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La performance des entreprises - Qu'en est-il ? (1ère partie)

par Ali Tadjine*

Les répercussions de la chute du prix du pétrole, la débâcle olympique de Rio De Janeiro, la défaite cinglante de l'EN à la CAN constituent des exemples, des indicateurs d'une situation qui interpellent nombre d'observateurs, de journalistes, de responsables et remettent à jour la question de la performance organisationnelle. Il est vrai que si sous d'autres cieux cette préoccupation est omniprésente et constitue l'élément déterminant dans tout processus d'évaluation, en Algérie elle recouvre une réalité qui mérite d'être revisitée, précisée.

Que signifie être performant ?

La réponse, quoique en principe évidente en absolu, se décline chez nous suivant une multitude de manifestations dont l'élément commun est d'être l'expression de considérations d'obédience idéologique faisant fi de toute rationalité que celle de s'inscrire dans le sillage du chef, de l'homme providentiel, et ce quel que soit le niveau d'activité et de responsabilité. L'objectif n'est pas de réaliser mais de plaire, de faire plaisir, de s'exécuter et de se servir. Il est évident que présenter la situation de la sorte peut n'être que l'expression d'un sentiment d'un blasé ; que simple avis d'un outsider qui n'a pas trouvé sa place et qui exprime sa déception par le dénigrement et l'anathème. Pour se distancer de la situation, de ne pas se limiter à faire le constat, à reprendre ce que tout le monde sait, il est d'importance capitale que la démarche se doit d'être scientifique, garante de l'objectivité et de là porteuse d'intérêt et de plus-value. Cet article ne veut s'inscrire ni dans la logique de la critique tous azimuts et de noircissement, ni dans l'embellissement et la fanfaronnade. L'intention n'est ni laudative ni revancharde, elle se veut apaisée, sereine et surtout exploratrice et descriptive de la réalité.

Pour se permettre la réalisation de cet objectif, il devient impérieux de circonscrire le phénomène, de déterminer ses contours, de ne le considérer que suivant l'une de ses plusieurs déclinaisons ; pour les besoins de l'article, l'attention portera sur l'organisation économique, sur l'entreprise, on s'intéressa à la performance organisationnelle de l'entreprise économique publique -l'entreprise économique privée, quoique en expansion, ne sera pas considérée dans le cadre de cet article-

En s'intéressant à cette performance en particulier ne signifie nullement que les autres ne sont pas d'importance, c'est juste pour un souci de cohérence et de visibilité qui évite l'amalgame et la confusion et expurge la situation des éléments porteurs de fourvoiements et d'interférences.

Notre choix porte sur l'entreprise du fait de sa position supposée centrale et son rayonnement sur les autres. L'économique constitue le soubassement conditionnant le sort des nations, qui sont jaugées à l'aune de leur capacité de production et de création de richesse. On peut avancer sans trop craindre l'erreur que quand l'entreprise va, tout va. Ceci dit, qu'en est-t-il de l'entreprise algérienne ? Sans la moindre hésitation et sans aucun parti pris, la réponse est : très mal. Verdict sans appel, tous les spécialistes et non spécialistes sont unanimes sur sa situation bien que les pouvoirs publics aient énormément misé sur les réformes structurelles entamées depuis le passage à l'économie de marché par la promulgation de la loi 90/11.

Des sommes colossales ont été investies pour leur mise à niveau, le secrétaire général UGTA parle de 300 milliards de dollars le 24/02/2017 lors de son discours de commémoration de l'anniversaire des nationalisations des hydrocarbures. Chiffre révélateur des intentions des pouvoirs publics qui ouvrent à la mise en place d'un appareil industriel donnant la possibilité à l'émergence d'une économie compétitive et créatrice de richesse mais qui, en réalité, n'a pas atteint l'objectif escompté, les différentes entreprises récupérées de la faillite à coup de subventions et de renflouements de trésorerie sont demeurées incapables de s'inscrire dans la performance comme définie par les préceptes et enseignements de l'économie de marche, bien que l'aspect financier n'ait pas fait défaut comme il vient d'être précisé. Face à cette réalité, la recherche des causes de cette incapacité de performance s'impose. L'investigation peut s'opérer autour de la double articulation qui s'exprime par les aspects techniques et matériels de l'entreprise et par le comportement des différents partenaires. Concernant le premier volet, la mise en évidence de la configuration organisationnelle, de la structuration et des modalités de fonctionnement peuvent être des indicateurs en mesure d'expliciter le rendement organisationnel. Pour ce qui concerne le deuxième, il est question de comportements des différents acteurs, de leurs perceptions, de leurs adhésions aux objectifs de l'entreprise, de leurs façons de se percevoir et de percevoir leur identité professionnelle. Travail d'investigation phénoménologique à relents philosophiques d'importance capitale qui permet la restitution de l'objet de notre préoccupation dans son cadre authentique susceptible de donner plus d'éclairage et de profondeur à tout travail de théorisation et de recherche de solutions. Ces différents points seront traités séparément par simple souci pédagogique. En réalité ils sont intimement liés formant la praxie sociale fortement façonnés par la culture suivant ses différentes déclinaisons, c'est pourquoi elle fera l'objet d'intérêt particulier.

