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Londres et Francfort, le mariage impossible

par Akram Belkaïd, Paris

C’est une histoire qui remonte à 1998, autrement dit il y a près de vingt ans. A l’époque, la tendance est à la dérégulation tous azimuts et à la libre circulation des capitaux. Aux Etats-Unis, sous l’impulsion d’Alan Greenspan et de Bill Clinton, les marchés financiers deviennent plus que jamais des puits à épargne et le moteur de la croissance externe des entreprises ce qui renforce le rôle pivot des Bourses. Ces dernières ont peu à peu été privatisées et se destinent à ouvrir leur capital au public via… le marché boursier lui-même. Alors que l’Europe se prépare à l’avènement de l’euro, les Bourses de Francfort et de Londres annoncent alors leurs fiançailles. L’objectif pour elles est de constituer le premier marché d’actions d’Europe.
 
De tentatives en vaines tentatives
 
Le mariage ne se fera pas mais il va enclencher un processus qui se poursuit à ce jour, celui de la consolidation des marchés financiers qu’ils soient européens ou nord-américains. Par la suite, et à plusieurs reprises, Londres et Francfort vont essayer de s’unir. En vain. De son côté, la Bourse de Paris réagit dès 2000 pour ne pas rester isolée. Elle va bâtir un regroupement avec ses homologues de Bruxelles et d’Amsterdam en créant Euronext. A ce jour, la bataille est loin d’être terminée. Il y a un an, le London stock exchange (LSE) et Deutsche Börse annonçaient leur fusion. Un rapprochement à 29 milliards d’euros pour constituer le premier marché financier européen avec, outre les actions, une activité de compensation et de transactions obligataires.

Comme c’est le cas pour la majorité des fusions-acquisitions, l’opération était néanmoins suspendue à l’accord de la Commission européenne, toujours obsédée par la nécessité de protéger le sacro-saint dogme de la libre concurrence. Or, il y a quelques jours, Londres et Francfort ont annoncé -c’est donc devenu une habitude- que leur rapprochement ne se fera pas en raison des exigences formulées par Bruxelles. Deux conditions ont été posées par les autorités européennes. La première, acceptée par Londres et Francfort, concernait la cession de l’activité de compensation afin d’éviter un monopole sur cette activité. La seconde stipulait que la plateforme électronique italienne MTS, spécialisée dans les transactions d’obligation d’Etat, est cédée par le futur ensemble Londres-Francfort.

Or, les deux protagonistes de la fusion ont estimé que cette condition est inacceptable et que, du coup, le rapprochement n’aura donc pas lieu. La Commission européenne ne doit faire connaître sa décision qu’en avril prochain mais la énième tentative de mariage de la Bourse de Londres avec un opérateur extérieur a vraisemblablement capoté.
 
L’effet Brexit
 
Nombre d’observateurs pensent que l’argument du refus de cession de MTS n’est qu’une excuse. En effet, cette activité n’aurait constitué que 4% du chiffre d’affaires de l’ensemble Londres-Francfort. Autrement dit, pas grand-chose. En réalité, il semble que les deux fiancés ont reconsidéré leur position en raison de différends importants. L’un d’eux, central, concernait le siège du futur ensemble. Les Britanniques voulaient Londres et les Allemands exigeaient Francfort. Du classique. Plus important encore, le projet de fusion a été ficelé avant que les Britanniques n’optent pour le Brexit. La perspective de la sortie britannique de l’Union européenne (UE) et de la perte de certains acquis communautaires -on pense notamment au passeport financier- rebat les cartes. Désormais, Francfort est plus que jamais une rivale pour Londres afin d’attirer les entreprises désireuses de rester au sein de l’UE. Pour autant, il est possible que d’autres rapprochements soient tentés dans les prochains mois, les Bourses américaines étant en embuscade et susceptibles, elles aussi, de vouloir s’allier avec Londres.