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Les marchés et leur optimisme

par Akram Belkaïd, Paris

C’est l’un des grands thèmes de discussion de ce début d’année. Pourquoi les marchés sont-ils aussi optimistes alors que la conjoncture économique mondiale est maussade et que les risques géopolitiques sont de plus en plus élevés ?

Dans sa livraison du 2 janvier (*), le quotidien Les Echos cite à ce sujet une constatation partagée par tous les acteurs financiers : « Les marchés ont mis trois jours pour digérer le Brexit, trois heures pour digérer l’élection de Trump et trois minutes pour digérer le non au referendum italien ». Autrement dit, rien n’entame la progression des Bourses mondiales.
 
Risque sur la dette d’entreprise
 
On sait que les marchés financiers fonctionnent selon le principe de l’anticipation. Ce n’est pas tant le présent qui compte mais le futur tel qu’il sera influencé par les événements actuels. Mais cela n’explique toujours pas cet optimisme. Si l’on en revient à l’article des Echos, on apprend que le « global economic Policy incertainty index », un indice qui mesure le risque politique et économique, est à son niveau le plus haut depuis 2008, date de la crise que l’on sait (282 points contre 218 points l’année de la faillite de Lehmann Brothers). Normalement, au vu de cet indice, des « primes de risque » devraient affecter les cours de nombreux titres financiers.

Les Echos citent à ce sujet les obligations d’entreprise dont le « spread », autrement dit la rémunération supplémentaire qu’on en exige en comparaison de celle de titres de références (obligation d’Etat) demeure faible.

Normalement, au vu de la conjoncture, cette prime de risque devrait être plus élevée.

Cela pousse de nombreux analystes dont ceux de la Société Générale à craindre que la dette des entreprises ne soit la cause d’une correction brutale des marchés et, ce faisant, d’une nouvelle crise financière majeure. Il reste néanmoins à comprendre pourquoi les places financières se comportent comme si tout allait bien, ce qui rappelle un peu le fameux « Tout va très bien, madame la marquise », chanson de 1936 qui, d’une certaine façon, annonçait les drames à venir de la Seconde Guerre mondiale.
 
L’assurance que l’Etat règlera tout
 
On peut énumérer de nombreuses raisons qui poussent les acteurs des marchés financiers à garder le cap. L’argent circule, les taux d’intérêt demeurent à des niveaux encore bas et les politiques accommodantes des Banques centrales ne sont pas remises en cause. Mais il y a une autre explication qui mérite d’être relevée. Il est faux de dire que ces acteurs n’ont pas tiré les enseignements de la crise de 2008.

Certes, les bonus sont repartis à la hausse, des produits dérivés de plus en plus complexes sont de nouveau commercialisés en masse sans que personne s’en inquiète et les règles prudentielles promises pendant la crise n’ont été adoptées qu’a minima. Mais ce que ces intervenants ont bien retenu, c’est que dans la période de chaos, c’est l’Etat, et donc les contribuables, qui est intervenu pour sauver la mise aux banques.

La mentalité qui prévaut aujourd’hui sur les places financières, et notamment chez les grands donneurs d’ordre, c’est que l’on peut tout faire et tout se permettre car, en dernier recours, l’Etat sera toujours là pour régler l’ardoise tout en étant très indulgent avec les pyromanes (le nombre de banquiers poursuivis et condamnés par la justice après 2008 se compte sur les doigts d’une main).

Dès lors, pourquoi se priver ?

Cela d’autant que les discours politiques en ces années d’élection ne sont guère menaçants à l’égard de l’industrie financière. La France en est un bon exemple. Pour se faire élire en 2012, François Hollande s’était déclaré être l’ennemi de la finance (on en rit encore sur la place de Paris…). Cette année, les prétendants à l’Elysée se sont trouvés d’autres ennemis et plus personne ou presque ne parle de cette finance qui échappe à tout contrôle. Du moins jusqu’à la prochaine crise…