Avant d'aborder l'entreprise algérienne et la soumettre à l'investigation scientifique aseptisée de considérations à la solde d'intentions idéologiques, il est d'intérêt capital de reprendre les caractéristiques de l'entreprise de référence, à savoir l'entreprise capitaliste constitutive de l'économie de marché et la mise en exergue de l'importance du facteur humain et la manière d'être manager. Actuellement tous les spécialistes du management s'accordent pour affirmer avec insistance l'intérêt déterminant du facteur humain dans l'évolution de l'organisation et son positionnement dans son environnement ; conscients que l'économie de ce début du XXIe siècle est différente de celle que Adam Smith, Ricardo et Marx analysaient ; ces derniers s'intéressaient à une économie matérielle où l'attention était focalisée sur le profit et l'exploitation de la matière par l'usage de l'outil et la machine ; actuellement l'origine de la croissance est beaucoup plus attribué à l'émergence des talents et au niveau des connaissances des ressources humaines. Ce changement de soubassement s'est trouvé accentué après les trente glorieuses par le fait que la relation producteurs/ clients s'est totalement métamorphosée ; en effet, le client n'achète plus ce qu'il trouve disponible sur un marché orienté vers la satisfaction de besoins standardisés et répertoriés, il s'est inscrit dans une logique de satisfaction de besoins toujours personnalisés qui exigent des producteurs une flexibilité et capacité d'adaptation en permanence. Adaptation dont les manifestations se cristallisent dans la façon d'administrer ou plutôt de gérer, de manager le personnel ou encore la ressource humaine ; la stratégie taylorienne, jadis efficace et opérante, trouve ses limites et ne permet plus comme auparavant aux entreprises d'être performante car contre-productive par rapport aux nouvelles exigences du marché. Le plein emploi et la sécurité du travail font de plus en plus partie du passé, la technologie reconfigure sans relâche les organisations et la manière d'y travailler. Il est devenu donc plus que nécessaire de repenser la façon de concevoir le travail et son organisation. Le management est de plus en plus sollicité pour trouver les solutions et stratégies d'adaptation.

Le développement technologique sur tous les plans et dans tous les domaines se caractérise par des transformations en quantité et en qualité sans précédent. L'ère de la prédominance technologique est une réalité où aucun domaine n'est épargné, la technologique offre des solutions et des opportunités insoupçonnées que l'imagination humaine ne pouvait concevoir. Le travail s'est trouvé en l'espace d'un siècle complètement défiguré, le monde du travail a subi des changements structuraux tant sur la manière d'être exécuté, que d'être considéré, que du statut qu'il confère au travailleur, que sur d'autres plans que nous essayons d'explorer dans le cadre de ce chapitre. Le passage au management post- industriel est donc la conséquence du déclin relatif de la prédominance de la grande industrie, transformations au profit des activités tertiaires, de la redéfinition de la notion du travail. Cette nouvelle ère se détermine par une mutation rapide des emplois, par l'importance de l'innovation, par l'augmentation et développement de la concurrence mondiale et surtout la domination de l'économie de marché comme référent structurant l'économie et le monde du travail. Des changements profonds et dans bien des cas structurants à plus d'un égard, qui redéfinissent les objectifs du management en lui assignant la mission de faire face à la démotivation et la perte de sens au travail qui ne cesse de s'affirmer depuis l'essoufflement de l'économie occidentale suite au premier choc pétrolier, la fin des trente glorieuses et les dérives de la financiarisation de l'économie.

De ce qui précède, il devient évident que la problématique du travail dépasse la simple et impérieuse obligation de création de richesse et structure le monde de ce XXIe siècle. Pour en parler il faut faire preuve d'expertise en la matière suivant des approches modélisatrices dépassant la simple expression d'hypothèses fragmentaires révélatrices d'incompétences, dont le seul apport est contre-productif car réduisant la réalité managériale en une mosaïque de préoccupations ne reflétant pas le vécu de l'entreprise et de ses différents partenaires. Il ne serait être question de s'intéresser à l'entreprise algérienne sous le seul registre juridique ou moralisateur. L'entreprise ou tout autre organisation se doit d'être abordée dans sa complexité pour mieux la circonscrire. Dans cet ordre d'idées, commençons par nous intéresser à la configuration de l'entreprise économique publique en Algérie. Reprendre son historique nous parait d'un intérêt certain qui nous permet de mettre en relief les caractéristiques susceptibles de nous expliquer le pourquoi de l'incompétence des entreprises à réaliser la performance organisationnelle conformément aux exigences de l'économie de marché malgré les moyens humains et matériels mobilisés.

Les différentes étapes de l'entreprise économique algérienne

L'entreprise publique économique algérienne a connu des métamorphoses structurelles aussi bien dans son organisation que dans son mode de gestion. La première forme que l'entreprise économique algérienne a adoptée est l'autogestion.

