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Oran: Bouchouareb met en garde Total

par Houari Saaïdia

Dépité par le « manque de sérieux » dans la concrétisation du projet d'usine de lubrifiants de Béthioua (Oran), Abdessalem Bouchouareb s'est attaqué frontalement à Total. En faisant montre de «négligence» dans la réalisation de cette unité délocalisée, non seulement la compagnie française, qui détient une part du marché national de près de 15%, court le risque de voir voler en éclats le privilège qui lui est accordé par l'Algérie, mais elle n'est point à l'abri d'une ouverture totale du marché d'investissement, une option qui lui sera dommageable. Il est 11 heures. Destination le 3e point du programme de la visite (à Oran) du ministre de l'Industrie et des Mines : le projet d'unité de fabrication de lubrifiants du groupe Total. Sur place : un chapiteau, une maquette et des affiches. Le reste de l'assiette de plus de 5 hectares, un terrain nu même pas terrassé. Avec une petite grimace, Bouchouareb fait remarquer qu'il retrouve là le même décor d'il y a un an. Un petit rappel qui annonce la couleur d'entrée de jeu. Il interrompt le présentateur qui lui «vend» une usine en carton. Il marque un temps d'arrêt, comme pour contenir sa colère et peser ses mots sous les feux des médias. « Les lubrifiants comme produits de substitution à l'importation représentent un élément stratégique pour l'Algérie. Ceci ne peut pas durer ainsi. Et ce, pour la simple raison qu'il ne faut pas faire courir de risque pour les autres opérateurs, et ils sont nombreux, qui veulent investir dans ce segment-là. On ne peut plus se suffire de cette situation. Il y a d'autres compagnies qui veulent venir investir dans ce créneau. Je ne peux plus continuer à les contenir ». C'est donc là un aveu on ne plus clair que le gouvernement algérien faisait jusque-là le nécessaire -autant que faire se peut- pour assurer une quasi-exclusivité d'investissement étranger sur le marché national des huiles et lubrifiants pour le groupe Total. Un choix qu'il ne peut plus à priori continuer à assumer d'autant que son partenaire Total Algérie ne se montre pas à la hauteur de traitement de faveur à travers son manque de sérieux et son tâtonnement manifeste au niveau du projet de partenariat d'Oran, sur lequel misaient les pouvoirs publics pour réduire la facture d'importation. Et, surtout, à propos duquel il y a eu beaucoup d'effets d'annonce, d'un côté comme de l'autre. Fin 2015, en effet, pour ne citer que cet épisode d'un long feuilleton d'annonces, Bernard Carbo, directeur général du groupe composé des deux filiales Total Bitumes Algérie et Total Lubrifiants Algérie, déclarait, lors d'une conférence de presse à l'hôtel Sofitel d'Alger, que « nous allons produire le premier bidon de lubrifiant en Algérie dès le 1er trimestre 2017 ». Nous y sommes déjà, les travaux de fouille pour ériger les fondations de l'usine n'ont même pas démarré. Pis, il n'y a même pas un chantier, puisque l'investisseur n'a pas encore choisi une entreprise de réalisation. Hier, dans la foulée, un cadre responsable de Total Algérie a tenté de justifier le retard accusé, en faisant remarquer au ministre que « nous avons eu trois appels d'offres infructueux ». Pour une excuse pire que la faute, c'en était une, et intraitable, Bouchouareb lui répliquera : « Je ne suis pas censé connaître vos problèmes internes, comme vous n'êtes pas censés connaître nos problèmes internes. Chacun a ses priorités et ses contraintes. Ceci dit, je ne peux plus continuer à subir et à suivre, au moment où j'importe tous les jours et au prix fort ce produit de différentes marques, dont Total, la vôtre ». Et d'enfoncer le clou: « Ou vous jouez le jeu et vous aurez tous les avantages de mon département et ceux de mon gouvernement, ou bien, vous ne jouez pas le jeu et, dans ce cas, on ouvrira grand la porte de l'investissement dans ce circuit. Le message est clair. La seule chose avec laquelle j'ai un problème, c'est le temps. Ce n'est peut-être pas le cas pour vous, selon toute vraisemblance. Nous devions arriver au même point et au même moment. Mais là, je vois qu'il y a un décalage. Nous continuons toujours à importer les lubrifiants de Total, parmi d'autres, alors qu'on pouvait dans l'intervalle permettre à d'autres opérateurs d'en produire chez nous ».

Usine Peugeot : la mise au point de Bouchouareb

A court de contre-arguments, le responsable et chef de projet Total de Béthioua a préféré garder silence plutôt que de s'aventurer dans un plaidoyer, étant donné qu'il était en mauvaise position de le faire, à moins de discréditer ses supérieurs, qui avaient annoncé à plusieurs occasions que leur usine de Béthioua ne produira pas moins de 40.000 tonnes de lubrifiants par an, à partir du 1er trimestre 2017. Mieux, ils avaient promis de passer vite à l'exportation d'une part de leur production de blending, c'est-à-dire le mélange des différentes huiles de raffinage et des additifs particuliers, vers plusieurs pays africains et méditerranéens. Il faut noter que Total, 2e distributeur de lubrifiants en Algérie (après Naftal), avec 30.000 tonnes par an et une part de marché de près de 15%, commercialise en Algérie une large gamme de lubrifiants dont certains sont importés, d'autres fabriqués à l'unité de blending de Naftec, filiale raffinage de Sonatrach. Au sortir de l'usine de fabrication de tubes de conduite du groupe ETRHB, investissement du groupe Haddad implanté à Béthioua, dont les travaux tirent à leur fin avec comme échéance d'entrée en production, début mars prochain, Abdessalem Bouchouareb a eu à répondre, non sans un grincement de dents, à une question au sujet du projet de l'usine Peugeot. « Vous avez déclaré récemment que le projet de l'usine PSA en Algérie est tributaire de l'acceptation par ce groupe de nos conditions, que le gouvernement n'entend jamais abandonner ». Ce à quoi le ministre de l'Industrie et des Mines a répliqué sur un ton dépité : « Je n'ai jamais dit ça. Je vous demande pour la dernière fois de ne pas me faire dire ce que je n'ai pas dit. Ce que j'ai dit exactement, c'est que nous sommes deux partenaires et que chacun doit faire ce qu'il faut, faire le pas nécessaire pour qu'on se retrouve, pour que l'intérêt des uns et des autres soit respecté ». Bouchouareb dément catégoriquement donc avoir conditionné l'arrivée en Algérie du fabriquant automobile de la marque au lion, dénonçant ainsi le fait qu'une certaine presse a dénaturé ses déclarations faites le 5 janvier, sur le plateau d'une chaîne de télévision privée. Cependant, le ministre a été évasif, via cette mise au point justement, quant à la question voulant savoir les raisons à l'origine du report, non expliqué à ce jour, de la signature du pacte des associés, prévue initialement en avril 2016, préliminaire à l'accord final, pour l'implantation d'une usine PSA en Algérie (concernant 4 modèles : Peugeot Pick-up, Peugeot 208 et Peugeot 301 ainsi que la Citroën C-Elysée) pour une capacité annuelle de 25.000 unités dans un premier temps, puis 75.000 et 100.000 unités par la suite. Au lieu et à la place de quoi, Bouchouareb a eu cette réponse assez « sèche » : «Vous voyez bien que l'importance de cette visite est telle que le projet Peugeot devienne secondaire».