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L’Europe ne s’abstient pas pour Macron

par Guy Verhofstadt*

BRUXELLES – L’affiche du second tour de l’élection présidentielle française résume à elle seule le changement complet de paradigme politique en Europe. Emmanuel Macron et Marine Le Pen incarnent en effet deux choix de valeurs qui ne recoupent plus le clivage traditionnel droite-gauche mais le transcendent. Ce choc entre le courant progressiste, libéral et européen et le courant populiste, dirigiste et souverainiste a déjà marqué bien des élections en Europe, mais l’enjeu prend nécessairement une tout autre dimension à l’échelle d’un pays comme la France. Les forces souhaitant la destruction de l’UE en ont bien conscience comme le montrent les attaques numériques menées par des hackers russes contre le site d’En Marche ! et les appels explicites du Kremlin à voter Le Pen.

Je ne suis pas certain que les Français soient suffisamment informés du contexte géostratégique dramatique dans lequel se déroule cette élection, ni pleinement conscients de la responsabilité qui pèse sur leurs épaules. La France a marqué de son empreinte l’histoire de la plupart de ses voisins, à commencer par mon pays à moitié francophone, et au-delà elle a été un des principaux conquérant de la planète avant de devenir membre fondateur de l’UE. Cet héritage, une sorte de mondialisme avant l’heure, est paradoxalement renié par ceux qui se prétendent patriotes. C’est pourquoi il faut prendre au sérieux la menace que Marine Le Pen représente pour la pérennité d’une France ouverte. Et la pérennité de l’UE.

L’Elysée est encore loin d’être gagné pour Emmanuel Macron en raison d’un inquiétant relativisme qui semble s’installer dans l’opinion, avec une montée exponentielle de l’abstention dans les prévisions de vote. Les sondages, tellement critiqués pendant la campagne, ont pourtant été si précis pour cette élection qu’on ne peut ignorer cette alerte sur l’issue du scrutin. Si les candidats populistes autrichien, Norbert Hofer, et néerlandais, Geert Wilders, ont finalement été défaits aux récentes élections dans leur pays respectif, c’est d’abord et avant tout grâce à un sursaut de mobilisation électorale pour les contrer, et alors même que leur propres scores progressaient.

Certes Emmanuel Macron demeure favori et continue de disposer d’une confortable avance. Reste qu’à force de se faire décrier, rappeler sans cesse à son passé fantasmé de banquier et d’être accusé de tous les maux français et européens, ses réserves de voix pourraient s’épuiser. Il est temps que certains de ses concurrents battus au premier tour et les partis traditionnels se ressaisissent et s’engagent plus résolument derrière lui. Chacun sait bien sûr que le libéralisme a mauvaise presse en France et Macron a bien du mérite de s’en revendiquer. C’est cependant une consternante confusion de valeurs que de le placer au même plan que Le Pen.

Si Emmanuel Macron est élu le 7 mai prochain, chacun de ceux qui l’auront élu restera libre de critiquer son action et de la contrecarrer. D’autant que rien dans son programme n’est de nature à remettre en cause l’expression démocratique et l’Etat de droit, bien au contraire d’ailleurs avec sa loi de moralisation de la vie politique. Qui peut en dire autant si Marine Le Pen arrive au pouvoir ? Au-delà même du caractère insensé de son programme, qui peut assurer, parmi ceux qui rechignent à se désister pour Macron, qu’elle maintiendra le cadre institutionnel nécessaire à l’exercice de la démocratie ? La politique du pire est un jeu dangereux qui finit toujours mal.

*Ancien Premier ministre belge - Est président de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) au Parlement européen.