- L'autogestion : A l'indépendance, suite au départ précipité des colons et la vacance des quelques unités industrielles existantes et des terres agricoles, les dirigeants politiques de l'époque ont adopté le système autogestionnaire pour pallier le vide constaté et également comme prélude à l'édification d'une économie socialiste, voir dispositions de la charte d'Alger pp 58 et 59 Ed du FLN et du décret 63 -95 du 22 mars 1963 portant organisation et gestion des entreprises industrielles, minières et artisanales. Néanmoins la réalité du terrain a rapidement mis en relief les limites de ce mode de gestion et a commencé à défricher le terrain à un autre mode de gestion, à savoir la gestion étatique de l'économie.

Il est maintenant admis qu'à l'époque une certaine mentalité était de mise, qui d'ailleurs n'a pas totalement disparu, et qui consistait à ce que l'Algérien, psychologiquement, se donnait tous les droits pour jouir concrètement de l'indépendance chèrement acquise et de là, se permettre tous les «caprices» au détriment de la logique et des principes élémentaires de la gestion, ce qui a entraîné un décalage flagrant entre les structures formelles de l'entreprise et son mode de gestion qui, également, constituait un frein à la vision globale qui s'orientait vers la création d'entreprise sectorielle englobant plusieurs unités sous le principe d'un centralisme. Il est également à signaler que dans le mode autogestionnaire, il s'est avéré que le rôle du directeur a également été un facteur déstabilisant et cause d'inefficacité. En effet, ce dernier était juridiquement tout aussi agent exécutif des décisions du comité de gestion et de son président tout en étant également représentant de l'Etat, doté d'un droit de veto, mission dont l'accomplissement n'est pas toujours évident. La conciliation entre les positions et les intérêts des uns et des autres demeure du domaine des déclarations de bonnes intentions en la matière. Le droit a prononcé sans équivoque la prééminence du directeur représentant de l'Etat et de ce fait a, sans le proclamer, limité l'impact de l'autogestion et son rayonnement comme mode de gestion.

En résumé, l'existence de contradictions sociales et politiques dans l'autogestion a inéluctablement conduit à l'émergence de clivages entre le directeur et le collectif des travailleurs, entre l'approche spécifique de l'unité censée être autogérée et une conception de «rationalité» inspirée d'une planification centralisée de l'économie et répondant à la sacro-sainte règle de l'unité de commandement régissant l'entreprise économique dans son acceptation d'organisation. A. Benachenou expliquait le déclin de l'autogestion dans (Planification et développement en Algérie 1962- 1980 P15) «Le manque d'ampleur de ce mouvement autogestionnaire et sa disparition progressive peuvent s'expliquer par la faiblesse du patrimoine pris en main, par l'impossibilité pour le secteur autogéré d'obtenir des pouvoirs publics l'application d'un statut précis et par l'antinomie sociale de la notion d'autogestion avec la stratégie du pouvoir d'Etat».

Malgré le déclin perceptif du système autogestionnaire sur le terrain, la position officielle continuait de le considérer comme modèle de gestion corollaire du socialisme. Néanmoins en prenant discrètement un certain recul, ce démarquage non déclaré excluait la non adhésion aux thèses de la charte d'Alger, feu président H. Boumediene en octobre 1965 définissait la position du pouvoir qu'il présidait vis-à-vis de l'autogestion dans le journal El Ahram en disant : «Nous ne sommes ni pour ni contre l'autogestion» Il devait ajouter : «L'autogestion aurait dû être l'aboutissement du socialisme, et non pas l'inverse». Cette position mitigée présageait et résumait l'abandon progressif de l'autogestion en faveur d'une gestion étatique centralisée.

La gestion publique des entreprises

La création de la SEMPAC a pratiquement abrogé de fait l'autogestion, cette entreprise se basait sur le principe du centralisme étatique et de là jetait les bases d'une économie planifiée structurant des entreprises publiques suivant des schémas sectoriels. Les références théoriques de cette nouvelle approche demeurent l'option socialiste en maintenant les préoccupations «populistes» toujours d'actualité à l'époque. Cette nouvelle étape, en se basant sur des considérations de coloration idéologique, n'était pas néanmoins imprégnée des principes de gestion et d'organisation des écoles tant classiques qu'autres, toutes catégories confondues. L'adoption des entreprises publiques comme support du développement économique et l'édification du socialiste a de prime abord deux fonctions fondamentales, à savoir:

- Permettre à la nation de se doter d'un tissu industriel et de mettre les bases d'une industrialisation en vue d'un décollage économique (Gestanne de Bernis).

- Considérer cette industrialisation comme matrice et support à l'épanouissement du citoyen et son adhésion à l'idéologie officielle du pays.

Dans le cadre de ces deux préoccupations, les décideurs de l'époque ont institué la gestion socialiste des entreprises (GSE).

A suivre...

* Professeur, docteur en psychologie des organisations et GRH