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Le point sur le classement mondial en fiscalité (Suite et fin)

par Mustapha Bensahli (*)

La même source conclut que malgré certains changements apportés au système fiscal marocain, depuis les assises de 2013 jusqu'à ce jour, aucune modification profonde ne s'est produite, substantiellement, sur le plan structurel du système fiscal pour être inscrite dans la durée.

Il est fait, même, ressortir que le caractère cédulaire subsiste encore, dans le système fiscal marocain par rapport à l'existence d'une pléthore d'impôts et taxes qui sont évalués à 79, recensés officiellement, mais en mettant, bout à bout, le différentes recettes fiscales et parafiscales affectées, aussi bien, au budget de l'Etat que celui des collectivités territoriales et d'autres organismes publics concernés et leur évaluation se situe au nombre d'environ 473. L'accent est mis, aussi, par ces analystes marocains sur la lenteur de l'évolution de la fiscalité marocaine qui laisse présager que les réformes, opérées à l'avenir, continueront à obéir à des impératifs plutôt conjoncturels et pour cause, elles sont loin de contribuer à faire du système fiscal un outil de transparence, de lisibilité et en tout cas capable de dissiper le sentiment des aléas à même d'affecter la compétitivité de l'entreprise marocaine.

En ce sens, ils ajoutent que toutes ces insuffisances tendent à altérer les décisions économiques des entreprises et en particulier les petites et moyennes entreprises avec, au final, son impact délétère sur la croissance économique et sur le climat des affaires. De même, en ce qui concerne les taux des impôts les plus importants comme l'impôt sur les sociétés et la TVA, force est de reconnaître qu'en Algérie ils sont sensiblement inférieurs à ceux pratiqués au Maroc.

Il suffit de prendre le cas de l'impôt sur les sociétés qui est en Algérie suivant la loi de Finances pour 2015 les taux sont les suivants :

- 19% pour les activités de production de biens,

- 23% pour les activités de travaux publics et de bâtiment, ainsi que les activités touristiques et thermales à l'exclusion des agences de voyages,

- 26% pour les autres activités.

Au Maroc, la loi de Finances 2016 a instauré des taux d'impositions sur les sociétés par tranche sur les bénéfices selon le barème suivant :

Montant du bénéfice net en dirhams --- Taux

Inférieur ou égal à 300 000 DH --- 10%

De 300 001 à 1 000 000 DH --- 20%

De 1 000 001 à 5 000 000 DH       --- 30%

Au-delà de 5 000 000 DH --- 31%

[rappel : 1 000 dirhams = 93 euros, NDR]

Les établissements de crédit et organismes assimilés, Bank Al Maghrib [banque centrale], la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), les sociétés d'assurance et de réassurance demeurent imposables au taux fort de 37%.

Les taux de TVA, en Algérie, sont passés depuis le 1er janvier 2017 pour le taux réduit de 7 à 9% et pour le taux normal de 17% à 19%, ceci pour compenser les moins values inhérentes à la chute du prix de pétrole, depuis 2014. A la différence au Maroc, il existe plusieurs taux qui sont les suivants : le taux normal de 20%, un taux de 14% pour les services de transport, les services financiers sont taxés à 10%, l'eau, le sucre et les médicaments sont taxés à 7% et l'alimentation est exonérée de toutes taxes. Il s'ensuit que sur de nombreux points d'application, la fiscalité, en Algérie, est pratiquement parfois plus en progrès par rapport à celle du Maroc, pour prendre comme exemple des taux d'IBS et de TVA qui sont, relativement, inférieurs. L'assertion avancée par ledit rapport, selon laquelle la fiscalité marocaine revêt toutes les qualités, au point de distancer nettement la fiscalité algérienne, est pour le moins sujette à caution.

b) La comparaison avec la fiscalité tunisienne :

Depuis plus de six ans, après le déclenchement de la révolte sociale de décembre 2010, la situation économique en est durement affectée, notamment par :

- un endettement non-productif,

- une perte de compétitivité et une prolifération de la fraude et de l'évasion fiscale,

- l'existence de près de 500 régimes fiscaux dérogatoires et 75 niches fiscales (il y a aussi 132 niches sociales chiffrées et 57 non chiffrées, la TVA comporte 9 taux), ce qui contribue à densifier la complexité,

- une nette régression des recettes fiscales, ce qui provoque le creusement du déficit budgétaire à même de compromettre les objectifs annoncés, dans la note d'orientation du plan de développement.

C'est ainsi que selon la Banque centrale tunisienne la progression des « ressources propres de l'Etat » reste, toutefois, en-dessous des prévisions de la loi de Finances pour 2016 (12,4% pour l'ensemble de l'année).

