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Au fil.. des jours - Communication politique - Campagnes électorales, discours et médias : étude de cas (1ère partie)

par Belkacem Ahcene-Djaballah*

Le discours politique algérien, dont la démarche méthodologique n'a pas varié d'un iota depuis la guerre de libération nationale, a connu, depuis 1990 tout particulièrement, une évolution sensible tant dans son langage que dans son intonation. La libération, inattendue et parfois brutale de la parole politique, a pris par la suite des cheminements divers en fonction de l'évolution du paysage politique et économique ainsi que de la pression de nouvelles populations, dont celle des jeunes et des femmes.

Mais le plus important des facteurs de changement est la venue des révolutions médiatiques connues par le pays : tout d'abord, avec la loi d'avril 1990 qui a ouvert le champ médiatique à l'initiative privée et à l'expression libre. Ensuite, la révolution de la télévision satellitaire, qui a permis à toute l'Algérie, même chez les couches les plus démunies, d'être en phase avec le monde extérieur. Enfin, depuis quelques années, la révolution électronique et numérique qui, grâce à internet et au téléphone portable, a permis au citoyen d'avoir accès à l'instantanéité.

Cette dernière a été visible tout particulièrement durant la campagne électorale pour l'élection présidentielle du 17 avril 2014, ce qui ne s'était pas vu durant les campagnes précédentes ayant porté d'abord Liamine Zeroual puis, par trois fois de suite, Abdelaziz Bouteflika.

L'émergence des réseaux sociaux sur la scène politique au moment même où la téléphonie mobile s'est engagée dans la voie technologique de la 3G a permis donc à la parole et à l'image, produites par le citoyen-journaliste (de circonstance), sinon de prendre le pas, en tout cas de fortement influencer le discours politique des candidats à la présidence de la République. Par ailleurs, dans la presse traditionnelle (écrite et audiovisuelle) qui ne pouvait plus ignorer la masse d'informations et d'images diffusées sur Facebook, sur YouTube, etc. le style d'écriture s'en est trouvé bouleversé.

C'est ce que nous allons montrer à travers l'étude (à travers la presse écrite durant la dernière semaine) de la campagne électorale, pour tenter, par la suite, de voir ce que cela va avoir comme effets sur le devenir de la communication politique en général et du journalisme en particulier

I/Ouverture du champ médiatique en avril 1990

La communication politique ainsi que la structuration du discours politique sont très liées, en Algérie, à l'organisation des médias. Ces derniers influent directement sur les comportements citoyens et les attitudes politiques. De ce fait, pour bien saisir l'évolution du discours, il faut nécessairement connaître l'évolution du paysage médiatique national.

Le champ médiatique national?qui, bien qu'il existe depuis 62, n'a décollé qu'à partir de 90. Et, encore, pas pour tous les aspects de la communication.

Qu'y avait-il avant avril 90 plus exactement, date de la promulgation d'une loi libérale de l'information ?

1/ Avant la loi 90-07 du 3 avril 1990 relative à l'information, tous les moyens étaient publics, propriété de l'État? socialiste, et toute la communication était organisée par les appareils d'État de manière verticale et descendante. Aucune initiative de statut privé n'était tolérée. Toute information devait s'insérer dans un processus communicationnel organisé par avance et dont les tenants et les aboutissants étaient planifiés et les plans et programmes imposés, pour exécution, par la hiérarchie? souvent par le biais de ce qu'on appelait les organisations nationales ou de masse ou des associations très contrôlées. On retrouvait donc partout le même type d'organisation (avec ses syndicats-maison et ses militants du Parti unique, avec ses parrains et ses porte-voix, avec son discours «langue de bois», avec une information qui était limitée, ou toujours en retard ou incomplète, même en temps de crise).

Il n'y avait que six quotidiens : El Moudjahid, Ech Châab, El Massa, Horizons, An Nasr, El Djoumhouria (deux en français et quatre en arabe), dotés de quatre imprimeries (deux à Alger, une à Oran et une à Constantine).

