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Beni-Saf : l'art culturel d'hier s'est dissipé dans la modicité d'aujourd'hui

par Benallal Mohamed*

  «La fête éphémère brise parfois, le cours d'une histoire. Mais si périssable soit-elle, elle engendre des semences d'idées et de désirs jusque-là inconnus et qui, souvent, lui survivent». Citation

Beni-Saf a déjà été contée par des nostalgiques, narrée par des écrivains, racontée par ses amoureux d'ici et d'ailleurs, décrite joliment, pour ses beaux et fabuleux paysages naturels et historiques. Cet ensemble est culminé par un ciel d'azur, le tout vitrifié dans une atmosphère magnanime. De hautes falaises de sable dur et de grés doré, un soleil toujours rond , ardent et brillant, son coucher se fait du côté de l'ouest (Maghreb), derrière l'île de Rachgoun et à l'arrière de l'île, un horizon fin de la mer bleue, donnant un gigantesque tableau naturel peint par de petits nuages aux formes insolites transpercés par des rayons de soleil visibles et pétillants.

Les gisements culturels

Sur le rivage, de petites criques de sable, modelant de petites plages, telles la plage du Puits, la Mersa de Sidi Boucif , la plage de Madrid et enfin celle de Rachgoun et bien d'autres belles et sauvages.

Ces plages représentent une cargaison d'histoires contées par des historiens portant sur ces sites, sur la vie quotidienne des Benisafiens et Benisafiennes, mais aussi un gisement pour l'extraction de la ressource touristique et culturelle.

Beni-Saf est un terroir très riche, économiquement, de par son gisement de minerai de fer, son exploitation a permis de donner un nouveau mode de production et de vie, typiquement Benisafien, soutenu par une infrastructure se rapportant à l'extraction et au transport local du minerai par rail, allant jusqu'au port, ce dernier était aménagé pour prendre une seconde fonction celle d'un port de pêche.

La culture agraire

Il y avait, aussi, le secteur de l'Agriculture qui était, aussi, bien portant, surtout ses orangeraies qui longeaient le cours de l'oued de La Tafna, les belles et grosses oranges de Benighamen, très succulentes ; il y avait aussi la vigne et ses caves, les oliviers et ses huileries, les céréales et son dock-silo de 35.000 q, situé à la plage du Puits, et bien sûr, la culture maraîchère. Les plus belles pinèdes de pins d'Alep exposaient le visage de la ville de Beni-Saf de façon très écologique, sans oublier le côté touristique qui faisait de la station balnéaire de la ville, un endroit très prisé par ceux qui habitent ailleurs que Beni-Saf.

L'art des Benisafiens

La vie publique de la ville de Beni-Saf n'était pas très compliquée, sa mairie d'antan pour ne pas dire ses services, était présente devant chaque petite nuisance pour sa terminaison. L'éducation et la mosquée façonnaient le Benisafien par des valeurs purement benisafiennes.

C'est parce que tout va bien, dans cette cité, que tout le monde dénichait quelque chose d'utile à faire, l'oisiveté ne trouvait plus de place, dans cette contrée. Tout cet ensemble vivait en parfait état d'harmonie et de sérénité. Beni-Saf était une cité où l'art du travail était sa première religion, les Benisafiens savaient beaucoup s'amuser, à chaque occasion qui se présentait à eux, les Tlemceniens passaient le temps de leurs occupations à la plage du Puits, à celles de Rachgoun, Madrid et au port. L'été, le jour et la nuit, les bruits sont en fête

Tôt le matin, les marchands ambulants envahissaient les rues de la ville on entendait des voix qui emplissaient les rues parcourues par des «sardinas frescas» ! ( sardine fraîche), des «morsillones» (moules), d'autres vendaient en porte à porte les «tchinbou» figues de Barbarie ou encore «El-Karmoss» ( figues), le marchand de vaisselle faisait du troc, vieux habits et chaussures usés s'échangeaient contre une casserole ou autres ustensiles. Une belle voix est celle du vendeur d'œufs «el oyé-bo» ; nos rues étaient très bien animées, c'était la belle vie de la cité. L'aquarium, lieu de savoir et de culture aquatique, sa bâtisse est unique, attirante par une curiosité que seul le concept touristique fait fructifier, en savoir culturel mais aussi économique.

