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Au fil... des jours - Communication politique - Campagnes électorales, discours et médias : étude de cas (Suite et fin)

par Belkacem Ahcene-Djaballah*

III/ La troisième révolution médiatique : électronique et numérique

À partir du milieu des années 2000, l'Algérie s'est trouvée presque brutalement dans une autre révolution médiatique, «celle du numérique». Elle a commencé par l'explosion de l'utilisation du téléphone mobile, suivie par celle de l'ordinateur, qui a vite fait de submerger le champ communicationnel, les deux technologies se rejoignant assez vite.

Ainsi, aujourd'hui, l'Algérie est classée parmi les dix pays africains les plus dynamiques en termes d'augmentation du nombre d'abonnés à la téléphonie mobile (plus de 41 millions au premier trimestre 2014), d'utilisateurs d' internet et d'abonnés aux services à haut débit (plus de 6 millions dont 1,5 million de lignes ADSL et près de 400.000 utilisateurs de l'internet mobile)

Dans son dernier rapport «Information Economy Report 2009 : tendances et perspectives», publié le jeudi 22 octobre 2009, l'Algérie est classée au deuxième rang en Afrique concernant la pénétration de la téléphonie mobile entre 2003 et 2008, derrière le Gabon (1er), mais devant la Libye, la Tunisie, l'Afrique du Sud, le Botswana, la Namibie, le Maroc, le Congo et, enfin, l'Égypte.

Par contre, en matière de pénétration d'internet, l'Algérie est en sixième position, devancée par la Tunisie, le Maroc, les Seychelles, l'Égypte et le Gabon.

Concernant le nombre d'abonnés aux services à haut débit pour cent habitants, le rapport classe l'Algérie au septième rang, devancée par les Seychelles, l'île Maurice, l'Afrique du Sud, la Tunisie, le Maroc et le Cap-Vert.

Les Algériens âgés entre 15 et 19 ans (les ? nouveaux ? électeurs les plus recherchés en 2014) sont les plus grands utilisateurs d'internet en Algérie (72%), selon une étude réalisée en 2013 par la société IMMAR Research et Consultancy (publiée mi-2013).

La tranche d'âge 20/29 ans représente, pour sa part, un taux de 60% d'utilisateurs d'internet, suivie de celles des 30/39 ans et des 40/49 ans, indique cette étude effectuée en face-à-face auprès d'un échantillon de 1.975 individus, âgés de 15 ans et plus, représentatif de la population algérienne (urbaine et rurale). Les personnes âgées de 50 ans et plus ne représentent, pour leur part, que 10% des usagers du web.

L'étude fait ressortir également que 73% des internautes consultent les réseaux sociaux (70% d'entre eux Facebook), 58% téléchargent des fichiers vidéo et audio, 53% écoutent de la musique en ligne et autant envoient et reçoivent des e-mails. Le tiers des surfeurs suit l'actualité sur le web, alors que 2% des usagers d'internet font de la recherche sur les différents moteurs et autant se connectent pour jouer en ligne. Concernant la fréquence d'utilisation d'internet, 40% des Algériens se connectent «tous les jours ou presque», dont 43% des hommes et 36% des femmes.

IV / L'évolution de la médiatisation du discours politique. Techniques et comportements : de Zeroual à Bouteflika (Ier , IIe et IIIe mandats)

Habitués à «copier» tout ce qui se fait en Europe (et aux États-Unis), pouvant servir à conquérir ou à consolider leur pouvoir, il est évident que les états-majors des grands décideurs politiques du moment ont usé des techniques et méthodes appliquées d'abord (mais pas avant tout) au simple commerce.

