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Les bouquinistes au secours de la littérature

par Slemnia Bendaoud

La fonction de bouquiniste est un métier très ancien. Aussi vieux que l'est dans l'espace très important du temps la littérature. Aussi précieux que l'est également dans la vie de l'être humain le livre de chevet.

Exercé sur les berges de la Seine, de la Tamise ou sur les rives de la Méditerranée, du Tigre, de l'Euphrate et celles de l'oued El Harrach, à Alger, il aura toujours existé ainsi, en côtoyant ces métiers de misère tels celui du brocanteur, factotum ou homme à tout faire, bien que lui s'adresse, en particulier, à une certaine élite de la société, vivant souvent bien loin des reflets des caméras de la télévision et des cercles restreints du pouvoir.

Le bouquiniste des années deux mille est donc un Monsieur qui a plutôt fière allure. Il tient vraiment à son métier, même si celui-ci ne lui assure, en retour, que très rarement cette peu évidente ou encore rassurante et confortable source de revenu, de nature à le mettre complètement ou définitivement à l'abri du besoin matériel.

Le sourire bourgeonnant aux lèvres, Djamel, la quarantaine ébréchée, l'œil scrutateur, accueille chaque jour ses clients à l'intérieur de son petit réduit qui lui sert de magasin de vente mais aussi de stockage au sein du marché Boumati d'El Harrach, banlieue Est d'Alger.

Son métier lui permet de communiquer et de côtoyer les grands noms des universités et de ceux des écrivains et autres auteurs qui ont pris cette bonne habitude de lui rendre très fréquemment visite dans sa petite échoppe, en quête de ces vieux mais très précieux livres, susceptibles de répondre favorablement à leurs goûts et autres besoins professionnels ou de distraction du moment.

Lui, venant de Blida, tout comme Hamid de l'Arbaâ, lequel étale sa marchandise à même le sol, ont tous les deux leurs clients habituels qui se recrutent parmi cette population très cultivée qui enseigne au sein de nos prestigieuses universités et autre grandes écoles du pays. Et dans toutes les spécialités !

Bien que peu rémunérateur, le métier de bouquiniste a encore de beaux jours devant lui, tant que le gain digne qu'ils en récupèrent, représente pour eux cette suffisance qui leur permet de voler au secours d'une littérature qui patauge au plus profond des méandres de son histoire, rendant par la même occasion ce précieux service aux rares bouquineurs du pays.

A Alger-centre, rue Didouche Mourad, opèrent déjà deux grands bouquinistes dont l'un a pour nom Mouloud (décédé depuis peu) et l'autre Boussaâd, activant presque côte à côte, dans un climat très sain qui inspire confiance et sérénité.

Leurs deux échoppes sont garnies de livres parfois très anciens, tandis que d'autres juchant à même le sol, le sont tout autant sinon encore moins. Mais tous sont à très bas prix, tenant compte de leur précieux contenu.

Plus bas que la rue Ferhat Boussaâd, juste en face de l'ex siège de l'ambassade de la république de la Palestine, se dresse un grand magasin sous son enseigne alléchante ?'grande surface du livre'' appartenant à la société ?'Ediculture'', tout comme cet autre magasin du même propriétaire sis légèrement plus haut ; le client y trouvera cet embarras du choix tant la gamme de livres à proposer y est très variée et le prix pratiqué à portée de toutes les bourses, avec parfois, en sus, une remise de l'ordre de 20% à la clef.

De quoi encore donner de la frousse à ces tenaces et téméraires libraires qui voient donc, jour après jour, leur nombre diminuer comme des soldats installés aux premières lignes du combat ou sur le pied de guet du front, et leur part de marché considérablement se rétrécir telle une peau de chagrin.

Si les premiers-cités ont tous cet avantage plus que certain d'assurer ou d'associer à la fois le sourire commercial allié à ce rapport qualité/prix jugé très intéressant, les seconds, par contre, buttent plutôt sur un marché très fermé et peu prospère.

Face à l'esplanade de la gare d'El Harrach, on y trouve également un autre bouquiniste, médecin de son état, que ses nombreux clients appellent par-dessus tout par ce vocable de ?'Docteur''.

