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Thématique d'une nouvelle équation culturelle algérienne (1ère partie)

par Chaïb Aïssa-Khaled*

Alors que la valeur de la culture en Algérie était non seulement en elle-même, mais aussi en l'homme qui, à la fois, la servait et s'en servait pour en faire la demeure de son âme, aujourd'hui elle est devenue l'expression solidifiée d'une société humaine qui ne trouve pas mieux que de s'ériger en chantre de l'adversité et sous la houlette de laquelle le monde du savoir-être et du savoir-faire s'est retiré vers d'autres horizons, ne laissant derrière lui qu'une histoire anéantie où des hommes fanés et accablés par la recherche d'eux-mêmes parce que ne pouvant accomplir le pas libérateur et lester le temps pour mieux le gérer, se perdent dans les ténèbres de leurs appétits primaires. Aplatis par l'infortune et par les caprices d'une vie végétative, ces derniers n'ont plus cette chance de vivre égaux à leurs rêves.

Toutefois et même si certains d'entre eux muent par la grâce de la providence en cette bourgeoisie spontanée qui, faisant dans cette aristocratie qui ne leur ressemble guère, tentent d'entretenir leur émoi intérieur, du reste, au moyen d'une culture fade qu'ils semblent s'être taillée comme pour se libérer d'une gêne et se donner une contenance, comme pour chercher un refuge qui abritera une nostalgie ô combien éphémère !

De nos jours et donnés en pâture aux injures d'une déculturation comme qui dirait programmée, (disparition pure et simple des salles de cinémas, abandon de l'activité théâtrale, promotion très conjoncturelle du livre -limitée dans le temps et dans l'espace-, adminstratisation et politisation anesthésiantes de la gestion du sport, mutation de la chanson - la douceur et le pathétique du chaâbi, du malouf et du sahraoui ont carrément abdiqué face à ce qui, nous dit-on, est à la mode- des émissions télévisées qui n'évoluent qu'entre des cours de cuisine, des matchs de football ou des tables rondes animées par ces mêmes acteurs mégalomaniaques en quête d'applaudimètre), les Algériennes et les Algériens vivent dans un monde dégradé du présent. Se contentant de composer avec ce rationalisme morbide que le discours politique s'est évertué à en faire une hygiène de vie et avec les croyances insolites qu'il distille et auxquelles ils ont appris à emboîter le pas, beaucoup d'entre eux réduisent la notion de culture à sa plus simple expression. Ils sont, tout compte fait, devenus des nostalgiques fidèles à leur monde de mythes où les animateurs ne sont rien d'autres que le "vivre" sous d'autres cieux ou la fortune rapidement amassée et à moindre effort et le pouvoir pour asservir autrui et le bien d'autrui. Quel gâchis !!

Et pourtant ! La population algérienne appelée à jouer dans la cour des grands faute de quoi elle disparaîtra, devra composer avec les réalités du troisième millénaire. C'est nécessaire, utile même. A ce propos, son capital culturel ne doit pas se résumer à une image immobile et condensée, trahie et désabusée. Il doit s'articuler à son époque pour que la personnalité nationale qu'il animera ne demeure factice au sein d'un monde culturel universel ne pouvant servir de refuge ni à la nostalgie ni au mythique.

Pour une action culturelle réanimatrice de civilisation

Ce qui caractérise la décadence culturelle galopante des Algériens et des Algériennes, c'est leur impuissance, voire leur refus de s'extraire du ghetto de l'absurde dans lequel ils étouffent. Il est alors grand temps qu'ils s'en défassent. Ils devront à ce sujet appeler à la mise en place d'une politique éducative et culturelle qui se focalisera exclusivement sur la formation de l'esprit qui saura actualiser ses facultés et réanimer ses vertus. Dans cette limite, seul un sursaut culturel leur restituera leur essentiel humain, les limites de leur liberté. Ils cesseront alors d'être ce troupeau de naïfs qui s'engouffre inexorablement dans des périls qui se sont fait un nom. Ils satisferont plutôt à un autre impératif, celui qui procédera d'une dynamique culturelle qui naîtra de leur génie.

En effet, la carence démesurée du complexe culturel des Algériennes et des Algériens a entrainé de graves périls les menaçant dans leur gloire, dans leur chair, dans leur esprit, dans leur dignité et dans leur intégrité. Il est donc impératif de le revitaliser. L'important dans cette mission est que l'équilibre social originel, (l'homme naît bon), ne doit pas être menacé d'effondrement. Autrement dit, la société, ne doit pas le pervertir. Pour ce faire, ce complexe doit redevenir le vecteur des valeurs humaines universelles, (qui sont, d'ailleurs, leur propre parce qu'elle sont l'âme même de l'Islam), et le cocon qui protégera celles-ci contre tout ce qui est en train de les déstructurer.

Cela ne peut être évidemment que du rôle d'une action culturelle qui, en investissant l'esprit de pensées affranchies de tout ce qui est malsain, lui permettra de polariser des idées nouvelles et de sacraliser la perfection sociale.

Polariser des idées nouvelles, il ne s'agira plus pour l'action culturelle en question de s'engager seulement dans un apprentissage farfelu des valeurs et des notions, mais aussi et essentiellement dans l'apprentissage de l'utilisation de ces valeurs et de ces notions au profit d'une société se voulant évolutionniste, (qui ne fera pas dans la xénophobie culturelle et de fait, linguistique).

Sacraliser la perfection sociale suppose la nécessité de générer et d'entretenir une âme collective pour que la société algérienne cesse d'éclater en une multitude de sous-sociétés mutilées intellectuellement et socialement marginales. En tout état de cause, réanimer le mouvement culturel universel en Algérie, c'est permettre à celle-ci de s'élever d'une société dévitalisée vers une société déterminée à embrayer, convaincue sur la représentation de la grandeur sociale qui fut la sienne, à laquelle elle aspire et de laquelle elle ne pourra plus se soustraire.

