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Thématique d'une nouvelle équation culturelle algérienne (Suite et fin)

par Chaïb Aïssa-Khaled*

L'Algérien, un être de progrès

Cultiver l'enthousiasme pour le progrès, tel devra être l'objectif escompté par l'action culturelle à entreprendre. Là n'est point une mince affaire parce que près de trente années de jachère culturelle et d'absence de l'humanisme authentique et durant lesquelles ont proliféré les maux de tous bords, (malveillance, opportunisme, etc.), fait encore réponse une dialectique réfractaire au progrès, malgré la propension des Algériennes et des Algériens à s'acheminer vers les exigences d'un renouveau salvateur. Il importe alors à l'action culturelle algérienne de récuser tout ce qui tente de s'ériger en conformisme parce qu'il affecte le pas libérateur et de s'ouvrir sur le monde de la culture universelle plutôt que de traîner, obstinément comme ce le fut, les boulets de l'utopie. Pour ce faire, elle s'opposera farouchement à tout ce qui provoque la somnolence de la pensée et l'immobilisme de l'action.

Elle initiera, pour ce faire, l'esprit à admettre que le mouvement intellectuel, (toutes les opérations intellectuelles confondues), est autant important que la connaissance, parce qu'il le porte vers elle et au moyen duquel il s'exerce et se fortifie. Il lui importe, par ailleurs, de l'initier à refuser de demeurer enfermé dans ses illusions parce qu'elles ont nourri en lui une angoisse psychotique qui a, bien entendu, altéré ses élans. Peu à peu, il comprendra que le progrès est non seulement une accumulation des savoirs mais aussi un investissement. En effet, animé par une curiosité permanente et des remises en cause soutenues, il saura que le progrès lui permet d'intégrer aisément et à chaque fois que ce sera nécessaire de nouvelles acquisitions culturelles à ses schémas antérieurement conquis et d'avoir raison, à chaque fois qu'ils se manifestent, des bouleversements provoqués par l'ignorance et le sentiment de la frustration. Il lui permet également de théoriser et d'exprimer ses aspirations pour conquérir un devenir meilleur et de définir la faisabilité des options qu'il engagera pour le développement de ses acquis culturels et dont il a, inconditionnellement, besoin parce qu'ils sous tendent sa ferveur de créer.

L'Algérien, être d'action

L'action culturelle algérienne devra rompre avec le concept qui est fait du sens de l'action. En vérité, préparer à l'action n'est pas animer l'instinct ou le réflexe générés par l'automatisme pour satisfaire aux besoins immédiats. C'est plutôt, prédisposer l'esprit aux conduites conscientes, évolutives et libres qui appellent à la fois à :

-définir les mobiles de l'action à engager pour qu'elle soit utile et efficace ;

-animer le dynamisme générateur de l'imagination.

Dès lors, elle éclairera la raison et revitalisera la conscience. Dès lors, elle deviendra l'expression même de la vie.

L'Algérien, être libre

L'Algérien est par essence un être libre. Il est donc une puissance puisqu'il s'appartient pleinement. Toutefois, il ne peut orienter sa liberté au gré de ses humeurs mais au gré de sa conscience, faute de quoi sa puissance ne pourra se résoudre qu'à une illusion. L'important est qu'elle soit une puissance de création.

Pour permettre donc à l'Algérien de recouvrer sa puissance de création, l'action culturelle ne devra pas ignorer que même s'il arrive à ce dernier d'être centré sur lui-même, il ne devra pas pour autant être détourné du reste du monde. Elle lui apprendra, pour ce faire, à se prouver à lui-même l'authenticité de son individualité tout en jouant un rôle efficace dans la réalisation des équilibres de la communauté au sein de laquelle il vit et à ne pas sombrer dans les méandres de l'orgueil, de la servitude, de l'égoïsme, de l'amertume et de la faiblesse. Il saura dès lors, ajuster ses dispositions morales, civiques et intellectuelles aux exigences de l'environnement tant local que mondial, s'accommoder de la sagesse et s'investir dans le rationnel pour être responsable

En apprenant à être responsable, l'Algérien conscientisera la noblesse de sa liberté, (refuser cette obligation sera pour lui choisir de demeurer esclave de ses impulsions). C'est là une tautologie qui se suffit à elle-même. L'action culturelle aura de ce fait, à faire prévaloir l'homme libre, conscient de sa responsabilité et en mesure de ne pas céder à la première des exigences quand bien même jugée ardue et utile, mais à satisfaire pleinement à celles dont la nécessité s'impose pour l'équilibre du consensus social établi. Notons, cependant, que si l'action culturelle entend préserver l'équilibre du consensus social établi, il lui sera judicieux d'adhérer résolument au concept « responsabilisation » comme fondement d'une morale positivante et affranchie de la servitude et du dogmatisme et qui ne nie pas que la liberté de l'homme est une attribution originelle contrairement à ce qu'en pensent ceux qui veulent maintenir celui-ci dans une condition de sujet quand ils prétendent vouloir en faire un citoyen.

L'Algérien est un être qui sait se conduire et s'adapter

Un être humain agissant sans savoir se conduire en société demeure, par nature, dévalorisé, sans force de caractère, sans personnalité. Aspirer à devenir un être social, c'est tout simplement, apprendre à se conduire en société, à savoir réagir, à savoir se comporter et c'est là un des objectifs de l'action culturelle escomptée.

