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Ce mal qui nous habite

par Kebdi Rabah

  «Yiwenyefkaoudeml'un se complait dans la figuration

Yiwenyewheml'un dans la consternation

Waye i 3arqas aca yexdem» l'autre ne sait quoi faire

L. Aït Menguellet

Tel un excavateur, cet affreux mal nous ronge l'intérieur. Pernicieux, profondément logé pour mieux chasser l'esprit et coloniser le corps,il rend vaine toute tentative de s'en défaire et inutile celle de se plaindre. Un de ces maux que l'on ne peut quetaire, puisque consentants à ce qu'il nous squatte et se plaise à résider en nos entrailles, gracieusement mises à sa disposition avec toutes les commodités et l'affabilité d'une léthargie hospitalière. Seconde nature que, par la force des choses ou vicissitudes de l'histoire, nous portons en nous en dépit de notre gré.Germe pathogène dont, par prudence, veulerie ou compromission, netentons de nous en guérir qu'après avoir acquis la certitude qu'il est incurable. Point de répit, point de thérapie contre un hôte qui, en nous,est chez lui.Alors : Sans plainte ni complainte portons le, telles ces affections chroniques avec lesquelles vivre s'assimile au mieux à un défaut de mourir. Vivre c'est endurer dit-on. Soit ! Endurons, et, par respect des convenances et du reste, cessons de gémir et d'étaler une douleur qui ne serai tque la juste récompense d'une poltronnerie inassumée. Etouffons nos souffrances dans le tréfonds de notre solitude, ventilons les miasmes de nos péchés et qu'à jamais les voiles du silence bardent nos pleurnicheries. Point de larmes, gardons-nous bien de transmettre à quiconque, par jérémiades ou autres mesquineries, cette condition de suppliciés. Etouffons nos reflexes de couards, ceux-là mêmes que nous avions couvés des années durant et qui nous ont inexorablement conduits à rendre les armes avant même d'avoir livré bataille. Ainsi, à défaut de grandeur, nous aurons, au moins aux yeux de la progéniture et du futur, le mérite d'avoir stoïquement ingurgité cette ciguë que la providence réserve à tous ceux dont elle a décidé de marquer le destin au fer rouge.

D'une révolution prometteuse de printemps libérateurs, nous voici empêtrés dans les brumes d'un automne liberticide. Floraison d'infortunes qui n'offre d'alternative que celle de subir l'anathème de l'histoire où d'endosser le « kamis » de l'obscurantisme. Quel funeste destin que le nôtre ! Endurer le supplice dans un décorum de vaudeville dont nous ne sommes ni acteurs ni même spectateurs, nous contentant de penser qu'à défaut d'exister il nous suffit d'être là, impotents, les bras levés au ciel et l'œil contraint de se rassasier de ce que la langue dénigre. Contemplateur d'un jour, contempteur de toujours, sommés d'abandonner douloureusement nos rêves, de convertir en chimères l'arbre généalogique de nos projets, de renoncer si tôt à voir un jour la germination de nos espoirs. Pourquoi sommes-nous irrémédiablement condamnés à subir dans l'âme et dans la chair les affres d'un pays qui se meurt dans ce silence tombal ? Pourquoi cette fausse impassibilité que ne parviennent à troubler ni le vacarme présomptueux des parvenus, ni la révolte des gueux, encore moins l'âme et le sang des martyrs ? Quid des élites où de ce qui peut paraître comme telles ? Qu'est-ce cette contrée, sinon une arène de sporadiques gestuelles s'assimilant, au mieux, à un baroud d'honneur semblable à ceux que l'on rencontre de temps à autre au détour d'une fantasia célébrantles noces du destin et de l'imposture. Arène d'une histoire détournée, si tourmentée qu'elle en devint sélective, faisant qu'après s'être joué de l'acteur, elle se refuse au lecteur et donnant à penser qu'elle préfère le voile opaque des « non-dits » à la clarté sereine et parfois impudique des faits. La perfidie des hommes de l'ombre dont le souci majeur a été, et demeure, d'effacer toutes traces de leurs turpitudes, conjuguée à la complicité des hommes de « lumière », lesquels, trahis par le train de l'évolution après avoir raté celui de la révolution, ne permettent pas, hélas, d'entrevoir le bout du tunnel.

Combien de générations faudrait-il encore sacrifier pour qu'un jour, de la flamme de leur âme renaissante, il sera possible d'illuminer ce labyrinthe de duperies et combler ce vide mystificateur que nombre d'esprits désappointés ont décidé de fuir ? Nul ne pourra répondre mais il est certain que lorsque les muets se décideront à prendre la parole les sourds seront bien obligés d'entendre.