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La grille d'évaluation du rôle du chef de service dans les CHU est-elle scientifiquement valide et fiable?

par H. Allalou*

En tant que praticien du domaine de la santé et soucieux d'évaluation, je voulais me prononcer, devant cette panique, sur la validité interne et externe ainsi que la fiabilité de cette grille d'évaluation finalisée. Quelle est sa pertinence ou son apport positif au système de soins ?

Peut-elle faire la différence ? A-t-elle une valeur ajoutée dans la promotion de la santé ? Trouve-t-elle la légitimité auprès de la communauté scientifique et de la société savante ?

La négociation envisage des solutions gagnant-gagnant pour les deux parties en position de divergence. Le but est de minimiser les risques d'échec et de maximiser le bénéfice par le choix de meilleures procédures qui nous emmène à synthétiser et finalement adopter des règles efficientes.

Je ne doute pas de la bonne intention des efforts déployés pour élaborer cette grille qui s'avère contestée comme sélective, inéquitable et ne donne pas des chances égales aux candidats car les opportunités ne sont pas ouvertes pour tous et toutes. Je note le manque de clarté dans la définition des termes de la norme utilisée et l'ambiguïté dans l'attribution de poids de notation, ce qui affecte sa validité et sa fiabilité. D'autre part, l'humanisation des soins n'a pas été prise en considération d'autant plus que les représentants des organismes sociaux n'ont pas été consultés.

Le point de départ de mon analyse stratégique du système de soins réside dans ses attentes de globalité, universalité, pertinence, accessibilité, continuité et efficacité. Pour ce faire, le poste de chefferie est une position d'exercice de pouvoir et de changement afin d'améliorer et noter la différence pré ? post de l'intervention exercée par le nouveau chef ou leader.

Dans un souci de développement de leadership organisationnel, on pourra se poser la question :

Quelles sont les atouts que le candidat doit s'approprier afin d'accomplir sa mission et s'orienter vers des résultats attendus ?

Il est temps que les acteurs du système de santé et des CHU s'ouvrent les esprits et essayent de se référer aux bonnes pratiques évaluatives basées sur les évidences scientifiques pour développer leurs compétences et réussir le développement du pays et l'amélioration des services de santé qui aura un impact sur le bien-être de notre population dans son environnement.

Je propose les caractéristiques de performance à acquérir selon le Cadre de Leadership dans les CHU

1- Établir des orientations, clarifier la mission, partager la vision et les objectifs fondés sur les attentes élevées des étudiants et du personnel. Améliorer les programmes d'études et d'enseignement. Assurer une orientation académique et pédagogique cohérente en termes de normes de curriculum, de pratiques pédagogiques, des priorités en matière de perfectionnement professionnel et des outils d'évaluation axés sur l'accomplissement de la mission, de la vision et des objectifs de l'organisation

2- Améliorer le processus organisationnel pour soutenir les meilleures pratiques

3- Améliorer le perfectionnement professionnel en cours d'emploi et l'accessibilité à tous les membres de l'organisation (formations, stages etc.)

4- Assurer le leadership professionnel aux CHU et universités et adopter une approche axée sur les politiques de santé et de formation. Avoir une capacité d'influence, de communication et de faire face au stress. Prendre soin de son équipe, montrer le respect, être un modèle de responsabilité, d'intégrité, de compétence et de confiance en effectuant ses tâches.

5- Assurer l'imputabilité : être redevable (accountability, impartialité) et développer un sens d'imputabilité chez le personnel. Assurer l'harmonisation continue et l'efficacité des objectifs, des stratégies, des structures et des ressources (budget, structures, procédures, compétences du personnel) pour améliorer les pratiques pédagogiques et professionnelles selon les objectifs de santé et de bien-être.

Ces 5 missions à accomplir par le chef de service sont les piliers et les critères de succès. Ils aident à améliorer les axes du système de santé et du système de soins en Algérie concernant la prise en charge adéquate du malade et de la population.

Cette pratique du leadership dans les structures de santé consiste à exercer une influence sur les membres de l'organisation et les intervenants dans le but de définir et de réaliser le mandat, la vision et les objectifs de la tutelle. Les leaders s'inspirent des ressources personnelles en leadership pour mettre en œuvre les pratiques de leadership de manière efficace. Ci-joint les ressources nécessaires pour un leader dans l'exercice de ses fonctions.

Les ressources personnelles en leadership exécutif ou opérationnel d'un chef de service se résument en :

1- Ressources cognitives : ce sont les connaissances propres au domaine, capacité de résolution de problèmes. C'est la pensée systémique ou prévoyance pour améliorer la collaboration des personnes et de l'équipe. En plus de la connaissance de pratiques efficaces en vigueur dans les CHU et l'université ayant une incidence directe sur l'apprentissage des étudiants et la santé des malades.