La fête à Beni-Saf

Il y avait, toujours, quelque chose à fêter, à Beni-Saf soit autour d'un mariage, d'une « ouaâda» que ce soit celle de «Sidi Boucif», ou celle de «Sidi Brek», ou encore de «Sidi Mohamed Belmeddah» et enfin, celle de «Ghar el baroud» du couscous à gogo et à longueur des fêtes accompagnées de la fantasia.

Le «Caldero» une spécialité à base de riz et de poissons variés, une gastronomie préparée, spécialement, pour la fête pour les intimes et particulièrement à Beni-Saf. La sardine est reine à Beni-Saf, sa grillade fait savourer les narines avant de l'avoir gouttée.

Le lieu de détente et de fêtes, c'est bien à la plage du Puits et surtout pendant la période estivale. L'été où s'invente aussi d'autres fêtes, la douce plage du Puits et son sable doré, la mer bleue, ses vagues et ses rochers baptisés par des noms français comme ceux de l'extrême ouest de la plage du Puits, il y avait le «Rêve Bleu», «la Grenouille» et le «Crapaud» qui viennent de disparaître, à jamais, par la construction d'une jetée en pierraille très moche qui a falsifié le décor naturel de la plage. Il y avait aussi le «Chameau», la «Pierre Plate»... Ces différents rochers servaient de plongeoirs aux Benisafiens. Les plus beaux plongeons des enfants de Beni-Saf se faisaient à travers ses rochers, malheureusement l'absence de suivi de cette discipline sportive ne permettait pas de faire valoir un regard sur le podium d'une compétition nationale.

La plage de Sidi Boucif est renommée pour ses rochers baptisés des noms espagnols, une série de «Pedra» (pierre). Je citerai quelques-uns comme la «Pedra Oulika», la «Pedra Balcon», «la Pedra Maria», «la Pedra Pico» «la Pedra Plata» , «la Pedra Massonness», «la Pedra Paloma».

Le sous-marin de ces différents rochers est couvert de moules et de fleurs aquatiques vivantes, décorés par des anémones rouges appelées «tomate de mer» ainsi que des crabes. L'Aquarium était un bijou. La pêcherie et sa vente odorante à la criée, les chaluts qui rentrent matelassés de rougets, de rascasses et de toutes sortes de poissons, encore palpitants.

«La ripaille est la fête de l'affamé comme l'évasion est la fête du prisonnier et l'insurrection la fête de l'opprimé». Proverbe

La grande fête culturelle de l'année, à Beni-Saf n'était pas celle du 1er mai ou bien celle d'un aïd, ou encore une fête nationale,? c'était la fête benisafienne du « 15 août » qu'on a nommée «Quinzaouette».

Sur la plage, les ouvriers de la commune posaient sur le sable des dalles collées par du ciment formant une plate-forme de 2.000 m² (100m sur 20m ) pour y placer des chaises et des bancs destinés à des spectateurs, dos à la mer. La construction d'une piste en bois reposant sur de grands futs entourés de cannisses et décorées de palmes pour constituer le podium où s'installera l'orchestre formé de musiciens de talent.

Ensuite interviendra le comité d'organisation des fêtes qui s'emploie à préparer et coordonner le déroulement de la fête de la «Quinzaouette». Il faut dire que la commune, avec peu de moyens financiers et matériels, mais avec beaucoup de volonté et de savoir-faire, le comité des fêtes savait défier le miracle culturel. Comparée à aujourd'hui la commune ne dispose même pas d'un comité des fêtes et le budget communal ne renferme, même pas, d'un chapitre destiné à la Culture.

C'est la fête, la fête où jeunes et vieux, grands et petits étaient tous amis à Beni-Ssaf

La journée du 15 août (Quinzaouette), la fête bat son plein et ce, depuis le début de la matinée ; des jeux sur le sable se déploient, le jeu du candélabre en bois, bien graissé, planté au milieu du sable avec, au sommet, un cerceau où sont accrochés avec du fil fin une multitude de jouets pour enfants, les gosses, un à un, font du forcing pour grimper le long du poteau glissant.

Une ambiance bon enfant où même les grands s'en régalent qui durait toute la matinée. Un autre jeu consistant en une course «les pieds dans un sac» ; un autre jeu est celui des cruches suspendues et remplies de surprises. L'ensemble de ces jeux se faisait en mitoyenneté et dans l'espace et dans le temps.

