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Perte de sens attribuée au vote

par Mohamed Mebtoul

Le taux de participation aux élections législatives estimé à 38,25% est bien loin, à n'en pas douter, des espérances du pouvoir. Il aura pourtant pesé de tout son poids, en termes de moyens, de propagande, d'implication active et partisane de ses premiers responsables, sans oublier la forme de « mobilisation » forcée des gens, nous rappelant les procédés utilisés durant la période de70 (location de bus, paiement des personnes, pour les affichages, ou pour faire du présentéisme lors des meetings).

Il semble possible de noter la perte très importante de sens attribué au vote par une majorité d'Algériens. Il n'est plus un acte « citoyen » - encore faut-il que le citoyen puisse être reconnu publiquement et politiquement - qui autorise le changement, mais plutôt la reproduction à l'identique du système politique et de ses acteurs. C'est affligeant d'observer le niveau du discours politique qui est en total déphasage avec les attentes de la population et notamment des jeunes ; d'où ce glissement des enjeux. Il ne s'agit plus en effet d'une adhésion ou non à tel ou tel parti, ou d'une croyance ou non en une idéologie donnée.

La compréhension profonde et fine de ce qu'on a pu relever auprès des gens, a une lourde signification. Elle peut être interprétée par le refus catégorique exprimé par une large majorité, de façon radicale et sans ambages, du mode de fonctionnement actuel du politique. Il a perdu de sa crédibilité par absence d'exemplarité, se traduisant par des pratiques de dévoiement, de transgression des règles éthiques les plus élémentaires, qui laissent perplexe l'observateur sur le rôle de « l'élu ». Celui-ci se confond avec le pouvoir. Le « représentant du peuple » a plus le regard orienté vers le haut de la pyramide, où il s'agit de s'accaparer une place sociale privilégiée dans l'espace politique dominant.

A bien observer le mode de déroulement du vote dans les écoles, il est possible d'évoquer de façon rigoureuse une forte désertion sociale des personnes, et plus particulièrement des jeunes. Les discours de ces derniers mettaient l'accent sur le refus de se plier à un rituel de façon hypocrite et formelle qui ne représentait pas à leurs yeux un enjeu susceptible de modifier leur vie quotidienne.

En questionnant celles ou ceux qui ont voté, on était en présence d'un discours rhétorique et abstrait sur le bien et la prospérité de la Nation ; d'autres personnes ont mis l'accent sur l'habitude de voter, qu'on peut interpréter comme une routine rarement accompagnée d'une conviction politique forte concernant la liste qui sera choisie. La peur de l'administration et des papiers exigés, et notamment la carte de vote, est une motivation soulignée par certaines personnes qui sont parties voter. Il est aussi incontestable que les affinités familiales et tribales ont pesé dans le vote en l'absence précisément d'une citoyenneté forte et reconnue, qui aurait permis de façon sereine et apaisée un débat contradictoire et autonome entre les différents membres de l'institution familiale. Ce qui à l'évidence est impossible à imaginer dans une société dominée par un néo-patriarcat transversal à toutes les sphères de la vie sociale, et prégnant dans le champ politique. Celui-ci est porté encore à bout de bras par une génération vieillissante qui n'a ni l'ethos, ni les référents politiques adaptés à une population composée en majorité de jeunes.

Le refus de se remettre en question aboutit en réalité à la production d'un scrutin-fiction. Les images idéalisées à l'extrême, montrées à la télévision étatique, au cours du vote, accompagnées d'un discours se limitant à reproduire les injonctions venues d'en haut, étaient en rupture avec la réalité observée. La stagnation politique n'est pas propice à l'émergence et au renforcement du militantisme politique qui semble profondément se fissurer, intégrant alors tout acte politique dans une logique mercantile, même quand il s'agit de coller des affiches qui seront ultérieurement arrachées par colère, dépit ou refus d'intérioriser la tolérance et donc la concurrence politique.