Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

La connectivité et le réfugié d’aujourd’hui

par Filippo Grandi*

GENÈVE – Le groupe de réfugiés que j’ai rencontré l’an dernier à la même époque venait juste de débarquer. Ils avaient fui leurs foyers en Syrie, traversé la moitié de la Turquie et placé leurs vies entre les mains de trafiquants qui avaient promis de les mener en Europe.

Malgré leurs nombreuses épreuves, me dit l’un d’eux en prenant pied sur l’île grecque de Lesbos, ils n’avaient paniqué qu’une seule fois durant leur périlleux voyage: lorsque le signal réseau de leur téléphone portable a disparu. Ce signal, aussi faible qu’il ait été, était leur seul lien avec le reste du monde. Lorsqu’il a disparu – lorsqu’ils n’eurent plus aucun moyen de joindre leurs familles, leurs amis ou quiconque pouvaient les aider – ils furent saisis par une sensation d’isolement et une peur plus intense que jamais auparavant. Personne ne devrait avoir à éprouver ce genre de sentiments.

Pour la plupart des habitants du monde industrialisé – et pour tout le monde présent à la réunion annuelle du Forum économique mondial à Davos – la connectivité est une évidence. Nous avons des téléphones portables, des tablettes et des ordinateurs, tous connectés à des réseaux à très haut débit – et toujours plus rapides. Ajoutons à cela les plateformes des réseaux sociaux et nous sommes toujours en contact les uns avec les autres. En fait, les échanges sont si libres et incessants que nous nous inquiétons plus d’être saturés d’informations que d’en manquer.

Pour les réfugiés, la situation est très différente. Dans le monde, les réfugiés ont en général 50 pour cent moins de chance de posséder un téléphone ayant accès à internet et 29 pour cent des foyers de réfugiés n’ont pas de téléphone du tout. Alors que 90 pour cent des réfugiés vivant en milieu urbain peuvent accéder à une couverture 2G ou 3G, près d’un cinquième d’entre eux vivant dans les zones rurales n’a aucune couverture de réseau mobile.
 
L’enjeu est de taille. Pour les réfugiés, la connectivité n’est pas un luxe, mais une bouée de sauvetage – dont l’importance va croissant à une époque où le sentiment à leur égard dans de nombreux pays d’accueil est devenu négatif (même si de nombreuses associations et communautés dans le monde restent prêtes à leur venir en aide). Dans certains cas, les moyens technologiques peuvent permettre aux réfugiés, confrontés à des politiciens hostiles et des gouvernements réticents, de reconstruire leur vie.

La connectivité signifie, à son niveau le plus fondamental, la capacité de rester en contact avec les membres de leur famille restés au pays, et qui courent le risque d’être victimes de violences ou de persécution. La connectivité permet également d’avoir accès à des informations importantes et mises à jour sur les nouvelles menaces éventuelles, dont l’apparition d’un foyer de maladie ou la propagation d’un conflit, ou sur les possibilités de ravitaillement en biens de première nécessité, comme les aliments et l’eau, les vêtements, un abri et les soins de santé.

A plus long terme, la connectivité peut servir à bénéficier d’une éducation et de programmes de formation en ligne qui donnent la possibilité aux réfugiés de prendre pied sur le marché du travail. Elle peut les aider à trouver un emploi et à accéder à des services juridiques et autres services de première importance. Elle leur permet également de communiquer plus facilement avec des organisations telles l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) pour expliquer leurs besoins, ce qui fonctionne et ce qui doit être changé.

Dans ce monde de données illimitées, rien ou pas grand-chose ne nous empêche de fournir cette connectivité vitale aux réfugiés. Si nous procédons de manière intelligente dans la conception des systèmes numériques dans le domaine de l’aide humanitaire, nous aurons l’occasion d’étendre notre partenariat avec des centaines, voire des milliers, d’organisations dans le monde disposées à aider les réfugiés.

Pour concrétiser ce potentiel, il faudra surmonter deux difficultés majeures. La première est de déterminer comment améliorer aujourd’hui la connectivité des réfugiés. La deuxième est de nous positionner pour utiliser au mieux les technologies disponibles à l’avenir.

Pour surmonter ces défis, il faudra en premier lieu que les gouvernements améliorent l’accès à l’internet, notamment en investissant dans les infrastructures numériques nécessaires. Des contributions du secteur privé seront également indispensables, en particulier celles des opérateurs de réseaux mobiles, qui peuvent offrir une expertise technologique, une présence mondiale et leur pouvoir d’achat pour faciliter l’accès à des téléphones et des ordinateurs abordables, des forfaits bon marché et des formations en technologie numérique.

La réalisation de progrès concrets sur chacun de ces fronts implique d’utiliser les liaisons micro-ondes, les antennes paraboliques, les bandes de fréquences inutilisées de la télévision, des drones et des ballons de haute altitude pour améliorer l’accès wifi et les capacités dans les zones non desservies de la planète abritant de nombreux réfugiés. Puisque la grande majorité d’entre eux sont actuellement situés dans des pays en développement, l’amélioration de la connectivité se traduira par des retombées bénéfiques à long terme pour les communautés d’accueil.

En 2014, mes collègues avaient rencontré un jeune homme syrien, Hany, qui avait fuit la ville de Homs avec sa famille et trouvé refuge dans un camp de la plaine de la Bekaa au Liban. Poète, rappeur et photographe, Hany était une telle force de la nature qu’il a fallu un certain temps à mes collègues pour se rendre compte qu’il avait un problème oculaire grave et qu’il ne voyait qu’à quelques centimètres. Son téléphone portable lui était indispensable. Il lui permettait d’apprendre l’anglais, de prendre ses premières photos et d’appeler du secours si nécessaire. C’est par ce téléphone qu’il a un jour appris que son nouveau foyer serait la ville de Regina, au Canada. Selon ses termes, «mon téléphone est mon petit monde».

Pour les réfugiés comme Hany, rester connecté n’est pas qu’une question de survie, mais également un moyen essentiel pour parvenir à l’autosuffisance et à l’indépendance, qui améliore leur bien-être et leur permet de contribuer aux communautés qui les accueillent. L’an dernier, le Forum économique mondial a lancé le programme «Internet pour tous». Nous devons faire en sorte que «tous» inclue les réfugiés.

*Le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés.