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Belgique: Croisade médiatique

par Bruxelles: M'hammedi Bouzina Med

  Alors que la Belgique comme tant d'autres pays vit des moments de crise multiple, les médias belges se sont empressés de publier une étude et un sondage pour le moins inquiétants: l'impossibilité définitive pour les musulmans d'être des Belges (européens) à part entière.

Une étude commandée par la fondation belge «Ceci n'est pas une crise», réalisée par l'organisme de sondage «Survey & Action» et publiée par les médias belges francophones, décrit une Belgique profondément marquée par le communautarisme, l'islamophobie et le racisme.

«77 % des Belges ne se sentent pas chez eux», conclut l'étude. Vrai ou exagéré, cet énorme chiffre interpelle plus qu'il inquiète puisque les chiffres (pourcentages) qui suivent ciblent uniquement et seulement la communauté musulmane. Ainsi, 53 % des Belges estiment que même «après des générations, les descendants - des musulmans- ne seront jamais belges». En face, 71 % des musulmans estiment être pris pour des terroristes» et « 29 % des musulmans estiment que les lois de l'islam sont supérieures aux lois belges». Nous y voilà fixés: le peuple belge dans sa grande diversité vit une confrontation irréconciliable (y compris pour des générations à venir) entre les musulmans et la grande variété des autres communautés qui le composent. Le fantasme du choc des civilisations si cher aux conservateurs et extrémistes de tous bords opposant les musulmans et l'islam aux reste du monde, plus particulièrement à l'Occident, nous revient à l'aune de l'actualité marquée par des centaines de milliers de morts dans les pays musulmans en guerre et des centaines de morts victimes d'attentats terroristes en Occident, comme en Belgique par exemple. L'opportunité de ce moment de violence est une aubaine pour ne pas la saisir et interroger l'émoi légitime des Belges sur ce qu'ils pensent des musulmans et de l'islam pour en déduire à la fatalité d'une impossible fraternité des Belges dans la diversité de leurs croyances, fois et opinions, y compris pour les générations à venir.

Par ricochet, susurrer à l'incompatibilité de l'islam avec la démocratie occidentale et donc s'en débarrasser pour sauver la civilisation occidentale. C'est d'ailleurs la conclusion du très médiatique philosophe français Michel Onfrey qui publie ces jours-ci un essai politico-philosophique sous le titre hard «Décadence» et dans lequel il affirme la fin de la civilisation occidentale qu'il limite à l'héritage judéo-chrétien et son remplacement par celle de l'islam. Il ajoute reconnaître la vision «prophétique» de Samuel Huntington, l'inventeur de la théorie du « Choc des civilisations». Qui peut nier que les sociétés européennes comme bien d'autres sociétés de ce vaste monde vivent, dans ce contexte de mondialisation tous azimuts, des crises sociales, économiques et politiques qui génèrent aussi des crises identitaires? Fausses ou vraies, naturelles ou fabriquées, instinctives ou provoquées, les crises identitaires ont souvent été à l'origine de violences politiques, parfois de guerre civiles ou entre nations. Et toute l'intelligence de la «Civilisation» fabriquée par notre monde d'aujourd'hui est justement de contrer, de lutter contre tout danger qui menace sa survie, autrement dit bâtir une civilisation de «Paix», de «vivre ensemble» avec l'immense diversité du monde dans ses habitudes, ses cultures, ses fois et croyances ou pas. La théorie des cycles des civilisations humaines décrite pour la première fois par Ibn Khaldoun (14ème siècle) qui, rappelons-le, est de confession musulmane, est une approche systémique qui analyse les mutations sociales et culturelles du monde sans prévaloir la domination ou pire, la guerre entre civilisations qui ont précédé la civilisation islamique. En réalité, il n'y a qu'une seule civilisation dans ce monde constituée par les apports tant des conquêtes de la science que celles des peuples dits encore «primitifs».

Aucun peuple au monde ne peut se prévaloir d'être seul le moteur de la civilisation mondiale. Et ne sommes-nous pas à l'ère de la mondialisation, du village planétaire marqué par la communication en temps réel entre les peuples du monde entier? C'est pourquoi, s'il est normal et légitime que les «études» et autres sondages en ces moments troublés par une actualité violente ont toute leur place pour comprendre « ce qui nous arrive», il est non moins malhonnête, insidieux et dangereux de les réaliser sous le seul angle de la confrontation et du conflit entre communautés et d'en tirer des sentences définitives genre: « même après des générations les descendants de musulmans -entendez immigrés- ne se sentiront jamais belges». En Belgique où vivent 180 nationalités différentes (chiffre du gouvernement), trois communautés linguistiques réunies dans une histoire récente (19ème siècle), orienter de tels sondages (des questions fermées) et les publier comme une vérité irrémédiable est tout bénéfice pour les racistes, les partis extrémistes, les intégristes islamistes et autres fascistes de l'ombre, puisque l'étude leur donne raison.