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V. Poutine & D. Trump ou la divine comédie

par M'hammedi Bouzina Med

C'est ce vendredi que le nouveau président américain, Donald Trump, prend ses fonctions à la Maison Blanche. En face, installé au Kremlin, Vladimir Poutine l'attend. Les Européens paniquent et le reste du monde observe.

Aux yeux des européens, ils seront les «Titans» de la prochaine décennie qui sèmeront désordre, violence et guerres. Eux, répondent par l'irrévérence si ce n'est par le mépris à cette Europe si prétentieuse, si oublieuse de sa propre histoire et si ingrate de leur bienveillante amitié. Eux, Vladimir Poutine et Donald Trump ont chacun pour ce qui le concerne la ferme décision de solder d'abord les comptes avec cette «vieille Europe» et lui rappeler sa dette, ensuite imposer les règles du jeu de ce nouveau monde qu'ils ont façonné depuis la fin de la dernière guerre mondiale. Autrement dit retourner à «l'équilibre de la peur» s'il le faudrait puisque celui de la paix, du bon sens et de la justice s'éloigne chaque année un peu plus en Syrie, Irak, Yémen, Libye, Palestine, au Sahel et menace ça et là d'autres contrées déjà affaiblies par la misère et par les «gros yeux» de quelques pays parvenus de ce monde.

Voilà, Vladimir Poutine et Donald Trump entrant en scène pour jouer l'acte III de «la Divine comédie» de Dante où les Européens appréhendent une descente aux enfers. C'est ce que croient les Européens, oubliant au passage l'enfer dans lequel ils plongent d'autres peuples et dont les flammes brûlent leurs frontières et font des victimes jusque chez eux. Pourquoi les Européens crient-ils à la trahison lorsque le nouvel homme fort des USA remet en cause la «charité» de l'Otan et déclare vouloir ne pas se mêler des affaires internes des autres pays? N'ont-ils pas été embarqués depuis le règne des Clinton, Bush et Obama via l'Otan dans des guerres successives en Afghanistan, Irak, Syrie , Libye...qui ne les concernaient pas? La similitude entre la dissolution du pacte de Varsovie ( l'adversaire de l'Otan) en 1991 et le début du chaos au Proche et Moyen-Orient jusqu'aux porte de Moscou, chef de file du pacte de Varsovie est-elle un hasard? C'est donc l'appétit aveugle des USA de Clinton à Obama dans leur fantasme de gouverner seuls le monde et d'humilier l'adversaire d'hier en attisant des foyers de guerre et de tension en Géorgie et Ukraine après avoir fait épouser sous de vagues promesses les anciens alliés du pacte de Varsovie à la nouvelle Otan qui entraîna la vieille Europe dans les guerres de l'Amérique. Moins de cinquante ans après la fin de l'horrible 2ème guerre mondiale qu'ils ont provoquée, les Européens ont oublié que ce sont les russes et les Américains qui les ont libérés, puis les ont aidés à reconstruire leurs pays. Partis sur l'idée de ne jamais passer par la guerre pour régler les conflits et problèmes entre Etats, l'Europe s'est attelée à construire son «Union» jusqu'à ce que les vieux démons de la guerre la hantent de nouveau et la voilà frappant avec ses bombes ailleurs et subissant la violence terroriste chez elle. La voilà cette belle idée d'une Europe fraternelle, militante de la liberté et des droits humains, solidaire des plus faibles de retour à la division, à l'égoïsme, à la violence et la guerre. Pourquoi les européens se disent révoltés quand Donald Trump dit comprendre le «Brexit» et prédit la faillite de la famille européenne? C'est à dire qu'il dit tout haut ce que pensent tout bas bien d'Européens? Et crise de jalousie ou de mauvaise foi, en quoi le souhait de Trump de bâtir un partenariat et une relation avec Vladimir Poutine est-il désastreux pour les Européens? En suivant la logique américaine des Bush et Obama visant à isoler la Russie de l'Europe, les Européens ont commis peut-être leur plus grande erreur stratégique dont les conséquences ne seront pas effacées de sitôt. Les promesses de Trump de coopérer avec Poutine font passer, finalement, les Européens pour les dindons de la farce et c'est sans doute la raison de leur colère: « nous nous sommes fâchés avec les russes en vous suivant sans aucune hésitation et voilà que vous vous réconciliez sans nous» semblent dirent les Européens à Donald Trump.

De son côté, Vladimir Poutine observe le désarroi de l'Europe et accueille avec prudence la volonté et la déclaration de Donald Tump de revoir la structure et les missions de l'Otan, même si son prédécesseur, Barack Obama, a jusqu'au dernier jour de son règne ajouté un piège à la Russie en déployant des blindés et lance-missiles américains de l'Otan aux portes de Moscou, dans les pays baltes, ex- alliés des russes. Poutine sait que rien n'est acquis d'avance en géopolitique pour prendre pour argent comptant la volonté de Trump de préférer les affaires et la bourse au vertige et l'orgueil du pouvoir politique, tant les affaires et la bourse sont rarement antinomiques du pouvoir politique. C'est donc à un véritable partie de jeu d'échecs que vont ce livrer Poutine et Trump sur le terrain européen et ailleurs où leurs intérêts se croisent. En Europe, la réaction révoltée des partis dits de gauche à la volonté du candidat François Fillon, potentiel vainqueur de l'élection présidentielle française du printemps prochain, de renouer le dialogue avec Moscou est révélatrice de l'aveuglement de l'establishment politique français d'une réalité géostratégique incontournable : le voisinage naturel et l'histoire centenaire partagée avec les russes en plus d'intérêts économiques convergents. Cette allergie incompréhensible de l'Europe à l'apaisement de la relation Russie - USA n'aide en rien à la cohésion de la famille européenne et laisse, justement, le monopole des affaires du monde à Moscou et Washington qui ne demandaient pas tant que ça. En persistant à vouloir isoler Vladimir Poutine, les Européens le font revenir sur la scène international comme incontournable. En fustigeant la volonté de dialogue de Donald Trump d'un rapprochement avec la Russie, il le pousse à des compromis avec Poutine. Dans ces conditions le maître du Kremlin et le locataire de la Maison Blanche auront toutes les cartes en mains pour imposer leurs logiques au reste du monde à commencer par l'Europe. La donne sur les guerres et conflits actuels qui frappent le Moyen et Proche-Orient et l'Afrique évoluera sous les conditions russo-américaines. Bien sûr qu'il est illusoire aujourd'hui de rêver à un monde sans guerre et sans violence, mais en s'entêtant dans la stratégie d'hier face à la Russie et en manifestant leur «répugnance» à la politique internationale que projette l'Amérique de Trump, l'Europe restera à la marge des affaires du monde. Poutine et Trump auront alors tout le loisir de s'adonner à une véritable «comédie» dont ils écriront le scénario et attribueront les seconds rôles aux uns et aux autres.