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Peut-on encore se passer de ces compétences mises au vert ?

par Farouk Zahi

«De nos jours la compétence ne suffit pas, le génie encore bien moins ; il faut se vendre» (Andrée Maillet- romancière 1921-1995)

Cette sentence, en dépit de la disparition de son auteure depuis plus de deux décennies, est cruellement d'actualité. Combien sont-ils ces anciens cadres, universitaires spécialisés, ingénieurs, juristes, médecins, officiers et techniciens de l'art mis à la retraite, parfois, prématurément ? Ils doivent se compter par centaines sinon par milliers. En fait, ce questionnement ne doit, surtout pas, être interprété comme une remise en cause du renouvellement générationnel, légitimement admis de par l'évolution du genre humain et par son conformité à l'ordre des choses. Itérative, la vie communautaire est un éternel remake de gestes, simples ou complexes, qui doivent à l'exercice aboutir à la même finalité. Or, ce qui devait être une continuité, à l'instar d'une course de relais où celui-ci change de mains sans que l'œuvre commune n'en soit affectée, est soudainement interrompue par un usage bureaucratique inconsidéré allant, parfois même, à l'encontre de l'intérêt général. L'exemple le plus illustratif, sans pour autant être la référence, est ce service civil obligatoire que doivent accomplir les médecins spécialistes dans le service public.

Aussi généreuse que puisse être l'intention, elle ne fera qu'ajourner la problématique de la couverture sanitaire des zones dites silencieuses ou insuffisamment encadrées. Le flux du va et vient généré par les arrivées et les départs des praticiens au bout d'un temps relativement court, placera durablement les services prestataires dans une mouvance déstabilisatrice et dans une posture attentiste. Ces bégayements sont observés lors des mouvements de grands commis de l'Etat ou la chose publique est remisée pour quelques temps jusqu'à l'accalmie de toutes les répliques du séisme, car c'en est un. Et là : «Bonjour? «l'immobilisme dans le mouvement.» selon le bon mot, dit-on, de M. Abdelmalek Benhabylès alors Secrétaire général des Affaires Etrangères.

Riche en très hautes compétences de rang universel, notre pays gagnerait à en tirer encore profit par l'expertise ou le consulting dans le cadre de la construction nationale, pourquoi pas, dans celui de la coopération internationale, notamment africaine ou arabe ? Ces élites techniques ou intellectuelles seraient le ressort d'une diplomatie économique génératrice de revenus en devises fortes tout en se faisant une place au soleil comme celles des pays émergents. Le meilleur exemple en a été déjà donné par Sonatrach au Moyen Orient où le label algérien est bien établi. A propos du fleuron de l'industrie pétrolière nationale qui serait en bonne place dans le ghota mondial, notre pensée va au défunt Mahmoud Lomri, un pur produit de l'université algérienne, qui nous a quittés récemment et à qui revient l'insigne honneur de compter parmi les fondateurs de la prestigieuse entreprise nationale et l'un des négociateurs du contrat gazier « El Paso » avec les USA.

Il nous souvient que des cadres, partis relativement jeunes, s'ils ne se sont pas recyclés dans une activité libérale ou commerciale, se sont morfondus dans une sorte de réclusion mortifère. Souvent à l'abri du besoin, ils ne demandent qu'à être encore d'une quelque utilité à leur communauté qui, quoiqu'on dise, a consenti des efforts pour leur formation. Cette approche qui semble somme toute évidente, n'est pas forcément consensuelle de par la nature même de la personne humaine. Des cadres émérites, rappelés par leur tutelle administrative pour des missions ponctuelles se sont retrouvés ostracisés par leurs plus jeunes collègues qui crièrent à la trahison. Une frilosité maladive, que rien ne justifie d'ailleurs, se saisit à chaque fois que d'anciennes figures reviennent au devant de la scène. Solidement ancré, le préjugé est difficilement réductible ; il en coutera à celui ou à celle qui tentera de s'y opposer.

Sournois jusqu'à être emprunt de courtoisie, le préjugé générationnel constituera pour longtemps la pierre d'achoppement à toute avancée socio économique durable. Une offre de services non rémunérés, proposée à un maire d'une ville moyenne du pays profond par quatre anciens cadres supérieurs dont trois ingénieurs de formation dans divers spécialités et un administrateur était déclinée par une fin de non recevoir en dépit des salamecs d'usage lors du premier contact. L'édile en question, imperméable à la proposition n'était pas moins détenteur d'une maitrise de mathématiques et proviseur de lycée .S'il est vrai que cette démarche dont l'initiative n'était que personnelle, il serait intéressant de la réglementer dans le cadre de ce qui est communément désigné sous le vague vocable de démocratie participative.