Il y avait aussi huit hebdomadaires paraissant régulièrement (Révolution africaine, Algérie Actualités, El Hadef, El Mountakheb, Parcours Maghrébins (édition en arabe), Parcours Maghrébins (édition en français)? et trente-cinq autres périodiques divers, la plupart, sinon tous, dépendant d'appareils (ministère de l'Information, ministère de la Défense nationale) ou d'organisations dépendant du parti unique, le FLN.

Au total, près de cinquante titres, quotidiens et périodiques confondus, tirant à une moyenne générale de 750.000 exemplaires/jour.

La presse francophone avait dix-sept titres pour 1.000.000 ex. au total et la presse en langue arabe, avec vingt-cinq titres tirait à environ 520.000 ex au total. Tout le reste était bilingue.

2/ Le reste du paysage médiatique se limitait à une entreprise ou à un titre de presse par spécialité (ou par secteur) : une radio, avec plusieurs chaînes et trois stations régionales (Oran, Constantine, Ouargla)/ une télévision avec trois stations régionales (Oran, Constantine, Ouargla)/une agence de publicité (ANEP)/une agence de presse (APS)/une entreprise d'actualités filmées (ANAF) / une entreprise d'édition et de diffusion (SNED, devenue les ENAMEP) /un centre de documentation (CNDPI).

Chaque ministère ou grosse entreprise ou organisation de masse avait sa publication (El Djeich et un Centre de cinématographie pour l'ANP (Défense nationale), El Moudjahid hebdo et Révolution africaine pour le parti du FLN, Novembre pour l'Organisation des moudjahidine (anciens combattants), Révolution et Travail pour l'UGTA (travailleurs)?

On peut conclure que durant cette étape, il n'y avait pratiquement aucune communication indépendante organisée dans le domaine politique, et le discours était uniforme, avec ses mots et ses phrases presque toutes faites et ses argumentations toutes répétitives.

Tout tournait autour des projets de réalisation, des perspectives, des visites de terrain des ministres?Rien ou presque rien de CONTINU sur les maux sociaux ou politiques ni sur les moyens d'y faire face?en dehors des grandes campagnes, limitées dans le temps, savamment orchestrées.

3/ Après mars 1990 et surtout après la promulgation de la loi 90-07 du 3-4-1990, ce fut l'explosion.

Aujourd'hui, nous avons un secteur privé en pleine expansion et dominant le paysage (surtout celui de la presse écrite, de la publicité, de l'édition et de la diffusion) et un secteur public assez diminué.

Nous avons donc, mi-2014 :

- Près de quatre cents titres de presse écrite (agréés et paraissant régulièrement) qui tirent à plus de quatre millions d'exemplaires/jour.

Dans ces quatre cents titres, il y a plus de cent trente quotidiens, plus de soixante hebdomadaires d'informations générales, plus de deux cents périodiques....

Il y a aussi :

- La chaîne ENTV, qui a cinq programmes, AT, Canal Algérie, la 3, Télé tamazight et Télé Coran, ainsi que quatre sous-stations régionales : Oran, Constantine, Ouargla et Tamanrasset.

- L'ENRS, qui a plusieurs chaînes (nationales : la Une en arabe, la 2 en tamazight, la 3 en français, radio internationale en arabe, français et anglais, deux thématiques : Radio-Coran et Radio Culture) et qui a créé plusieurs dizaines de stations régionales et/ou de proximité (48), couvrant tout le territoire national .

- L'APS (Agence de presse publique) qui diffuse en Algérie et à l'étranger par satellite, et qui couvre toutes les wilayate (préfectures)et deux daïrate (sous-préfectures) et qui a douze bureaux à l'étranger, ainsi que quelques agences de presse privées spécialisées dans la photo, le sport?

- L'ANEP (publique) et des dizaines d'agences de publicité (régie et conseils, dont certaines représentent des agences étrangères connues et bien introduites sur le marché international : Dentsu, Euro RSCG, Havas, Publicis, Mc Cann, Decaux..., qui travaillent dans un marché de la publicité de près de deux mille milliards de centimes de dinars (près de 250 millions de dollars US).