C'est en 1990, avec l'ouverture du champ politique, qui a introduit une «certaine concurrence», que l'on a vu apparaître les premiers plans et programmes de communication. Mais, cela ne vint pas du pouvoir en place, encore trop enfermé dans ses certitudes, sa «langue de bois» et sa compétence supposée ni d'ailleurs des vieux partis ayant trop vécu dans une clandestinité stérilisatrice. Elle ne vint pas des nouveaux partis ayant encore peu de moyens humains, matériels et financiers. Cela vint avec un nouveau et très jeune parti politique, en l'occurrence le Front islamique du Salut (FIS), aujourd'hui dissous, qui, pourvu de gros moyens financiers, appuyé par des personnes se trouvant à l'étranger, universitaires ou affairistes bien formés et/ou bien introduits, s'est très rapidement préparé pour accompagner les élections (locales puis nationales), en acquérant les outils nécessaires (il fut un des premiers à exploiter les technologies de l'Information et de la Communication en mettant en place son propre réseau de communication, dont l'audiovisuel et les fax -une technologie nouvelle et «révolutionnaire» à l'époque- étaient la colonne vertébrale : une véritable toile de communication autonome de collecte, de production et de transmission de l'information), en attirant, d'une façon ou d'une autre, les cadres humains nécessaires?et, en faisant appel, dit-on, à des services extérieurs d'entreprises spécialisées qui lui ont élaboré sinon un plan, du moins des programmes de communication : le laser, avec des inscriptions sacrées dans les cieux du stade olympique du 5-Juillet (pouvant contenir plus de 80.000 personnes), le slogan choisi pour les élections (Six = FIS), facile à retenir, les parades organisées de manière «militaire» donc très frappante, les costumes traditionnels en tant qu'uniforme, les hauts-parleurs des minarets, les barbes fleuries et parfumées, la présence de femmes en hidjab et plus que belles, des rencontres sportives regroupant certaines stars du Mondial de football de 1982 et ce «pour collecter de l'argent, afin d'aider les déshérités», une ligne politique ne déviant à aucun moment, une idéologie et un vocabulaire à la portée de tout un chacun avec, bien sûr, une maîtrise ( ?!) des textes sacrés? voilà de quoi capter l'attention, susciter l'intérêt, faire naître le désir de participer puis d'agir? au sein des foules? puis seul.

Par la suite, durant la décennie rouge (ou noire, c'est selon), l'Algérie, quasi totalement boycottée sur le plan international (même par bon nombre de ses «amis et frères») et dont les Institutions étatiques et les forces de sécurité se trouvèrent presque seules face au terrorisme, a mis au point une stratégie avec des programmes de communication destinés à l'étranger (afin qu'il y ait, sinon une adhésion, du moins un peu plus de compréhension de la lutte antiterroriste menée) et aux citoyens algériens. C'est en 1994 que naquirent les «cellules de communication», concept et organisation adaptés à une situation difficile. Un véritable maquis nécessitant des «combattants» mobiles, imaginatifs et efficaces, agissant de manière coordonnée et planifiée, bien que souple. Des programmes bien plus que des plans.

À partir de l'année 1999, avec la préparation de l'arrivée au pouvoir de Abdelaziz Bouteflika, c'est une autre étape avec une démarche quelque peu, mais pas trop, différente. Testée timidement pour le premier mandat avec, certes, l'intervention de communicators algériens proches du candidat et de «gourous» étrangers dont, dit-on, le fameux Séguéla, inventeur du slogan mitterrandien «La force tranquille», mais aussi et surtout avec une impulsion assez forte du candidat lui-même, qui avait sa propre expérience de la chose politique, internationale et algérienne, ainsi qu'un réseau personnel et parallèle de communicants. Ne dit-on pas que le premier média, c'est le Chef ?

La stratégie de communication s'est affinée lors de la préparation du second mandat en raison d'une «concurrence» inattendue (???), celle d'Ali Benflis, un homme qui avait participé à la préparation de la stratégie de communication d'A. Bouteflika, en 1999. Une concurrence qui, si elle n'était pas contrecarrée par une action efficace et pointue, semblait porteuse de gros risques. Le «chef» et le réseau personnel ne suffisaient plus et de gros moyens intellectuels, matériels et financiers (le premier mandat avait préparé le terrain) devaient être mobilisés. Ce fut une campagne axée sur l'imagination créatrice de nouveaux communicators désormais rodés, à travers tous les médias possibles : radio et télévision (d'autant que l'adversaire principal avait à sa «disposition» une ou deux télés satellitaires), affiches et affichage, slogans, photographies, discours, présence étudiée au sein des foules?

Bien sûr, la stratégie de communication s'est améliorée pour la préparation du troisième mandat. Et il fallait qu'elle s'améliore obligatoirement, en raison, tout particulièrement, du boycott des hommes politiques «crédibles» et crédibilisants (M. Hamrouche, A.Taleb, S. Sadi, A. Djaballah, H. Ait Ahmed, A. Benbitour, M. Sifi, S-A. Ghozali, A. Ouyahia, B. Soltani?). Par ailleurs, l'appel au boycott et la peur d'une forte abstention, peut-être découverte lors de «sondages» particuliers ou à travers les reportages journalistiques, n'ont fait que renforcer l'idée qu'il ne fallait prendre, cette fois-ci, aucun risque. D'où une stratégie de communication tracée au millimètre près, ne s'alourdissant d'aucun scrupule.