Des groupes de réflexions, appelés ailleurs : Think tank, peuvent se constituer autour, soit du planificateur soit du décideur. Ces groupes, sans pouvoir décisionnel aucun, peuvent aider à la prise de décision la plus cohérente et la moins onéreuse pour la collectivité locale. Le recours à la notabilité locale, certes d'usage, doit tendre vers la sélectivité. Sa constituante, jadis, évaluée à l'aune de la sagesse, doit se prévaloir, aujourd'hui, d'un long parcours dans la gestion de la chose éducative, économique ou sociale. Le respect du aux séniors n'étant plus ce qu'il était, il va falloir orienter la réflexion sur la transcendance intellectuelle que peut exercer la vieille génération sur la plus jeune en phase de maturité.

Et comme pour étayer le propos, la récente toxi infection alimentaire collective de Chorfa dans la wilaya de Bouira en date du 12 janvier 2016, vient comme un fait têtu cingler notre conscience. La presse a rapporté dans le registre, des chiffres allant de 500 à 800 personnes victimes de la ripaille de la waada de Yennayer ; là n'est pas la question mais dans la manière dont on procède dans ce genre de sinistre. Le maire de la localité et certainement en toute bonne foi a cru bon de faire la déclaration suivante au quotidien « Liberté » : «Moi et mes collègues du bureau d'hygiène communale avons immédiatement, en collaboration avec les services de la DSP, effectué des prélèvements, afin de les expédier vers les laboratoires d'analyses», soulignera le maire de Chorfa. Et d'ajouter : «Je vous parle en tant que citoyen, je pense que cette catastrophe nous vient du poulet qui est vendu sur les accotements de la RN26. À cet effet, je lance un appel aux citoyens de ma commune et même de l'ensemble du pays, afin d'éviter cette marchandise douteuse», a-t-il averti. Et là, tout est dit. On remarquera que l'action a été plutôt postérieure à l'événement, ce qui n'a pas empêché tous les désagréments causés aux victimes et à leurs proches de survenir. Par contre l'intervention en amont, aurait, sans doute aucun, couté beaucoup moins cher que cette mobilisation qui n'aurait jamais du avoir lieu si les services concernés s'étaient projetés dans l'anticipation. Deux principaux services auraient du encadrer un rassemblement humain d'une telle importance à savoir, la Protection civile et les services vétérinaires. Ces derniers, à qui échoit le contrôle alimentaire, notamment celui des viandes et de leur provenance sont les mieux placés pour prévenir de tels sinistres.

C'est, certainement là, que l'intersectorialité à laquelle appelle le département de la Santé publique depuis plusieurs décennies, prend tout son sens. L'appel désespéré que fait le président d'APC en guise d'avertissement aux citoyens est, à notre sens, tardif et sans nul effet, le mal étant déjà consommé. Aussi, c'est dans des situations pareilles qu'il est fait appel à l'expertise qui devient en même temps une action pédagogique formative. Il n'est pas inutile de rappeler à l'occasion la persistance ou plutôt, la réémergence de ces pathologies dites des mains sales. Sinon comment expliquer qu'en dépit des moyens de conservation modernes, tels que la réfrigération, la congélation, les produits protéinés subissent des avaries préjudiciables à la santé de l'individu ? Il n'y a que la cupidité qui puisse justifier les mauvaises conditions de conservation, car il est souvent observé que des commerçants véreux débranchent leurs équipements par souci d'économie de l'énergie électrique. Quand au roulage du couscous qui était, jadis, manuel donc domestique, celui-ci a beaucoup évolué par sa manufacture en usine. Donc, le problème se pose au niveau de la manipulation par des mains, préalablement, non lavées lors de la cuisson ou sa longue macération sous une étoffe avant d'être servi. Nos espaces ruraux et même urbains, gagneraient à ce réapproprier ces rustiques produits hautement désinfectants que sont le savon de Marseille et la chaux, l'un pour l'hygiène individuelle et l'autre pour l'hygiène générale.