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Il était une fois la JSK

par Hatem Youcef

Descendra, descendra pas ? Telle est la lancinante question qui lacère le cœur et taraude l'esprit des amoureux de la JSK, et aguiche la curiosité de tous ceux qui suivent l'actualité footballistique de près ou de loin.

Cette question revient pratiquement chaque année depuis au moins une décennie sans que ce club mythique de la Kabylie ne trouve ni le salut ni le coup de grâce.

Les jeunes d'aujourd'hui doivent sans doute s'étonner de tout ce tapage médiatique fait autour d'une éventuelle rétrogradation d'un club de Ligue 1 alors que des clubs non moins prestigieux à l'instar de l'ESS, l'USMA, le MCA, le MCO ont eux aussi connu les affres des la déchéance. C'est que la JSK n'est pas une équipe comme les autres et même ses adversaires les plus farouches le confirmeraient.

Les années d'or

En effet, depuis son accession en division supérieure en 1969 /1970, la JSK n'est jamais redescendue dans les divisions inférieures et c'est justement l'une des raisons qui font que son éventuelle rétrogradation constitue un événement et une première et pour le club le plus titré d'Algérie et pour le football national. Depuis l'indépendance, la JSK n'a séjourné qu'une saison en division 4, cinq (5) saisons en D3, une seule année en D2 et bien entendu quarante-huit (48) saisons en première division. Pour son tout premier match en première division justement, La JSK donna la réplique à l'ES Guelma dans les bases de cette dernière et obtint un score de parité. Elle obtint son premier championnat d'Algérie en 1972-1973 et le conserva l'année suivante. Ce ne devait pas être la seule fois où la JSK allait s'adjuger le titre deux fois de suite ; ce fut le cas dans les années 1982, 1983, 1985, 1986, 1989, et 1990. Douze (12) autres titres de championnat viendront étoffer un palmarès fait de quatorze (14) championnats, cinq (5) coupes d'Algérie, une super-coupe, et bien entendu les six coupes d'Afrique et la toute première super-coupe d'Afrique appelée alors le Tournoi de la Fraternité organisé en Côte d'Ivoire en 1982. De 1972/1973 jusqu'à la fabuleuse saison 1985/1986, la JSK n'a quitté le podium qu'une seule fois lors de l'exercice 1974/1975. Depuis son tout premier championnat jusqu'à la saison 2015/2016, la JSK collectionna pas moins de 31 podium dont les 14 titres bien sûr, mais aussi 11 fois la place de dauphin et 6 fois celle du troisième. La première participation de la JSK à une compétition internationale remonte à la saison 1978/1979 et elle perdit devant l'AS Vita Club en quart de finale. Trois décennies après, la JSK devient le 7e meilleur club africain de la décennie (2001-2010) selon l'IFFHS.* Elle fait également partie du Top 10 des meilleurs clubs africains du XXe siècle. C'est aussi la seule équipe africaine qui a gagné trois coupes de la CAF trois années de suite. Les records, ça connaît la JSK, à preuve la saison 1985/1986 qui est sans nul doute celle de tous les records puisqu'elle comprend celui du plus grand nombre de points, 98 en l'occurrence, mais aussi le même chiffre pour un autre record de nombre de buts marqués avec à la clé le record du meilleur buteur sur une saison qui a immortalisé Nacer Bouiche qui avait marqué rien moins que 36 buts. Par ailleurs, la JSK détient le record du plus grand nombre de souliers d'or algériens, soit un total de 13 souliers glanés par des buteurs aussi racés que Bouiche, Bailèche, Hadj Adlane, Berguigua, et feu Ebossé, entre autres. 1985/1986 est aussi la saison d'un autre record que la JSK partage avec l'USMA d'Alger, en l'occurrence celui du plus large score, à savoir 11 buts inscrits dans les filets de la défunte DNC. La JSK détient le record du nombre de doublés, celui du plus grand nombre de podiums et celui du plus petit nombre de but encaissés en une saison, 11 buts en 1997/1998. La saison 1985 /1986 est aussi celle du second doublé ; le premier étant obtenu lors de la saison 1976/1977. La JSK a aussi inscrit son nom dans le livre des records par ses trois (3) fameuses coupes de la CAF susmentionnées obtenues successivement en 2000, 2001 et 2002 qui ont fait d'elle l'une des deux seules équipes au monde à avoir réussi cet exploit. En outre, lorsque la JSK avait gagné sa première coupe d'Afrique en 1981, le club n'avait perdu aucun match et s'était même offert le luxe de revenir avec le trophée de Kinshasa non sans battre son adversaire, le Vita Club en l'occurrence, à l'aller et au retour. En moins de quinze ans, la JSK devint un club professionnel dans un championnat amateur étant donné le système économique de l'époque. Les clubs n'étaient rattachés aux sociétés nationales où les joueurs étaient employés qu'à partir de la réforme sportive. L'ENIEM (ex SONELEC) chapeautait la JSK comme l'atteste le nom JET (Jeunesse Electronique de Tizi Ouzou) que les autorités de l'époque lui avaient accolé comme ils avaient fait avec d'autres clubs d'Algérie comme le MPA, le MPO, USKA, etc. Les Tchipalo, Larbès et autres pointaient à l'usine de Oued Aissi et lors des sacres, ils avaient pour toutes récompenses les appareils électroménagers qu'ils avaient eux-mêmes montés. Le nom JET connut une réputation certaine surtout durant la période de la Jumbo JET qui vit le club drivé par le célèbre duo Khalef-Ziwotko régner sans partage sur le football algérien. Le nom JET avait succédé à un autre nom qui connut une sinistre notoriété et fut honni par les supporters. Jamiat Sari El Kawkabi, puisque c'est de cette dénomination qu'il s'agit, déniait ouvertement au club son rôle de catalyseur de l'identité kabyle. Ce nom sonnait faux naturellement et ne tarda pas à disparaitre. La JSK était le Bayern d'Algérie, la qibla des meilleurs joueurs du pays qui rêvaient de porter le maillot jaune et vert du club qui permettait de gagner des titres, mais aussi de partir à l'étranger. Les Menad, Medane, Saib, Ghazi, en savent quelque chose, et les Douadi, Boukadoum, Dali, Boughrara devenaient des enfants du club rapidement tant ils s'adaptaient vite et étaient adoptés sans difficulté. La JSK s'était donné une stature de sélection nationale et les multiples coupes d'Afrique gagnées lui ont acquis des supporters dans tous le pays. Les autres clubs redoutaient et admiraient la JSK et prenaient exemples sur elle. C'était un club professionnel avant le professionnalisme.