Cible(s) : tout le peuple, mais conjugué par région, par ville d'importance, par couche, par métier, par genre, par thème, par préoccupation socio-politique ou économique, par..., le tout géré par une sorte de «logiciel» qui détermine la démarche idoine à mettre en œuvre dans telle ou telle ville ou région au moment T (ex : Sport à Sétif, Femme à?, Armée à?, Agriculture à?, Bain de foule à?, Culture à?, Jeunesse à?, Emploi à?, Spécificité culturelle régionale (exemple de la langue amazigh) à....)

Objectif : réélection de A. Bouteflika à la magistrature suprême en toute démocratie. Asseoir et élargir la légitimité. En matière de vote, risque presque zéro !

Message(s) : continuité et stabilité, force et sérénité (en 2004, c'était force et dignité, ce qui ne dépayse pas l'électeur? d'autant que cette dernière a été, nous dit-on, retrouvée).

Outils : tous les canaux, personnels et interpersonnels, et tous les outils sans aucune exception, traditionnels et modernes.

Budget : pas de problème cette fois-ci, les gros soutiens volontaires ou alléchés ou inspirés ou convaincus se bousculant au portillon, celui de l'État devenu insignifiant.

Médiaplanning : com intégrée et soutenue du premier au dernier jour.

Résultat (attendu en dehors de l'élection de A. Bouteflika à la présidence de la République pour un troisième mandat) : un taux d'abstention quasi nul, même dans les régions supposées hostiles. La recherche du plébiscite qui permettra d'aller encore plus loin et encore plus vite dans la mise en œuvre des pans délicats du programme présidentiel, dont l'amnistie générale, acte final du processus de réconciliation nationale.

À partir de là, avec une Direction désormais bien rodée, surtout durant le deuxième mandat, tout en n'hésitant pas à faire appel, pour les travaux pointus, aux meilleurs spécialistes existants en Algérie ou vivant à l'étranger, ainsi qu'aux ateliers les plus performants, les programmes, clairs et précis, ne peuvent qu'être efficaces, sachant pertinemment que les autres candidats en lice ne peuvent compter que sur des moyens limités. Ils passeront donc leur temps à «protester», ce qui est usant, et à ressasser leurs critiques habituelles à l'endroit du «pouvoir» et du «système».

Un seul grand danger ! Une campagne parfaite qui se retrouve débordée sur les ailes par les habituels zélés qui en font trop, beaucoup trop, au risque de créer, en cours de route ou en fin de parcours, ou juste au moment de la grande décision, des «retours de manivelle» et des rejets.

Chez les Algériens, qui carburent, dans le choix de leurs dirigeants, à l'affect bien plus qu'à la raison, même chez les plus convaincus, le risque n'est jamais zéro.

V/ Le discours politique pour le quatrième mandat L'émergence des réseaux sociaux : importance et influence

C'est certainement la campagne électorale pour l'élection présidentielle de 2013 (IVe mandat demandé par le président A. Bouteflika) qui a le plus révolutionné le discours politique national par l'exploitation de toutes les techniques, classiques ou nouvelles, de communication, dont les nouvelles technologies.

Indubitablement, c'est l'utilisation des possibilités internet qui ont, le plus, été utilisées par la plupart des candidats, en tout cas les plus importants comme Abdelaziz Bouteflika et Ali Benflis. Entourés de compétences avérées, ils ont exploité toutes les facettes : SMS, sites web, Facebook, Twitter.

On a donc vu, et c'est le plus innovant, moins de discours traditionnels (bien qu'il y ait eu une période déterminée pour la campagne électorale et des lieux désignés pour les meetings), moins de public mobilisé pour assister directement aux démonstrations politiques in situ, moins de participation aux créneaux horaires déterminés au niveau des médias télévisuels publics? mais beaucoup plus d'échanges numériques et de participation, fait nouveau, aux émissions de débat, aux chaînes de télévision (satellitaires) «algéro-étrangères» (toutes en off-shore et au siège social se trouvant à l'étranger).

-Autre phénomène, la communication parallèle ou alternative avec une profusion inégalée de productions audiovisuelles, diffusées principalement sur YouTube, et produites surtout par des «indépendants» (artistes, humoristes, journalistes, jeunes indépendants cherchant à s'exprimer et à «percer»?), pour la plupart dénonciateurs du discours politique des candidats à la présidentielle : de l'humour, de l'ironie, de la critique, le tout autour de faits bien précis concernant les hommes politiques? tout particulièrement les dérives comme la corruption, le mensonge, les contradictions, l'incompétence...

*Professeur associé à l'Ecole nationale supérieure de Journalisme et des Sciences de l'information d'Alger/ Ben Aknoun