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La démocratie et ses guerres clandestines contre les démocrates

par Traduit Par Mourad Benachenhou

  Les Etats-Unis d'Amérique ont une longue histoire d'interventions dans les autres démocraties.

Pourquoi les gouvernements démocratiques sont-ils si souvent engagés dans des opérations clandestines ?

Les Etats-Unis sont secoués par la controverse sur la vaste opération secrète de la Russie, dont le but était de miner la légitimité de l'élection présidentielle de 2016, aussi bien que celle des élections dans les démocraties occidentales, de manière générale.

Mais le gouvernement américain est intervenu dans les décisions d'autres démocraties, avec de violentes opérations clandestines, et depuis une longue période.

Pendant la présidence de George W. Bush, le public américain a eu connaissance des actions clandestines menées après le 11 Septembre, actions que beaucoup ont trouvé troublantes, y compris les instructions secrètes autorisant la torture des suspects de terrorisme, un programme hautement secret «d'enlèvements extraordinaires» qui impliquait le kidnapping et le transfert, sous la direction du gouvernement américain, de prisonniers, de la juridiction américaine à d'autres Etats, sans procédures judiciaires légales, transferts dont les objectifs étaient la détention et l'interrogation de ces prisonniers dans des «sites noirs» ou prisons secrètes opérées par la CIA. Mais, comme l'ont révélé nos recherches, ce type d'opérations constitue un aspect permanent de la politique américaine, non une rupture avec elle.

Voici comment nous avons mené nos recherches et ce que nous avons trouvé

Nous avons examiné des documents déclassifiés de la CIA, ainsi que les résultats des recherches universitaires sur les interventions américaines, pour identifier 27 opérations clandestines exécutées entre 1949 et 2000.

La plupart des «guerres secrètes» étaient conduites contre d'autres Etats démocratiques.

Des documents déclassifiés, diffusés par les archives américaines de sécurité nationale conservées à l'Université George Washington, montrent que le gouvernement britannique a aidé les Etats-Unis à renverser Mohammed Mossadegh, Premier ministre iranien élu démocratiquement, et a tenté de bloquer la publication des informations relatives à son implication dans ce coup d'Etat.

Mais ceci n'est qu'un exemple. En 1954, une armée «anti-communiste» entraînée et armée par la CIA a déposé Jacob Arbenz Guzman, le président démocratiquement élu du Guatemala, causant des années de guerre civile et de gouvernement de la droite. Cinquante-sept ans plus tard, le président guatémaltèque Alvaro Colom a, au nom de son Etat, demandé pardon à la famille de Arbenz. Et en 1981, le président Ronald Reagan a autorisé le financement des guerres secrètes de la CIA contre le gouvernement sandiniste démocratiquement élu du Nicaragua. Ce ne sont là que quelques exemples des opérations clandestines américaines à l'étranger. Nous avons également examiné la nationalité des détenus dans la «guerre contre le terrorisme» entre 2001 et 2006, lorsque les Etats-Unis avaient jeté le plus large filet pour trouver et détenir des prisonniers dans cette «guerre». Les personnes détenues par l'armée américaine, sur ordre de son gouvernement, furent placées dans le camp de détention de la baie de Guantanamo à Cuba, ou transférés à la prison de Abou Ghraieb en Iraq. Il y a des informations déclassifiées sur leur détention.

En parallèle avec les opérations militaires américaines, la CIA a kidnappé, sur des territoires étrangers, plusieurs personnes suspectées d'actions hostiles contre les Etats-Unis. Détenus dans le secret, ces personnes ont été placées dans les prisons secrètes de la CIA ou envoyées vers des Etats connus pour pratiquer les disparitions forcées et la torture.

Nous avons compilé la liste des personnes détenues secrètement par la CIA, à partir de rapports établis par les groupes internationaux de défense des droits de l'homme, et des publications des agences de presse internationales indépendantes qui ont diffusé des reportages d'investigation sur le programme secret de la CIA de kidnapping. Notre analyse a renforcé la confirmation de ce que les Etats-Unis ont utilisé la coercition clandestine contre des citoyens d'Etats démocratiques de manière primordiale.

Pourquoi les Etats démocratiques sont-ils engagés dans de fréquentes opérations clandestines violentes ?

Les décideurs politiques ont le souci de faire que leurs actions soient perçues comme légitimes. La légitimité provient en partie de la préservation de la consistance des politiques avec les intérêts des citoyens et de leurs attentes.

Par exemple, puisque les guerres et la violence sont inamicales aux intérêts d'auto-préservation et de liberté des citoyens, les décideurs politiques sont prédisposés à mettre en valeur la paix. Les gouvernements démocratiques lanceront des opérations violentes publiquement déclarées seulement s'ils pensent qu'ils peuvent persuader leurs citoyens que ces actions sont légitimes.

Tout en agissant clandestinement pour renverser des démocraties, les Etats-Unis ont aussi œuvré pour susciter le soutien populaire à l'usage clair de la force, si nécessaire. Par exemple, en 1954, l'administration de Eisenhower a répandu une campagne de propagande incitant à la peur, à propos des «penchants communistes» du président guatémaltèque. Les médias américains ont, par la suite, présenté le coup d'Etat comme la restauration réussie de la démocratie au Guatemala, menée par des combattants de la liberté indigènes.

Les médias n'ont pas rapporté ce qu'ils ne savaient pas : à savoir que la CIA avait conçu et financé la révolte. De manière similaire, le gouvernement britannique à utilisé la section persane de la BBC pour répandre des attitudes anti-Mossadegh avant le coup d'Etat iranien de 1954.

Quand les gouvernements démocratiques ne peuvent pas mobiliser le soutien de leurs citoyens pour des actions coercitives à l'étranger, ils peuvent -de temps à autre- recourir à l'usage clandestin de la force.

Paru le 20 décembre 2016 sur le Washington Post, rubrique internet «La Cage à Singes». rédigé par Mariya Y. Omélicheva (Université du Kansas), Christian Crandall (Université du Kansas), et Ryan Beasley (St Andrew University), USA.