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Standardisation de la langue Tamazight

par Arav Benyounès

Le rôle et la place de chacun

La langue tamazight, comme toutes les autres langues: elle a un destin passé et à venir. Mais celui d'aujourd'hui sera sa capacité de demeurer une vraie langue dans la diversité. Pour cela, il faut réussir sa standardisation au niveau graphique. Il est inutile de jouer à l'autruche. En ce moment, il existe chez les amazighophones trois tenants, pour ne pas dire revendicateurs de base pour la transcription de tamazight: caractères latins, caractères tifin'negh et caractères arabes. Une chose demeure cependant sûre, ils ne se résoudront pas à des compromis, car différents les uns des autres. De nos jours, nous faisons fausse route en pensant simplement que seule la linguistique (science qui a pour objet l'étude du langage et la langue: il y a plusieurs écoles de pensées linguistiques) et le militantisme culturel (souvent cul-culturel) résoudront le problème de la langue amazighe. Mon avis ici en tant qu'Amazigh n'est qu'une réflexion sans doute délicate, mais importante pour soulever et susciter un certain débat. Les amazighophones qui œuvrent pour la reviviscence et l'avancement de la langue tamazight, ne doivent en aucun cas s'improviser juge, conseiller et faire des recommandations quels que soient leurs statuts ou leurs degrés d'instruction (professionnel ou pas?) sans se référer aux locuteurs. Ne l'oublions jamais, la notation usuelle n'est nullement la «chasse gardée» des spécialistes, encore moins des linguistes, mais plutôt de locuteurs. Un linguiste par exemple, pour transcrire Tamazight, propose des techniques, des règles et même un orthographe, mais le dernier mot revient toujours aux locuteurs. Un linguiste propose des signes, un autre linguiste propose d'autres signes, c'est leur métier «professionnel», mais seuls les usagers, c'est-à-dire les locuteurs, les non-linguistes décideront de l'adaptation ou non de ces signes. Les imposer comme ont tendance à le faire certains linguistes amazighophones qui s'arrogent tous les droits sur la transcription de tamazight, en estimant que cela leur revient de droit, car ils sont professionnels, ne peut que susciter une réaction négative de la part des gens de la rue: les locuteurs.

Langue Tamazight : la solution et les parlers régionaux

Comment développer la langue tamazight avec une transcription sans «trahir» la symbolique ancienne, tout en ralliant la jeunesse. Ayant appris dès le jeune âge le «gh», le «th», le ?'ts'' il faut maintenant les distinguer du à et du ?t?, ?'tt'', etc. : lequel des deux est plus logique? Les exemples ne manquent pas. Comment s'y prendre pour expliquer aux non-linguistes et aux non-intellectuels tout ce cafouillage et ces gymnastiques cérébrales?

Je ne suis pas un spécialiste, mais je ne peux m'empêcher de constater le retard que prend Tamazight en la limitant aux débats «des professionnels de la langue». Étant à la fois un petit connaisseur de la linguistique, mais surtout un locuteur de la langue Tamazight, je ne peux me résoudre à accepter aveuglement tout ce qui provient de spécialistes. Ces derniers mois, certains ?individus'' et associations amazighes, pour accepter de distribuer mon dictionnaire trilingue: français, tamazight, anglais, me reprochent de ne pas avoir utilisé d'autres transcription ?'arabe ou tifin'nnegh''. Je tiens d'abord à affirmer que je suis pour la transcription de tamazight en caractères latins, qui représente pour moi le modernisme et la rigueur, malgré quelques insuffisances et tares, surtout pour unifier des différences phonétiques entre parlers de la langue tamazight (les spirantes, les affriquées, les occlusives?). Mais jusqu'à aujourd'hui, parmi les multiples polices de caractères latins qui circulent, aucune n'a été validée par les locuteurs, encore moins officialisée par une quelconque institution officielle. Donc malheureusement, le chemin de la standardisation est encore loin et semé «d'embûches». Cependant mon choix des caractères latins ne me fait pas oublier le tifin'negh, qui sont des caractères de l'identité, de l'historicité et surtout de l'émotivité sentimentale qui me séduisent. Les caractères tifin'negh sont peu «maniables» et présentent beaucoup de difficultés, mais cela n'affecte en rien leur grande valeur affective et sentimentale. Je sais aussi que les partisans du tifin'negh peuvent donner en exemple la survie de l'hébreu. Quant aux caractères arabes qui ornent bien les monuments, je n'y pense même pas, car ils représentent le contraire des caractères latins, donc affiliés à une certaine tradition qui représente l'immobilisme et le repli sur soi, dans un monde en perpétuel évolution. Des pays comme la Turquie avaient opté pour les caractères arabes pour transcrire leur lange, avant de faire marche arrière et choisir les caractères latins, et depuis, la langue turque est hissée au concert des nations et surtout des instances internationales car facile d'accès. Si j'ai une préférence particulière pour les caractères latins, et que mes arguments même valables pour moi, ne conviennent pas aux autres, cela me donne-t-il le droit de condamner les autres arbitrairement? Avez-vous remarqué que la majorité des linguistes qui veulent imposer leurs méthodes et manières de faire s'alignent sur les thèses du régime qui est d'essence anti-amazigh, ou habitent hors de Tamazgha (Maghreb)? Moi personnellement, je pense que seule la transcription qui produit le plus, et ce avec des transcriptions proches et faciles à comprendre et assimiler par les locuteurs, peut s'imposer. De toute manière, étant un locuteur et un amoureux de ma langue maternelle Tamazight, je ne peux que contribuer avec mes maigres moyens et connaissances, car contrairement à certains, j'ai compris et je suis conscient que je suis mal placé pour donner des leçons de quelque cohérence soient-elles pour les locuteurs et ceux qui œuvrent ensemble pour tamazight sur le terrain à Tamazgha.

