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Paradis fiscaux, le vol organisé

par Akram Belkaïd, Paris

Rien ne change ou presque. Malgré les déclarations catégoriques des politiques, les paradis fiscaux demeurent un outil idéal pour diminuer l’imposition sur les bénéfices et pour priver les Etats de précieuses ressources. C’est ce qui ressort d’une étude que viennent de publier l’organisation non-gouvernementale Oxfam et le réseau Fair Finance Guide International (*). Le document s’intéresse à 20 grandes banques européennes et analyse leurs résultats pays par pays. Et le constat est édifiant : ces établissements, note Oxfam, «déclarent 1 euro sur 4 de leurs bénéfices dans les paradis fiscaux, soit un total de 25 milliards d’euros pour l’année 2015. Un montant en déconnexion complète avec la réalité économique de ces territoires, qui ne représentent que 5 % du PIB mondial et 1 % de la population mondiale.»
 
Parasites
 
En réalité, il n’est nul besoin de grandes démonstrations pour prouver que les paradis fiscaux opèrent un parasitage de l’économie mondiale. A preuve, Oxfam indique que les «plus grandes banques européennes déclarent 26 % de leurs bénéfices dans les paradis fiscaux (…) mais seulement 12 % de leur chiffre d’affaires et 7 % de leurs employés.» En d’autres termes, «le décalage est flagrant entre la part de leurs bénéfices déclarés dans les paradis fiscaux et celle des autres indicateurs d’activités que sont le chiffre d’affaires et la main-d’œuvre.»
Plus important encore, l’un des enseignements de l’étude est que «les activités des 20 banques européennes sont plus de deux fois plus lucratives dans les paradis fiscaux que dans les autres pays.» Ainsi, pour 100 euros de chiffre d’affaires, ces établissements déclarent 42 euros de bénéfices dans les paradis fiscaux, contre 19 euros en moyenne. Et Oxfam de relever des exemples pour le moins étonnants : «certains cas, tels que celui des Iles Caïmans, mettent en lumière le caractère atypique de ces juridictions, où les banques atteignent des sommets de rentabilité : pour 100 euros de chiffre d’affaires, ce sont 167 euros de bénéfices qui y sont en moyenne récoltés.» En clair, non seulement, il y a optimisation fiscale mais aussi maximisation des bénéfices. Et cela, en toute légalité, du moins pour le moment.
Que faire devant ces pratiques abusives ? La question est d’importance d’autant que l’étude ne concerne que les banques européennes lesquelles sont obligées par une directive européenne de faire preuve de transparence. D’autres secteurs ne sont donc pas concernés et il serait utile de connaître leurs chiffres dans ces paradis fiscaux. Car, à l’heure où les inégalités se creusent en Europe et où les partis populistes ont le vent en poupe, la nécessité de défendre une redistribution équitable des bénéfices est une priorité. Car cette fuite des ressources fiscales dont sont privés les Etats a pour conséquence immédiate d’affaiblir ces derniers.
 
Manque de solidarité
 
Pour autant, l’impunité demeure totale. Prompts à s’écharper sur les questions identitaires, les différents courants politiques évitent – à quelques exceptions près – d’aborder de front la nécessité de lutter sérieusement contre les paradis fiscaux. Certes, le problème est épineux ne serait-ce que parce que certains d’entre eux sont membres de l’Union européenne. C’est le cas de l’Irlande et du Luxembourg dont les dirigeants refusent la convergence communautaire en matière de législation fiscale. Mais dans un contexte de raréfaction des ressources budgétaires et d’aggravation des déficits et de l’endettement public, récupérer ne serait-ce qu’une partie des sommes détournées de l’impôt grâce aux paradis fiscaux serait un progrès énorme.
 (*) «Banques en exil : comment les grandes banques européennes profitent des paradis fiscaux», 27 mars 2017.