- Plus d'une dizaine d'entreprises de diffusion de la presse nationale et étrangère ;

- Quatorze grosses imprimeries de presse, privées ou publiques, et une douzaine pouvant imprimer des magazines.

- Trois à quatre mille sites web algériens qui fournissent aussi de l'information sur les activités des entreprises ou des institutions à près (en 2014) de six millions d'internautes, plus de trente millions d'appareils téléphoniques mobiles, dix mille cybercafés, une quinzaine de providers opérationnels (sur 95 agréés).

POINT IMPORTANT : il existe une (1) cellule de communication dans chaque ministère, chaque wilaya? (suite à une décision du Conseil du gouvernement en date du 19 juin 1994).

La cellule de communication n'est pas une mode mais une nécessité née après avoir enregistré des échecs en matière d'organisation de la communication institutionnelle de proximité.

L'idée a germé en 1994 avec de larges débats sur l'Information d'État et sur l'image des Institutions dans l'esprit du public (et à l'étranger).

Elle a été peaufinée et concrétisée à partir des années 96-97 avec la directive présidentielle N o 17 du 13 novembre 1999 qui demandait la réorganisation de la communication institutionnelle entendue au sens de production et de large diffusion du message de l'État, à l'intention des citoyens en application du droit à l'information :

«Le contact des citoyens avec les Institutions nationales, régionales et locales concernées doit être favorisé par une relation interactive et transparente», tel est le credo.

La cellule de communication est composée non d'un bureau mais de compétences (dont le statut est le plus élevé afin de sécuriser les personnes : ainsi, dans les ministères, c'est un C.e.s (Conseiller d'études et de synthèse) assisté d'inspecteurs.

L'objectif n'est pas d'exécuter machinalement des opérations mais de pratiquer et de faire pratiquer ainsi que de promouvoir la Communication? à l'intérieur?et à l'extérieur.

4) Il y a aussi près de six mille journalistes permanents ou occasionnels dont près de quatre mille travaillent dans la presse écrite privée, et dont près de mille se trouvent à l'intérieur du pays, parfois dans les communes les plus reculées.

5) Enfin, il y a près d'une cinquantaine de journalistes (de nationalité étrangère et aussi algérienne, dont certains, pour ces derniers, écrivent sans être accrédités officiellement mais dont il faut absolument tenir compte) représentant la presse internationale de toutes les langues, de tous les médias et de la plupart des pays importants. Ils sont gérés par la direction de la Communication du ministère des Affaires étrangères conjointement avec le ministère de la Communication.

À noter qu'il y a désormais des lieux de rencontres et de débats avec la presse : les Maisons de la presse, dont celle de la place du 1er-Mai, à Alger, le Centre international de presse d'Alger (CIP)?et les Fora comme celui d'El Moudjahid, d'Ech Chaâb, d'El Khabar, d'Algérie News, et de l'ENTV, sans oublier les «Clubs de la Presse» liés à des entreprises.

6) En matière de formation, dans chaque grande université des départements de communication existent. Les plus importants sont la faculté des sciences politiques et de l'information avec son département Sciences de l'Information qui forme des centaines de journalistes généralistes et, depuis 2010, une École nationale supérieure de Journalisme et des Sciences de l'information à Alger/Ben Aknoun qui forme (au niveau du master) des journalistes spécialisés.

Durant toute la période de 1990 à 2000, globalement, avec la libéralisation du secteur de la presse écrite et de la publicité (l'audiovisuel restant toujours enfermé dans la gestion publique) on a connu une large libération de l'expression. Cependant, celle-ci se trouvait, en raison même de l'emprise directe ou indirecte des anciens pouvoirs politiques et des nouveaux pouvoirs économiques et culturels, incomplètement pratiquée, avec des menaces réelles. Dans une première étape, cela est allé même jusqu'à l'emprisonnement et l'interdiction de parution ou de diffusion (par les appareils d'État) ou par l'assassinat pur et simple (par les opposants islamistes et terroristes).