Réanimer l'universalité de la culture en Algérie, c'est promouvoir une éducation culturelle qui apprendra aux Algériennes et aux Algériens à ne plus faire dans l'indifférence et le conflit. Ce n'est qu'ainsi et seulement ainsi qu'ils deviendront puissants. Ce n'est qu'ainsi et seulement ainsi qu'ils se libéreront de l'humain figé, opportuniste, assisté, insouciant et usagé pour se fondre en cet humain chez qui le rationnel guide l'esprit et préside à la diversité de ses vertus. Dès lors, dépoussiérés des préjugés qui les persécutent, qui les emprisonnent même dans un conformisme farouchement conservateur, hostile à l'émancipation de toute tutelle, paralysant et ne laissant pratiquement pas de place à leur liberté de créer, se galvanisera en eux cet essentiel qui consiste à leur faire prendre conscience d'eux-mêmes et de leur rôle dans la cité au sein de laquelle ils évoluent et pour le bien-être de laquelle, ils oeuvreront.

Cette éducation culturelle bien pensée et bien réfléchie, anémiera alors en eux tout risque d'immobilisme parce qu'il régidifie la pensée au point où elle finira par s'ankyloser pour enfin buter sur elle-même et devenir inapte à se renouveler, inapte à contempler les choses de la vie* avec un regard neuf. Dès lors, ils s'enivreront de certitudes et de clarté. Dès lors, ils rejetteront le fanatisme et l'absolutisme, ces atroces perversions et s'investiront dans la promotion de cet humanisme authentique révélateur de la santé de la civilisation humaine.

*Les choses de la vie : elles se répartissent entre la servitude et la liberté, entre l'injustice et l'équité, entre la faiblesse et la puissance.

Il est, cependant, communément admis qu'il ne saurait être de nouvelle équation culturelle universelle véritable en Algérie que si la nécessité de produire du progrès civilisationnel est ressentie par tous comme une impérativité et non pas comme une aspiration confuse. Néanmoins, pour que ce sentiment soit partagé par tous, l'action culturelle à entreprendre devra repenser l'Algérien.

Repenser l'Algérien

Il est plus que temps que l'action culturelle porte, sans contrainte, un regard neuf sur l'Algérien. Il est plus que temps que cet homme acquiert une dimension nouvelle. Qu'il ne s'abandonne plus aux négations de la vie végétative qui l'étreint. Qu'il prenne acte des limites de sa liberté et qu'il forge sa responsabilité. Qu'il se décide de composer avec la complexité et la puissance du monde moderne. C'est cette part, en lui, jusque-là négligée qui doit être réanimée afin qu'il ne demeure plus cette conscience confuse et figée dans des postures amusant les apôtres de la dérision. Cela suppose, tout simplement que cette action culturelle à développer s'inscrive dans l'ouverture aux réalités futures, qu'elle rompe avec l'artisanat avec lequel elle cohabite de nos jours, qu'elle s'investisse dans la formation de l'homme valeur motrice.

Jusque-là, cette action culturelle n'a pu se confectionner des dispositions pour atteindre à l'humain. Jusque-là, elle l'a abandonné à ses faiblesses, à ses tourments. Cela dit, pour conquérir sa pérennité, cette action doit cesser de :

-demeurer impersonnelle et incolore ;

-vernir sa mission et de s'investir dans une allure conventionnelle ;

-s'organiser autour de la négation, stérilisant ainsi la société déjà fortement préoccupée par ses seuls soucis de survie.

Elle doit surtout cesser de surfer sur des fantasmes, tels que apprendre au citoyen à:

-observer sans pour autant l'initier à apprécier ;

-distinguer le vrai du faux mais en les relativisant ;

-rêver sans pour autant savoir imaginer ;

-se faire des illusions en vivant de la force des habitudes et des idées reçues.

 Ecartant tout ce qui peut donner du tonus à la négation de l'humain et comprenant que le citoyen ne vit que sa condition de citoyen, qu'il a son histoire faite d'émotions et de passions, d'espoirs déçus, de hasards heureux, d'échecs et de réussites, de peines et de joies, de générosité, de rêves et d'élans, se référant, par ailleurs à ce qui en lui est propre à révéler sa personnalité, l'action culturelle l'appellera à évacuer de son hygiène de vie tout ce qui peut l'affecter d'une allure inhumaine.

Cependant et bien qu'il soit un être complexe, l'Algérien est avant tout un être de raison parce qu'il pense, juge et réfléchit. Il est un être de passion parce qu'il éprouve, souffre et aime. Il est un être de création parce qu'il imagine, découvre et invente. Cela dit, l'action culturelle à envisager, se mettant au diapason des exigences de la culture universelle, devra comprendre qu'il ne saurait y avoir d'humanisme au sens plein du terme que si les facultés de l'esprit sont pleinement exercées. Ainsi, elle ne se condamnera pas aux mécomptes comptabilisés et à l'échec enregistré dans son entreprise.

Ainssi, elle ne produira pas une société frustrée, inanimée, inopérante et entièrement soumise au déterminisme des conduites stéréotypées, des réflexes conditionnés et des idées reçues.

Elle se refusera d'aseptiser ou de mutiler la sensibilité, le rêve et l'imagination, évitant de la sorte à la raison et à la logique de délirer et de se mettre en marge de la conscience. Elle formera, en l'Algérien, l'homme être de progrès et par conséquent, l'homme être d'action, l'homme libre, l'homme qui saura se conduire et s'adapter, l'homme qui saura collaborer.

A Suivre...

*Directeur de l'éducation - Professeur-chercheur INRE