Celui-ci connait son métier sur le bout des doigts si ce n'est à la perfection, et est capable de prendre part à toutes les conversations en rapport avec les productions littéraires des plus prestigieuses œuvres de la planète.

Grace à son profil, il assure, parfois gratuitement, ce grand rôle de bibliothécaire d'appoint à de nombreux étudiants de la filière de médecine ou même ceux fréquentant ces grandes écoles implantées dans le rayon de sa zone de chalandise, très fréquentée par les jeunes gens de la contrée.

A Bab El Oued, existe un autre bouquiniste, pratiquant des prix souvent imbattables, installé à proximité d'un kiosque de cosmétique, ancien employé de la défunte SNED, qui s'est spécialisé dans la revente des vieux livres, faute de mieux.

Son ancien métier l'aide à orienter les jeunes étudiants, en plus de cette capacité inouïe ou considérable à leur rapidement procurer le support didactique ou manuel parascolaire demandé, à moindre coût ou encore très bas prix.

Plus bas que l'horloge florale, face à la grande poste d'Alger, activent, au milieu d'un rush quasiment quotidien plein de lecteurs et de gens curieux, un grand nombre de bouquinistes chevronnés, grands connaisseurs, pour leur plupart, du produit littéraire qu'ils proposent sur leurs étals en plein air.

Ils sont cette destination plutôt privilégiée des rares touristes étrangers, encore de passage dans le pays, tous soucieux de connaitre davantage sur la culture et les traditions ancestrales de la contrée, pour l'occasion visitée. En plein milieu d'un trottoir squatté à la rue Hamani (ex Charras), ont pignon sur rue quelques vendeurs de vieux livres ou titres d'occasion, dont un certain Slimane, dessinateur de portraits de son état, très convoité et bien connu de ce monde qui apprécie à juste titre le beau travail qu'il réalise souvent à merveille et grand art.

Enfin, il reste que ce nouveau bouquiniste, installé à Chevalley, tout prêt de l'université de Bouzaréah, est celui qui s'est lancé, il y a deux ou trois années de cela, dans cette opération de marketing de charme et non moins haute portée commerciale, qui l'aura vu placarder de nombreux bus de transport de l'université de sa contrée de ses affiches publicitaires qui l'ont fait connaitre à travers toute la région centre du pays.

Bénéficiant d'un endroit stratégique, ce bouquiniste installé sur les hauteurs d'Alger se taille donc la part de lion du marché du livre ancien, en raison de l'absence totale de librairies dans ce grand espace d'enseignement et du savoir que constitue l'université (Alger II) de Bouzaréah et des facultés qui lui sont mitoyennes. Voici donc ?nous semble-t-il- cerné de toutes parts ce marché des vieux livres de la capitale qui n'intéresse, à présent, plus grand-monde comme jadis ou autrefois, hormis ceux qui sont dans le besoin impérieux d'y aller.

Dans les autres villes du pays, notamment au sein des grands centres urbains, le livre connait apparemment la même situation, même si dans la région du Djurdjura le lectorat semble plus important, notamment celui encore attaché à la littérature d'expression française.

Et si les jeunes le fuient, le marché des vieux livres dispose, lui aussi, de ses propres clients : des vieux en particulier ! Berceau du Savoir et des grandes découvertes, le livre se trouve être décalé de plusieurs crans ou niveau comparé à ces nouveaux réseaux de la communication qui désormais le supplantent sans jamais pouvoir dans l'absolu vraiment le remplacer ou le faire oublier.

Dans sa lutte âpre et durable contre l'invasion de l'image désormais instantanée (en live), le livre tient encore le coup, en grand maitre de l'art scriptural.

En ami fidèle du lecteur intéressé à son contenu, il ne doute jamais de sa capacité à convaincre ces nouvelles générations de choisir ce « bon chemin» autrefois emprunté par leurs ainés, étant pleinement conscient qu'il leur sera d'une très grande utilité.

A ces grands artisans de bouquinistes, le livre saura le moment voulu les distinguer et surtout les récompenser pour l'effort fort louable qu'ils louent à cette belle littérature qui nous procure encore ce formidable goût de vivre.