Donc, il est possible de déduire que dans ce cas de figure, il devient incompréhensible que la fiscalité tunisienne, avec tous les défauts qu'elle comporte, est à même de dépasser dans ledit classement, la fiscalité algérienne malgré les progrès que celle-ci ait, effectivement, enregistrés.

C) La comparaison avec la fiscalité libyenne :

Comme le pays se trouve, totalement, déstabilisé par le chaos qui sévit, depuis l'intervention militaire des pays occidentaux et dans ces conditions, elle ne peut pas, matériellement et en bonne règle, primer en termes de qualité sur la fiscalité de l'Algérie, comme le laissent croire, très abusivement, ledit rapport PwC.

Au fond, pour revenir à une meilleure évaluation de la situation, il ne fait aucun doute que la fiscalité algérienne n'a rien à envier à celle marocaine ou tunisienne, d'autant qu'il s'avère, comme il a été démontré utilement supra, elles ont pratiquement la même surface fiscale. Tout indique que le Cabinent international PwC a tendance à cristalliser un clivage forcé entre différentes fiscalités des pays de la région du Maghreb, alors que celles-ci se recoupent nettement, jusqu'à aboutir à avoir relativement la même surface fiscale. C'est pourquoi le classement acéré de la 155ème place de la fiscalité algérienne n'a pas, fondamentalement, de sens, ce en raison de son caractère notoirement subjectif et du reste, la comparaison entre les différentes fiscalités des pays du Maghreb en donne toute la mesure de la marge d'erreur relevée en l'occurrence.

La portée du classement en termes de crédibilité et d'objectivité

Comme le rapport dont il s'agit est loin d'être scellé, il mérite de faire l'objet d'une juste mise au point, en ce que le classement se prête à l'ambiguïté, ceci faute de correspondre à la réalité, particulièrement, pour ce qui concerne la fiscalité algérienne. En clair, il ressort en filigrane de ce classement :

- d'une part, des notes favorables sont attribuées à certains pays, par suite d'une certaine proximité bienveillante à leur égard,

- et d'autre part, quant à d'autres pays comme l'Algérie, ils sont placés devant le fait accompli en leur réservant un classement défavorable, sous prétexte de l'existence de quelques points de frictions, à l'application qui n'ont, pourtant rien d'acuité, en étant, tout simplement, inhérents par définition à tout processus de gestion.

En d'autres termes, si la fiscalité de certains pays est visiblement valorisée, dans le classement, en minimisant par mesure de tolérance les défauts qui la caractérisent, alors qu'en revanche pour d'autres pays il est fait en sorte de mettre sélectivement, sans ménagement, en exergue les mêmes défauts bien que relativement comparables, pour leur imposer, bien à tort, un net décalage dans le classement.

C'est, du reste, il faut l'avouer ce qui s'est passé pour la fiscalité de l'Algérie et ce faisant, c'est toute la question sur la crédibilité du rapport qui peut être soulevée, à juste titre. La manœuvre y est claire, dans la mesure où la parade trouvée par le microcosme initiateur consiste, pour justifier le mauvais classement, à grossir, intentionnellement et d'une manière disproportionnée les quelques défauts de la fiscalité de certains pays, ce en vue de parasiter, délibérément, son image en jetant, ainsi, de l'ombre avec pour effet de la marginaliser. Et pour cause, il suffit, à ce sujet, de prendre acte des avancées tangibles qui ont été réalisées, ces dernières années, par la fiscalité algérienne, comme il a été précisé, plus avant et qui se sont traduites en termes de modernité, de performance sur le plan de la simplification et de la transparence à tous les stades en tant que marqueurs significatifs de la gestion et de l'organisation.

Il existe tout un chantier ouvert et en constante évolution pour adapter la fiscalité au contexte actuel en pleine mutation et pour la rendre, suffisamment opérationnelle et cohérente.

