Amazon? Les exploitants, les producteurs, se sont élevés contre o'arrogance du nouveau venu qui bouscule les codes et ont demandé aux organisateurs du Festival de retirer les deux films qui concourent pour la Palme d'Or. Dans un communiqué publié la semaine dernière, Le Festival de Cannes fait savoir qu'il «a demandé en vain à Netflix d'accepter» que les deux films puissent sortir en salles et ne soient «pas uniquement» disponibles pour les abonnés. Le Festival de Cannes «déplore qu'aucun accord n'ait pu être trouvé» et annonce une modification de son règlement pour 2018, qui «imposerait» une sortie en salles pour tout film en compétition. Cruciale pour des raisons économiques, l'exploitation d'un film en salle permet de bénéficier d'une taxe prélevée sur chaque ticket vendu qui sert au financement du cinéma local. Netflix n'en a cure. Sur la façade d'un palace de la croisette la plate forme américaine qui compte aux 98 millions d'abonnés dans le monde s'est offert une affiche géante du film coréen qu'elle produit pour annoncer sa date de diffusion: «Okja. Netflix, le 28 juin».

La guerre est déclarée mais ça ressemble bigrement à un combat perdu d'avance, car la «magie» du grand écran et la -soit-disant- communion dans une salle, qui y croit encore aujourd'hui à l'heure des écrans baladeurs ?

Entre les pour et les contre Netflix, il y a encore de la place pour les intermédiaires malins comme Screening, autre acteur américain, dont le concept est de proposer les dernières sorties cinéma à regarder chez soi, dans son salon. 50 dollars pour la location d'un film 48h (mais il faut d'abord acheter le décodeur antipiratage qui coûte de 150 dollars).

La deuxième polémique est la soeur jumelle de la première - même si elle n'a pas trop fait de vagues. Cette année, dans le cadre de ces fameuses «projections hors compétition» on verra en exclusivité les premiers épisodes de la deuxième saison de «Top Of The Lake» de Jane Campion et deux épisodes de la troisième saison très attendue (25 ans quand même !) de «Twin Peaks» de David Lynch. Le Festival s'ouvre aux séries, ou plutôt les séries s'invitent à Cannes. Quand on pose à Thierry Frémaux, le délégué général du Festival, la question de savoir si on ne s'achemine pas vers d'autres formats de fiction que le long-métrage classique, il esquive. «C'est parce que ces deux séries sont signées Lynch et Campion que nous montrons leurs films, c'est une façon de donner des nouvelles de quelques cinéastes qui nous sont chers» s'est-il défendu en conférence de presse. Tout en rappelant que l'australienne Jane Campion et l'américain David Lynch ont obtenu tous les deux la palme d'or. Bien sûr, bien sûr? Bref, Cannes a cédé à son tour. En février 2016, le festival de Berlin a été le premier à franchir le pas, en projetant les premiers épisodes de «The Night Manager», fiction inspirée de James Bond. En septembre de la même année, le doyen des festivals de cinéma, la Mostra de Venise assurait l'exclusivité des premiers épisodes de la série «The Young Pope», réalisée par Paolo Sorrentino (l'histoire d'un pape controversé).

Pierre Lescure, le président du Festival de Cannes, lui est moins évasif: «C'est une évolution normale de la production audiovisuelle» a-t-il concédé avant d'exprimer sa «perplexité» devant la multiplication de projets de festivals consacrés aux séries, dont un est prévu en 2018? à Cannes !

Sinon le festival des cannes, c'est aussi à Cannes ! L'âge moyen des habitants de cette charmante petite ville balnéaire flirte avec celui de son prestigieux festival. On exagère un peu mais on se plaint pas, car ici dans la French Riviera la jeunesse emmerde le Festival de Cannes et vote pour le Front National. Entre le Pepsi et le Coca, on opte pour le ni-ni. Champagne sinon rien.