L'expérience des autres

Le cas de Tamazight est-il unique? Pour nous montrer efficace, pourrions-nous nous référer à l'expérience des autres langues qui ont déjà cheminé sur ce même terrain de la reviviscence et de recherche de transcription? Les exemples ne manquent pas: la langue catalane, la langue turque, etc. Les disputes sévissent depuis trop longtemps. Il est temps de procéder à la codification «définitive», ou nous continuons éternellement à parler et à rédiger chacun dans son propre dialecte régional comme aux temps des colonisations. Certains on le sait sont déjà réticent à jeter les bases d'une langue tamazight pan-Tamazgha (pan-maghrébine). Ils estiment que leur dialecte régional est plus avancé que d'autres. Ils pensent qu'une tamazight pan-Tamazgha est utopique, souvent ils la décrivent plutôt comme un «supra-dialecte». Certains empruntent même le chemin dangereux du «purisme», or les emprunts et les néologismes sont non seulement importants, mais indispensables à toute langue qui veut vivre. Les emprunts et les néologismes ne sont à éliminer que s'ils ne sont pas nécessaires ou qu'ils concurrencent des mots et des termes qui existent dans la langue autochtone, en l'occurrence ici tamazight (peu importe l'appartenance de ces mots ou termes à tel ou tel dialecte régional). Ne jamais militer en faveur de telle ou telle transcription, seulement parce qu'elle représente un avantage personnel ou un ?'semblant de sauvegarde de l'unité nationale''. La motivation d'un choix doit être collectif, et pour l'intérêt de la collectivité. Les exemples d'autres communautés qui ont l'expérience que nous vivons aujourd'hui peuvent nous éclairer et nous orienter, afin de ne pas refaire les mêmes erreurs. Au lieu de s'accuser mutuellement, il est temps «d'accoucher» ce dont nous nous vantons d'être capables. Le débat doit s'orienter sur l'avenir de la langue tamazight, et non sur les orientations idéologiques entre traditionalistes, modernistes, réformistes ou nationalistes. J'ai appris et souvent entendu que pour passer du langage «dialectal oral» à celui de l'écrit, signifie être averti à standardiser «l'écriture».

Les acteurs quotidiens et incontournables de la langue tamazight

Pour dépasser la mentalité du chacun pour soi, la formation de groupe d'amis et éviter l'isolement, il faut être armé non seulement de bonnes intentions mais de principes qui militent en faveur du bien-être de la langue tamazight. Pour ce faire, il y a les linguistes, même si parfois ils dépassent le cadre de leurs compétences, cause de leur solitude. S'ajoutent à ceux-là les militants les plus honnêtes qui ne doivent pas rejeter les compétences des linguistes. Ne pas exclure les poètes, les chanteurs et les écrivains de valeur qui rédigent dans leur «dialectes». C'est à tous ces gens, et non seulement aux linguistes que la tradition s'adresse afin qu'ils formulent des règles, des lois de transcriptions pour former des tournures et des mots anciens ou modernes. À ma connaissance, il en est ainsi pour toutes les langues du monde «petites ou grandes». Tout ce qui n'est pas linguistique peut être rattaché à la tradition «orale» de la langue.

Cette tradition «orale» de la langue pour moi est la vraie grammaire de la langue. Il appartient aux locuteurs de continuer à l'utiliser, aux artistes de l'exploiter, aux écrivains de lui donner vie, aux linguiste de la guider, mais surtout à ceux que l'on oublie souvent: les grammairiens, de la figer, la stabiliser et la rendre accessible à la grande majorité, à défaut de satisfaire tout le monde. Le temps de travailler en solitaire, ou entre groupe d'amis doit être révolu, et personne ne peut s'en tenir à simplement observer.