II/ La télévision satellitaire : l'autre révolution

La télévision satellitaire a fait son apparition dans le champ politique algérien à partir des années 90. À la fin des années 80, c'était alors le règne incontestable de la radio (étrangère) face à la forte présence du secteur public (télévision, radios et presse écrite). Les premières élections, municipales d'abord, puis législatives (avortées) ont amené les chaînes de télévision étrangères, tout particulièrement françaises (surtout TF1 et A2 devenue par la suite France 2), à occuper le terrain et à concurrencer les médias nationaux, malgré les tentatives d'ouverture (débats en direct, enquêtes et reportages?) qui n'ont duré que le temps du gouvernement de Mouloud Hamrouche, avec comme directeur de l'ENTV, Abdou Benziane et de l'ENRS, Tahar Ouettar? assez vite remplacés, d'ailleurs, par un nouveau chef de gouvernement, Sid-Ahmed Ghozali qui remit à l'honneur le discours médiatique au seul service du gouvernement. Le Conseil supérieur de l'Information, alors créé par la loi d'avril 1990 relative à l'Information, tenta bien de faire respecter les cahiers des charges du service public, mais il fut vite supprimé, avec pour argument-alibi, l'«état d'urgence» décrété, le terrorisme étant apparu.

Une seconde étape voit le jour à partir de la fin de la première moitié des années 90 avec l'émergence satellitaire des chaînes de télévision encore plus nombreuses, dont certaines arabes (Al-Jazeera, entre autres) qui s'ouvrirent à toutes les voix algériennes contradictoires. Ce qui a amené le pouvoir algérien à lancer en «urgence» deux canaux satellitaires, Canal Algérie, couvrant l'Europe, et A3, couvrant le Monde arabe. Mais, le discours politique étant resté le même, défendant bien plus les orientations et positions des gouvernants de l'heure, les techniques utilisées étant obsolètes pour des publics renouvelés et de plus en plus jeunes, le succès est allé grandissant pour «tout ce qui venait du ciel».

La seconde étape voit le jour à partir des années 2000. L'ouverture du champ audiovisuel n'étant pas encore légalisée (avec, toujours, cette peur du gouvernant pour le discours libre et libéré comme on le voyait de plus en plus dans la presse écrite, «libérée» depuis avril 90), on eut d'abord des tentatives menées par des hommes d'affaires liés à des personnalités politiques de l'opposition (comme Khalifa Abdelmoumène, un nouveau milliardaire, et Ali Benflis candidat à la présidentielle durant le deuxième mandat) qui créèrent une chaîne satellitaire au service de l'opposition à Abdelaziz Bouteflika. Elle ne tarda pas à disparaître, son financier, banquier véreux, étant mis en faillite.

La troisième étape voit le jour à partir des années 2010, l'ouverture du champ audiovisuel, bien qu'annoncée, tardant toujours à venir, on vit une floraison de chaînes de télévision satellitaires (une trentaine à mi-2014) à contenus (les personnels, les publics et les financements) algériens, mais avec des sièges sociaux se trouvant tous à l'étranger : Liban, Koweït, Suisse, Jordanie, France, Grande-Bretagne ?). Quelques-unes, une dizaine, n'hésitent pas à aborder, de manière très critique, les dimensions sensibles de la vie du pays, et deux ou trois franchement opposées au régime algérien.

Mis à part les chaînes de franche opposition, surtout celles islamistes comme El Maghribia, El Maghribia news, et El Asr et Al Watan Dz, toutes les autres, bien que critiques, restaient liées par le quantum publicitaire qu'elles pouvaient ou non recevoir des entreprises publiques et privées algériennes, encore bien «contrôlées» par les appareils d'État, ainsi que, pour ce qui concerne la publicité institutionnelle (50 à 60% du marché) par l'organisme publicitaire étatique, l'ANEP, qui en avait un monopole de fait.

Malgré tout, cela n'a pas poussé la chaîne de télévision publique, avec ses cinq programmes, à changer quoi que ce soit dans son ton, son contenu et sa manière? toujours avec comme argument le «service public» (concept vite confondu avec le service gouvernemental).

A suivre

*Professeur associé à l'Ecole nationale supérieure de Journalisme et des Sciences de l'information d'Alger/ Ben Aknoun