Les années de disette

A l'heure du passage officiel au professionnalisme, la JSK sombre dans l'amateurisme à tout va. Alors qu'elle pouvait aspirer au même statut que des clubs africains aussi huppés qu'El Ahly, l'Espérance de Tunis, et le TP Mazembe, avoir pour cible première la Champion's League africaine, avoir des infrastructures à la hauteur d'un géant du football, avoir sa propre chaine de télévision, être une vraie entreprise en somme, la voilà qui fait dans l'à peu près depuis au moins une décennie. Contrairement au Bayern, la JSK n'a pas fait pas de place aux anciens joueurs, et elle n'est pas gérée par ceux-là mêmes qui l'ont hissée au summum. Il y a eu certes quelques enfants du club qui ont drivé l'équipe et remporté des titres, mais n'ont pas fait long feu. Le changement de staff chaque année, voire chaque trimestre, a valu à la JSK un autre record, celui du nombre d'entraineurs consommés. Combien d'entraineurs se sont en effet vu humiliés, chassés comme des malpropres et/ou forcés à abdiquer? On libère et recrute pas moins d'une dizaine de joueurs chaque année, et on réussit la prouesse de faire de la JSK un club qui n'attire plus les meilleurs joueurs du pays. La JSK en est réduite à faire ses emplettes au marché aux puces, racheter au rabais des joueurs honnis par leurs clubs précédents, des joueurs restés inactifs pendant des mois, des joueurs qui sont, de l'avis des consultants et spécialistes, incapables d'assimiler la culture tactique, ne sachant même pas se placer sur le terrain, des joueurs presque ou pas du tout formés en somme. Combien de joueurs ont enfilé le maillot vert et jaune du club ces dix dernières années? La JSK a négligé la formation, ne prospecte plus dans la région et se paie même le luxe de laisser filer des perles qui s'en vont faire le bonheur d'autres équipes. En dépit du célébrissime sigle, la JSK ne parle plus Kabyle et n'est pas l'Atletico de Bilbao où ne joue pas qui n'est pas basque. Alors que jadis le gros de l'ossature était issu de la région avec deux ou trois joueurs venus d'autres régions du pays, maintenant c'est tout le contraire, d'où le manque de motivation et l'absence criarde d'engagement chez les joueurs d'aujourd'hui qui ne mouillent aucunement le maillot. Par contre, la JSK est devenue une boîte à scandale où les invectives constituent l'unique discours que reprennent les journaux spécialisés qui ne manquent jamais de faire parler le président, l'entraineur et les joueurs.

Ce n'est plus une équipe redoutable, mais une équipe quelconque qui prend des raclées comme le fameux 7 à 1 contre le CRB, les deux finales perdues contre le MCA en championnat et l'USMA en coupe en 1999. Il y eut certes les trois championnats obtenus lors des saisons 2003/2004, 2005/2006 et 2007/2008, mais plus rien depuis sauf la position de dauphin lors de cinq saisons. Alors qu'elle caracolait en tête du football national des années 1970 aux années 2000, la JSK végète en bas du tableau depuis une décennie et donne des sueurs froides aux amis et aux ennemis. En plus de tous les aléas rencontrés ça et là, il y a eu le sort qui s'est acharné sur le club avec la mort d'Ebossé lors de la saison 2014/2015 et les péripéties que le club a vécues par la suite.

Le club fut délocalisé, privé de coupe d'Afrique pendant deux ans, lâché par son entraineur belge qui ne pouvait plus continuer à travailler dans de telles conditions, la JSK connut l'une de ses pires saisons. Les supporters ont depuis longtemps déserté les gradins, chassés par les résultats et le piètre football développé, mais aussi par l'incivilité et la violence qui sévissent dans les stades.

Faut-il conclure ?

Faut-il conclure avec la JSK et se contenter de déverser des larmes de crocodile? N'est-ce pas que la maladie de la JSK est représentative de tout le mal qui ronge le football national ? La JSK doit-elle descendre pour mieux remonter, mourir pour renaître ? Le glas a-t-il définitivement sonné pour ce club mythique ? L'atmosphère nauséabonde du football national due à la qualité des joueurs, des entraineurs et des dirigeants, mais aussi à la surabondance de l'argent, ne convient visiblement pas à un nom comme la JSK. La Kabylie n'est peut-être plus digne de la JSK. S'il est vrai qu'aucun club ne mérite de connaitre la relégation tant il est très difficile de remonter, la JSK de par ce qu'elle a donné au pays, à ses supporters et aux joueurs, ne mérite pas d'être ailleurs qu'aux premières loges de la division supérieure.

Notes

*L'International Federation of Football History & Statistics.