Pedro Almodovar : préside le jury du 70ème



Pas de chance pour le réalisateur espagnol Pedro Almodovar, il est Président du Jury de la compétition officielle une année de vaches maigres. L'affiche n'est pas très alléchante et on ne compte plus les films qu'on attendait et qui ne sont pas là. A commencer par le cas Abdellatif Kechiche, et son adaptation dans sa Tunisie d'origine du roman de François Bégaudeau «La blessure, la vraie». On ne verra pas non plus le dernier film du dernier grand réalisateur américain Paul Thomas Anderson The Phantom Thread (titre provisoire), avec Daniel Day-Lewis. On ne saura pas si le britannique Stephen Frears a retrouvé sa forme d'antan avec Victoria and Abdul, son dernier film en costumes- sur l'amitié entre la reine Victoria et son professeur hindi. Plus navrant encore Nadir Moknèche, le plus almodovarien des cinéastes algériens a été une fois de plus retoqué par l'ensemble des sélections cannoises. Pourtant, pour son dernier film il a sacrifié Biyouna pour prendre à la place Fanny Ardant. En vain. Lola Pater, 5ème long-métrage de Nadir Moknèche sort cet été. Le premier long-métrage de Sofia Djama Les Bienheureux fait lui aussi partie des malheureux nombreux films non retenus. L'Afrique pas blanche est une fois de plus absente, Mahamat Salah-Haroun a bien terminé Une saison en France, sur l'exil d'un professeur centrafricain qui demande l'asile politique avec sa famille, mais entre temps il est devenu ministre de la culture de son pays le Tchad ( c'est Mahamat Salah-Haroun qui est devenu ministre, pas le héros de son film). On ne verra pas non plus Blade Runner 2049, la suite du film SF culte de Ridley Scott réalisée par Denis Villeneuve avec Ryan Gosling et Harrison Ford. Ni le film américain de Xavier Dolan. Ni le polar de Steven Soderbergh (avec Daniel Craig). Ni le premier film d'un certain Georges Clooney scénarisé par les frères Coen avec Matt Damon. Le dernier opus de Lars Von Trier «The House that Jack Built» (avec Matt Dillon, Uma Thuman et Bruno Ganz ) n'est pas prêt et on n'a plus de nouvelles de Wong Kar Waï et de Nanni Moretti?



Uma Thurman : préside le jury d'un Certain Regard et Sandrine Kiberlain celui de la caméra d'or



Et ces deux jury sont importants car ils vont juger le seul film algérien présent à Cannes, «En attendant les hirondelles» de Karim Moussaoui. Espérons que les deux comédiennes vont aimer ce film qui sera dévoilé en avant-première le 22 mai. La caméra d'or, rappelons le, est le prix qui consacre le meilleur premier film toutes sélections confondues. Depuis sa création en 1978 par Gilles Jacob, le prix a notamment distingué des chef d'oeuvres et révélé des auteurs, exemples: Stranger than Paradise de Jim Jarmusch (1984), Le Ballon blanc de Jafar Panahi (1995), Hunger de Steve McQueen (2008). Il y a aussi des contre-exemples: l'année dernière, la caméra d'or a été attribuée au pénible et pathétique Divines de Houda Benyamina, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs.



ABDELATIF KECHICHE : «Nous pleurerons le 28 mai quand le festival sera terminé. Mais nous aurons un espoir: Cannes 2018»



Le réalisateur franco-tunisien est en conflit ouvert avec ses partenaires financiers et particulièrement France Télévisions. Ces derniers estiment qu'il n'a pas respecté ses contrats. En cause:son adaptation en deux films, au lieu d'un, du roma, de François Bégaudeau«La blessure, la vraie». Le cinéaste, qui aurait fait évoluer son adaptation vers «quelque chose de beaucoup plus romanesque», «une sorte de saga familiale, de conte philosophique, ce qui a donné à l'arrivée deux films indépendants l'un de l'autre». A l'origine le projet s'appelait Mektoub is mektoub, à l'arrivée deux films intitulés Les dés sont jetés et Pray for Jack . «L'un traite d'une quête de la lumière et l'autre de sa perte. Et un troisième volet n'est pas exclu», a-t-il expliqué au quotidien de sa ville d'origine «Nice Matin». «J'avais signé avec plusieurs partenaires financiers, France Télévisions, Canal+, Pathé Films. Je m'étais engagé pour un film. À l'arrivée, il y en a deux. Cela sort du cadre normal ce qui a posé un problème avec les contrats. Surtout à France Télévisions». La raison de son absence à Cannes cette année expliquée, Abdelatif Kechiche annonce que «la justice va trancher». «Nous pleurerons le 28 mai quand le festival sera terminé. Mais nous aurons un espoir: Cannes 2018». Souvent en conflit avec ses producteurs français, l'auteur de La Graine et le Mulet et La Vie d'Adèle» (palme d'or) indique dans cet entretien trouver «plus facilement de l'argent à l'étranger qu'en France».