2- Ressources sociales : perception des émotions, gestion des émotions et réactions émotives appropriées (Intelligence émotionnelle).

3- Ressources psychologiques : optimisme, auto-efficacité et résilience. C'est la proactivité qui est un état motivationnel qui prédispose le leader à entreprendre «une action tournée vers l'avenir pour changer et améliorer une situation».

- Quels sont les rôles et les qualités d'un chef de services de CHU ?

- Quelques rôles sont à souligner dans le but d'efficience.

1- Leader, enseignant et formateur avec des compétences académiques, enseignement et recherches. Assure un perfectionnement professionnel pour soi et pour son équipe. Publications,

2- Gestionnaire d'interfaces avec efficacité et efficience orientée sur les résultats grâce à une prise de décisions éclairées. Nouer des relations, bâtir une culture de collaboration et partager les responsabilités, les innovations et les pratiques d'intelligence émotionnelle avec son équipe. Agir avec proactivité et avec une perspective systémique les valeurs, les pratiques, l'expertise et relève les défis.

3- Dispensateur de soins de haute qualité basés sur les meilleures pratiques et les évidences scientifiques. Assurer l'humanisation des soins etc.

Étant donné que la grille d'évaluation des candidats au poste supérieur de chef de service hospitalo-universitaire est un outil utilisé dans un but de choisir le candidat avec des compétences (en leadership, en gestion et en dispensation de soins humanistes) afin d'améliorer les services de santé, les critères objectifs adoptés doivent mesurer les résultats escomptés qu'on veut atteindre.

L'évaluation normative doit définir et clarifier la norme à utiliser et qui servira d'indicateur de mesure par la suite. Cette pratique n'a pas été respectée lors de la production de ce travail ardu, ce qui met en doute sa validité et sa fiabilité.

L'analyse de cette grille actuelle a suscité des questions autour de son équité. Est-elle vraiment équitable dans l'égalité d'accès aux opportunités ? Y'a-t-il des critères doublés qui mesurent la même compétence comme dans l'exemple de la formation de plus de 30 jours et la formation continue ou dans la notation des comités ou dans la partie d) qualifications et bonifications (postes supérieurs) ?

On constate que le MESRS a émis des critères valant 87 points au total si on exclut l'expérience en enseignement (1point par année) et l'intervention en enseignement dans le cadre de parrainage etc. (1,5 point par année) par contre le MSPRH a émis 64 points au total pour 12 critères, si on exclut les activités de santé (1 point par année). On découvre que seulement trois critères moins pertinents sur 12 (25%) totalisent 40 points de 64 donc (62.5%) du total sont attribués aux activités de jumelage, de télémédecine et de consultations externes. Est-ce raisonnable ?

Sachant que la participation aux opportunités de télémédecine (12 points) ou aux opérations de jumelage (16 points) ou externalisation des consultations spécialisées (8 points) leur notation semble inappropriée (62.5% du total des points). De plus ces activités ne sont pas accessibles à tous et n'ont pas été mises à la disposition de l'ensemble des candidats potentiels. Le poids attribué à ces trois critères sur 12 semble exorbitant comparativement à la participation aux projets de recherches (3 points) ou publication d'articles scientifiques (6 points). Donc une recherche qui dure 3 années équivaut à deux missions de jumelage. Dans le cas du critère de jumelage, le nombre de mission dans une durée d'une année n'a pas intentionnellement été précis et limité contrairement aux deux autres critères. Je me demande combien de missions pour le jumelage pourraient se faire par mois ? Cela semble intentionnel et inacceptable dans une communauté scientifique, ce qui mérite une critique constructiviste à accepter par la tutelle ainsi agir en conséquence. Pour plus de clarifications, la note pour les deux autres critères, projet de télémédecine et de consultations externes ont été précis et limités à 2 points par année, par contre celui du jumelage a été laissé injustement. Malheureusement la même règle pour la note d'évaluation de ces missions de jumelage doit être respectée, corrigée et précisée incessamment bien avant l'évaluation des dossiers.

Je déplore l'exclusion du critère humanisation des soins et la place du critère « Évaluation par les pairs ». Cet indicateur mesure la relation interpersonnelle du futur chef, son intelligence émotionnelle, son charisme, son respect et son niveau de confiance par ses collaborateurs. Par ailleurs, dans la partie c) Activités pédagogiques et scientifiques, le jury considère l'assiduité, l'enseignement, la planification, mais aucun point n'est donné et aucune clarté au sujet de ces attentes. Est-ce plausible ? Comment cette évaluation subjective de la qualité des services sera-t-elle évaluée ? De même, aucun point n'est donné comme reconnaissance aux leaders des sociétés savantes ou conseil déontologique. Est-ce cela a du sens dans une société qui a besoin de leaders pour le changement ?