Apprendre à savoir se conduire en société, à savoir réagir, à savoir se comporter, c'est fatalement savoir se déterminer tout en consommant avec courage ses échecs, tout en enregistrant avec honneurs ses succès et tout en appréciant avec lucidité ses forces et ses faiblesses. C'est aussi, apprendre à agir sur soi-même pour se perfectionner, maîtriser ses pulsions et ses actes et ne pas réduire ses jugements à de simples supputations.

Les règles de l'éducation socio-morale à développer par l'action culturelle, devront alors initier le citoyen algérien à délimiter le périmètre de sa liberté. Elles devront aussi l'initier à la méthodologie réfléchie dans ses opérations intellectuelles, (prospection, investigation, analyse, jugement, raisonnement, discernement, synthèse), ainsi qu'au balisage de la voie qui mène vers le devoir à accomplir envers soi et envers autrui. Dans une telle approche, savoir s'adapter deviendra une disposition de l'esprit à stimuler par l'acte pédagogique dont la vigueur sera conditionnée par le rapport attention-intérêt qu'il créera.

Développer chez l'individu sa capacité à s'adapter, sera donc pour l'action culturelle, éduquer ses tendances psychologique, intellectuelle et affective de façon à le mener à satisfaire aux tensions de ses motivations en vue de réaliser ses aspirations. Ce sera aussi, le mener à se solidariser avec une situation-problème ou une activité sachant qu'elle est contentive de celle qu'il souhaite ou à laquelle il aspire se livrer. L'action culturelle engagée fera donc de la fonction d'adaptabilité de l'individu, une valeur, une vérité, une potentialité de l'homme moderne. S'inscrivant dans cette logique, elle formera le citoyen maître de tous ses sens, maître de toutes ses facultés et en mesure de s'adapter à la réalité imposée par la mondialisation. Son engagement consistera à lui apprendre à :

-ne pas se contenter de s'enivrer d'une illusoire indépendance en se limitant à s'adapter au progrès enregistré par «l'Autre», mais à le produire ;

-créer ses propres procédés qui lui permettront de réagir positivement aux situations nouvelles ou imprévues ;

-se forger un esprit de coopération.

Respectant cet engagement, elle l'amènera à développer et à élaborer sa stratégie de citoyen capable d'affronter l'inconnu, avec des précautions de jour en jour élargies.

L'Algérien est un être qui sait collaborer

La nécessité de savoir collaborer est une exigence immédiate de l'évolution du monde moderne. La recherche, la prospective, l'investigation devront être une œuvre d'équipe où se conjugueront efforts et intérêts et où les aptitudes de chacun s'imbriqueront dans celles du collectif pour un maximum de rentabilité.

L'une des missions de l'action culturelle reste l'éducation de la solidarité visant l'unification des forces psycho-intellectuelles, l'animation et l'exaltation des rapports entre les hommes, la multiplication et la densification, la systématisation et l'organisation de leurs échanges et de leurs contacts et la concertation dans la recherche du progrès civilisationnel. A cet effet, son acte pédagogique devra être fondé sur deux valeurs fondamentales: l'émulation et la concurrence, tout en écartant la rivalité nocive parce qu'elle nourrit l'individualisme asocial. Il se chargera, par ailleurs, d'opérer une conversion des caractères et des tempéraments en initiant à la collaboration concertée pour être efficace. Il évitera ainsi la parcellisation des énergies intellectuelles et animera un sentiment collectif de responsabilité, sans perdre de vue que savoir collaborer c'est :

-savoir mettre en place un réseau d'affinités porteur de stratégies d'échanges de points de vue et d'idées ;

-savoir aiguiser le contact et soustraire l'humanisme aux dégradations qui risquent de l'affecter ;

-savoir consacrer l'esprit de conciliation et s'investir de la conformité aux exigences d'une vie communautaire équilibrée ;

-savoir participer à toute mission de socialisation, de solidarité et de discipline en développant son instinct d'indépendance et en opérant la décentration sur soi-même fin d'échapper aux délires de l'égoïsme ;

Collaborer deviendra, dans cet esprit, une action consciente et délibérée à laquelle présideront le raisonnement et la prise de position fondée sur l'évidence des réalités, la définition des problèmes et la constance des valeurs hiérarchisées.

Pour conclure, je dirai que former l'homme actif, l'homme de progrès, l'homme libre, cela suppose une action culturelle qui ne méconnaisse pas sa fonction socialisante, qui ne rêve pas de démocratie en s'acharnant à produire des sujets, qui ne rêve pas de justice sociale en l'ignorant, qui n'espère pas le progrès en se laissant enliser dans les marécages de l'inertie et de l'immuable.

Cela suppose en outre, une action culturelle qui s'assigne pour finalité d'astreindre l'homme à savoir se conduire, s'adapter et collaborer et à en faire les facteurs déclencheurs de la dynamique de son évolution et de la puissance de ses engagements.

Je dirai aussi que former l'homme être actif, être de progrès et être libre, en somme l'être social capable de réagir positivement à toute situation imprévue, de s'adapter à l'inconnu et de collaborer avec conviction, signifie repenser l'homme pour faire jaillir sa liberté car il n'y a de justice que par elle dans une société trop longtemps meurtrie par la juxtaposition de la médiocrité et de l'impunité.

*Directeur de l'éducation - Professeur-chercheur INRE