Justement pour preuve, il est à signaler que lors du 5ème Sommet gouvernemental mondial ainsi qu'à l'ouverture du 2ème Forum arabe sur les Finances publiques, organisé à Dubaï (Emirats Arabes Unis) qui se sont déroulés, du 11 au 14 février 2017, avec la participation de 125 pays, de hauts responsables des institutions financières internationales et d'éminentes personnalités, Mme Christine Lagarde, directrice générale du FMI a considéré que l'expérience algérienne est «un bon exemple, en matière de maîtrise de politique budgétaire », à laquelle s'intègre comme élément constitutif la fiscalité. C'est ainsi que cette responsable a fait allusion, dans de bons termes, quant à l'adoption du cadre budgétaire à moyen terme fixant les objectifs de recettes et de dépenses, au titre des exercices à venir, dont l'application est amorcée à travers la loi de Finances de 2017. Tout en prenant l'exemple afférent à l'Algérie, la responsable du FMI souligne la nécessité, pour les économies arabes, de définir les objectifs de recettes, dans la conception d'une politique fiscale globale. Elle ajoute, dans ses déclarations sur l'Algérie, ce qui suit : «nous avons fourni des conseils sur la manière d'améliorer la conformité fiscale et la qualité des services aux contribuables». C'est dire que le FMI approuve, d'une certaine manière, la politique fiscale de l'Algérie et en matière d'efficacité budgétaire «à travers le programme mis en place, fixant les objectifs de recettes et de dépenses, sur plusieurs années».

De même, dans ses très récentes recommandations, le représentant du FMI reconnaît à l'Algérie que «les effets d'ajustement, au choc pétrolier, se poursuivent, les autorités ont réduit, de façon notable, le déficit budgétaire, en 2016, et ont adopté un ambitieux plan de redressement des finances publiques pour la période 2017-2019, elles ont, aussi, progressé dans l'amélioration du climat des affaires et œuvrent à une stratégie, à long terme, pour transformer le modèle de croissance du pays, de manière à promouvoir l'activité du secteur privé et la diversification de l'économie ».

Dans cet ordre d'idées, l'amélioration de la fiscalité algérienne est reconnue par benchmarks, au niveau international, et pour ne citer que l'UE qui a contribué par son apport à consolider son socle et à la rendre plus efficiente.

Toutes ces situations approuvées positives sont, fondamentalement, en contradiction avec le classement dérisoire attribué à la fiscalité de l'Algérie, en étant établi à l'initiative du Cabinet international PwC avec la collaboration de la Banque mondiale.

Dans cette perspective, un point d'actualité mérite d'être souligné, à savoir que l'Algérie est, actuellement sur la même ligne que la Maroc et la Tunisie en ce qui concerne le passage du mode physique avec l'utilisation du papier au mode électronique, avec le recours à la télé-déclaration et télé- paiement. Ce faisant, la fiscalité algérienne peut, pertinemment, rivaliser avec la fiscalité, que ce soit celle du Maroc ou de la Tunisie et encore plus avec celle de la Libye. Mais l'objectif de ce classement, au lieu de procéder, comme il est de règle, d'une certaine démarche factuelle et de pondération, sur la base d'éléments d'information recueillis, jugés probants, vise à accentuer la césure avec le fil rouge entre les différentes fiscalités des pays du Maghreb. Aussi, ce classement tend-il à prendre l'allure du montage d'un scénario, conçu sous forme de stéréotype anecdotique faisant abstraction de la logique qui voudrait, au préalable, qu'il soit soumis, par mesure, d'objectivité au pays concerné, pour qu'il puisse donner, utilement, son avis pour ou contre, en soutenant, à l'appui, un argumentaire bien étayé.

Que faut-il retenir en la circonstance, sinon que le Cabinet international PwC excelle avec la Banque mondiale en collaboration dans cet imbroglio du classement qui ne manque pas d'attiser les tensions, faisant croire, sciemment, à cet effet que le pays dans l'incapacité de maîtriser la gestion de l'outil fiscal, avec toutes les retombées négatives.

Tout indique un tel ciblage défavorable à l'Algérie qui peut être assimilé à une injonction avérée, loin d'être naturelle, visant, probablement, à faire croire, à travers le classement biaisé que la gestion de la fiscalité se trouve dans un état d'enlisement irréversible et que toute projection de modernisation sur l'avenir risque de devenir potentiellement incertaine.

Dès lors, ce classement concernant la fiscalité algérienne interpelle, nécessairement, en raison de son caractère jugé approximatif, par son manque de réalisme et c'est pourquoi, il mérite d'être récusé dans les règles requises, ce d'autant qu'il tend à procéder d'une manipulation au moyen d'artifices, tout en gommant avec une légèreté déconcertante les acquis réalisés à l'aune de ces dernières années.