Un autre exemple de débalancement dans la notation est qu'on donne (5 points) pour un directeur de thèse et (0 point) à un collaborateur de thèse, sachant que seul un chef de service se donne le droit d'être directeur d'une thèse. Cette pratique n'encourage pas la collaboration et le partage du savoir, du savoir-faire et du savoir-être. Par ailleurs, on attribue (2 points) à un expert de projet de thèse et (0 point) au membre de jury de thèse. Est-ce que cette pratique encourage l'évolution de la recherche et du savoir ?

Par ailleurs, cette grille ne donne aucune importance à la qualité de la production des travaux scientifiques d'envergure et de recherches pertinents dans leur dimension internationale. Elle se contente de la quantité, ou de la disponibilité de télémédecine ou de la fréquence des missions pour le jumelage sans demander objectivement les extrants spécifiques au candidat et quelle est sa contribution exacte au projet, sa valeur ajoutée à l'avancement du projet ou ce qu'il a réalisé etc, ou bien il a été un mentor ou un apprenant à la recherche d'expérience.

Cette grille réfère à des normes établies selon un ancien modèle et devra inclure des critères d'analyse évaluative SMART qui prennent en considération la qualité des services rendus à la population par chaque candidat.

On doit demander un papier de participation qui devra être accompagné par une production qui a fait la différence entre l'état de santé passé et l'état de santé actuel des bénéficiaires selon des indicateurs mesurables.

Je constate que les poids de notation attribués aux critères par le MSPRH sont proportionnellement plus exagérés et démesurés relativement à ceux du MESRS. Est-ce équitable ? La discordance est évidente ! Si on compare une mission d'expertise mandatée par le MESRS ça vaut 2 points avec un maximum de 4 points, hélas, une mission de jumelage vaut 2 point avec un maximum de 16 points (MSPRH).

D'autres questions d'évaluation sont à débattre lors d'une réflexion sur l'élaboration de grilles d'évaluation :

- Comment identifier les rôles et qualités d'un chef de service de CHU dans le but de maximiser l'efficacité et l'efficience et répondre aux attentes des malades en termes d'amélioration de santé et de bien-être ?

- Quelle est la pertinence de cette nouvelle grille?

- Répond-elle aux aspirations des candidats?

- Est-elle équitable?

- Est-elle valide et fiable?

- Donne-t-elle des chances et des opportunités égales à tous les candidats?

- A-t-on donné un délai suffisant pour permettre un large consensus sur l'adaptation des critères et des poids attribués?

- Est-elle cohérente avec les rôles et les qualités requis du nouveau chef ?

- A-t-on évalué les candidats à la chefferie selon leur habileté à assumer le rôle de leader, formateur, dispensateur de soins et de gestionnaire ?

- A-t-on considéré les 5 missions ou piliers du Cadre de Leadership en santé (CLS) ?

- Quels sont les objectifs spécifiques de cette grille? Quelles sont les attentes?

- Quelle est la valeur ajoutée de cette grille en termes de solutions aux problèmes de santé actuels en Algérie tels que l'humanisation des soins?

- Quelles sont les améliorations à apporter lors de la prochaine étape?

- Que faut-il changer ou améliorer ?

En conclusion

Suite à mon analyse de cette nouvelle grille qui semble discordante dans la notation entre les deux ministères est bien loin d'un processus scientifique d'élaboration de grilles valides et fiables.

Je déplore le manque de clarté, le manque de défi du leadership émergeant, la sélectivité, l'incohérence, l'attribution de poids inégale et inéquitable aux variables de mesure des compétences ainsi que l'exclusion d'un facteur pertinent «l'humanisation des soins».

La révision de certains critères est fortement recommandée tout en appliquant la loi de Pareto 80-20.

Ces recommandations sont faciles à mettre en pratique et auront un effet considérable sur la raison d'être de cette grille et ainsi motiver les acteurs de santé et ajuster leurs pratiques professionnelles. On pourra aussi recommander des formations en gestion hospitalière, en relations interpersonnelles, en harmonisation des soins et en intelligence émotionnelle pour les cliniciens aspirateurs à des postes en leadership. Dans une perspective d'optimisation de ressources et pour une planification efficiente, le candidat pourra soumettre une réflexion écrite de 2 pages sur son entrée au poste de leadership. Le candidat doit exprimer ses motivations, ses compétences en gestion, sa valeur ajoutée, ses attentes en termes de résultats escomptés après 15 jours de son installation, puis après 3 mois et après 1 année etc.

*Expert en santé et éducation