Les jeux sur la plage

Les participants sont des jeunes, les yeux bandés et armés d'un bâton, ils essayent de localiser la cruche pour la briser d'un coup de bâton. Au large, le ski nautique crée son ambiance sportive et sa gymnastique nautique face aux estivants spectateurs installés sur le sable doré, sous des parasols. Non loin de la plage, au port, une autre animation sportive fait rassembler des spectateurs curieux : il y avait un plan d'eau réservé au jeu du «water polo» et un autre pour la course aux canards. L'après-midi de la «Quinzaouette», c'est au tour du cyclisme, une course qui prend son départ et son arrivée au même endroit, à la plage du Puits. De même que la fête foraine avec ses stands de tirs à la carabine, ses baraques de loteries, ses manèges de chevaux en bois ; il y avait aussi le fabuleux cirque «Amar». En fin d'après-midi, c'est la finale des tournois des sports collectifs à savoir : le football, le basket-ball, le hand-ball et la pétanque.

La musique non-stop à Beni-Saf

Chaque tranche de temps de cette fabuleuse journée de la «Quinzaouette» avait sa propre activité culturelle ou sportive ; le soir étant réservé à la fête musicale et la remise des trophées, des honneurs et des fleurs pour les vainqueurs de toutes les disciplines de cette journée. Les grands chanteurs de l'époque qui ont marqué les soirées de la «Quinzaouette» benisafien, étaient, entre autres, Rabah Daryassa ,Nora, Saim, Ahmed Wahbi- Rachid et Fethi, Salaoua, Amari, Maati Belkacem, Ahmed Zahir?..et bien d'autres artistes de renommés. Le « Raï » n'existait pas encore, mais son origine et début de son éclat ont été bien sur la plage du Puits et Bellemou, vous le confirmera. La fête musicale se terminait très tard, suivie d'un radio-crochet où des amateurs se distinguaient par des chansons égyptiennes de l'époque comme celles de Abdelhalim Hafez, Farid El Atrache...

Rachis Baba-Ahmed (Allah yarahmah) et son frère Fethi n'ont jamais refusé un gala, ils aimaient tellement la plage du Puits qu'ils mettaient tout le temps et la musique nécessaires à la disposition de ce quartier. Le parfum y était également, la beauté du site était sublime, le climat extra ; c'était la richesse, combiné entre l'homme et la nature que le Bon Dieu a créée.

Une fête pareille ne pouvait se passer qu'à Beni-Saf, elle avait le mérite de faire synchroniser, poétiser et rimailler le trio suivant : culturel, économique et sportif par une osmose de joie et de plaisir.

Le tourisme à Beni-Saf

Ceci mérite de se faire dans un autre but, afin d'éditer une petite notice, une carte, un manuel, sous forme d'un guide sur la ville de Beni-Saf sur mer «by day» et «by night» et de mieux faire connaitre la ville pour sa culture, son économie, ses mœurs, et son environnement ;, il s'agit tout naturellement que les clichés offrants, de préférence, un intérêt culturel et économique, faisant ressortir la personnalité du véritable Benisafien. Il s'agit de porter le film de cette fête de la «Quinzaouette» a une édition culturelle, à une émission télévisuelle, à la salle de théâtre, à la salle du cinéma et aussi vers d'autres horizons culturels

La fête de la «Quinzaouette» avait existé, admirablement durant les années 60 et 70, c'est un souvenir qui ne s'oubliera jamais ; c'était le bon vieux temps. Beni-Saf d'aujourd'hui vient de perdre ses hommes d'action, de terrain. Les valeurs propres du Benisafien se poétisent mal et se font généralement autour d'une table poissée d'un café du coin, avec plus de diseurs (el f'hay mya !) qui ne font que maudire encore plus ce bled par de l'incompétence qui enfante la médiocrité dans notre environnement culturel, économique , administratif, sportif, social et même spirituel. Nous avons hâte de revivre cette «Quinzaouette» !! Surtout pour nos petits enfants.

Car après la fête, pour n'importe quelle fête, ne vous limitez pas aux fruits, seulement de la prébende ; cultivez encore et toujours, avec une conscience créatrice qui vous permettra de faire toujours la fête pour que la cité retrouve son âme. Il ne reste plus cet esprit de culture ni chez le lambda , ni chez les élus, ni chez les responsables. Le tourisme n'a plus sa place dans cet état de fait malgré la construction de beaux hôtels au milieu d'un contexte en déliquescence culturelle.

*Ecrivain

* Quinzaouette : était une fête du 15 août, marquant la fin des vacances sinon de l'été benisafien, mais c'était, aussi, dans le temps, le début des vendanges.

* Les miscellanées du patrimoine Benisafien- Edition Ibn Khaldoun. Tlemcen