Il y a une démarcation entre une conception qui s'inspire parfois d'un certain subjectivisme, voire à la limite d'une spéculation totalement gratuite, ce qui annonce de ce point de vue, une éventuelle erreur d'office inacceptable et une conception qui s'attache, en priorité, à des données rassurantes. Heureusement les autres organisations internationales font preuve d'objectivé, envers l'Algérie, en d'autres domaines et c'est le cas notamment du Programme des Nations unies pour le Développement (PNUD) qui, en rendant public le mardi 21 mars 2017, son rapport 2016 sur le développement humain dans le monde classe le pays au 83ème rang, dans la catégorie des pays « à développement humain élevé » et il s'agit de la reconduction de la position qu'en 2015. Le classement de l'indice de développement humain (IDH), couvrant 188 pays, est établi sur la base de plusieurs critères dont la scolarisation, l'accès aux services de santé, le revenu par habitant et l'espérance de vie. Dans les pays du Maghreb sont classés comme suit : la Tunisie (97ème ) et la Libye (102ème ) le Maroc (123ème ) et l'Egypte (111ème ) et la Norvège est venue en tête du classement suivie de l'Australie et de la Suisse et au bas du Tableau, on trouve la République centre-africaine, le Niger et le Tchad.

A noter que le Cabinet international PwC n'est pas à son coup d'essai dans le genre de manipulations et par rapport aux informations communiquées, officiellement, il a son passif dans le cadre de sa profession la réalisation de certaines opérations qui posent problème quant à leur conformité et dont certaines ont donné lieu à de très fortes amendes à titre de réparation. Parmi ces opérations, il suffit de citer seulement l'information divulguée, en novembre 2014, par les investigations de l'International Consortium of Investigative Journalists et selon laquelle le Cabinet international PwC en a joué un rôle en audit dans le scandale financier « Luxembourg Leaks » visant à pratiquer le dumping fiscal, au profit des firmes multinationales[[].[][]

Déjà le Cabinet international PwC a montré, il en était besoin qu'il a coutume d'opter dans l'exercice de son activité professionnelle, pour le favoritisme comme pour donner des gages, cette fois-ci, à certains pays, ce au détriment d'autres pays comme l'Algérie, si bien que dans le classement des fiscalités dans le monde, les mêmes causes produisent les mêmes effets. L'enseignement à tirer de ce qui précède, c'est que le classement établi n'est, dans sa configuration, qu'une combinaison tactique bien étudiée et bien calculée et probablement le lobby n'en est pas étranger, surtout qu'il y a un enjeu de taille, dans ledit classement, il est, donc, toujours présent pour s'efforcer d'imprimer l'orientation, dans un sens ou dans un autre, en fonction des intérêts spéculatifs qu'il soutient. En tout cas, en agrégeant toutes ces informations véhiculées, tout indique que le Cabinet international PwC n'a pas fait preuve, quant à son infaillibilité pour s'attendre à ce que le classement qu'il a opéré présente toutes les garanties quant à sa crédibilité et son objectivité.

CONCLUSION

A l'analyse, le classement tel qu'il est établi n'est pas convaincant, au motif qu'il est conçu pour déroger au respect de la précieuse règle d'or de l'objectivité qui doit prévaloir en la circonstance, en s'octroyant d'office le droit plutôt de manœuvrer d'un niveau à un autre les fiscalités des pays.

Il a suffi pour cela de jouer avec une facilité déconcertante le curseur pour en faire une variable d'ajustement des paramètres d'évaluation, ce qui ne s'accommode guère des exigences en qualité d'un rapport. De ce chef, lorsqu'un classement s'écarte de certains postulats qui garantissent son objectivité, il perd totalement l'intérêt en ce qui concerne l'assurance qu'il doit produire.

Quoi qu'il en soit, ce classement, quel que soit l'angle par lequel il est abordé, il ressort qu'il a ses limites en termes de crédibilité quand bien même il émane d'un Cabinet international qui s'érige d'autorité en senseur avec la collaboration d'une grande institution comme la Banque mondiale. Il y a lieu de remarquer que le rapport, loin de procéder d'une démarche académique qui a pour corollaire la rationalité, a donné préférence plutôt à un prisme totalement réducteur et ce genre de raccourci est contraire à tout bon sens pourtant, fondamentalement, indispensable en l'espèce.

Il ne fait aucun doute que la fiscalité algérienne mérite une meilleure place dans le classement, ce au regard des avancées tangibles qu'elle a réalisées et autrement dit si elle est décalée quasiment au dernier rang, c'est au nom de considérations qui échappent à toute logique de bonne gestion, sinon qu'elle contourne, délibérément, la réalité pour aboutir à une forme de déni . Ceci étant pour faire écho à un grand poète en le paraphrasant « on ne badine pas avec les choses sérieuses » et la fiscalité en est concernée et elle mérite, en tant que telle, un jugement sérieux pour qu'en principe tout puisse entrer dans l'ordre.

(*) Ancien Expert international en fiscalité

Auteur d'ouvrages traitant de la problématique de la fiscalité