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Le coût de l'incompétence (1ère partie)

par Adel Matougui*

  En 2006, Alitalia, la compagnie aérienne italienne, avait mis en vente sur Internet un billet en classe affaire de Toronto vers Chypre à 39 $ au lieu de 3.900, terrible erreur parce que 2.000 personnes ont pu réserver en ligne avant que le prix ne soit corrigé.

Pour ne pas porter atteinte à son image de marque, la compagnie aérienne avait décidé d'honorer les billets réservés, une malencontreuse erreur « de frappe » qui avait coûté à l'entreprise 7,72 millions de dollars.(1) Les exemples d'erreurs qui ont coûté cher à l'entreprise sont légion, la dernière qui a fait l'actualité est peut-être le téléphone explosif, au sens propre et figuré, de Samsung, le Galaxy Note 7, et dont le retrait pourrait coûter à l'entreprise 11,8 milliards de dollars.(2) Les erreurs vont des cas extrêmes de fautes de managers conduisant à la faillite, jusqu'aux fautes plus anodines commises au quotidien de la vie professionnelle, mais qui peuvent être tout aussi redoutables en s'accumulant jusqu'au pourrissement. Dans son livre paru en 2000, «Histoire des grandes erreurs de management», Christine Kerdellant avait recensé 12 erreurs types commises dans les entreprises, qu'elle avait classées en 2 catégories. La première catégorie liste les erreurs «qui résultent d'une décision ponctuelle sur un aspect précis d'un produit ou d'un service. Ce sont le plus souvent des erreurs de marketing au sens large ». La deuxième catégorie traite d'erreurs plus graves de management, qui sont inhérentes à l'organisation, à la gestion ou à la culture de l'entreprise. A mon sens, très répandues en Algérie et d'impact plus destructeur. Mais loin d'être une liste exhaustive, le livre essaie seulement de classer les erreurs les plus communes, la bêtise humaine étant infinie ! Une étude menée par le cabinet d'audit PwC(3) pour le réseau professionnel Linkedin avait démontré que l'inadéquation des compétences des salariés à leurs postes de travail coûterait 65,58 milliards de dollars à la Chine, 29,34 milliards de dollars aux Etats-Unis et 3,32 milliards de dollars à la France. S'il est relativement aisé de calculer les coûts directs de l'incompétence, en calculant le coût des recrutements, il est cependant très difficile d'estimer le coût de l'incompétence intégrée à un poste de travail, combien coûterait l'incompétence aux entreprises algériennes où le management s'apparente à un paternalisme tribal et l'organigramme à un arbre généalogique ? Au-delà des décisions malintentionnées, combien pèse l'incompétence « honnête » sur l'économie nationale algérienne, à titre d'exemple, combien avait coûté l'opération de privatisation du complexe El Hadjar en 2000, sans que cela aboutisse à son sauvetage des difficultés qui menacent sa survie, et combien avait coûté son rachat par l'Etat 15 ans après ? Combien coûteraient les travaux de réfection de l'autoroute Est-Ouest à peine livrée ? Une autre question tout aussi importante amalgame le monde de la gestion des ressources humaines, comment l'incompétence a-t-elle pu se frayer un chemin à l'entreprise, alors que la première activité des gourous de la RH est d'acquérir la compétence ? Autrement dit, les outils du recrutement sont-ils efficaces ?

Aujourd'hui, avec le développement des moyens de communication, le recruteur a une panoplie de canaux de recrutement disponibles : des annonces classiques sur les journaux et magazines, au e-recrutement via les technologies d'information et de la communication, les candidatures spontanées, les forums et les salons, et les job-dating? bref, les banques de CV des entreprises ne désemplissent pas, le vrai défi consiste en les étapes suivantes : la présélection et la sélection. D'abord le tri des CV et l'analyse des lettres de motivation pour sélectionner les plus intéressants et les inviter à une entrevue. Ce sont les CV qui correspondent au « profil » préétabli sur une fiche de poste, ou job description, bien détaillée, du poste à pourvoir. Sur les CV, on analyse le parcours scolaire, l'expérience professionnelle, les accomplissements précédents, les langues maîtrisées, « les compétences-clés », et même les centres d'intérêt, tout est criblé au peigne fin pour n'appeler que les profils potentiellement correspondants à l'entrevue. Les grilles d'évaluation sont des outils très pratiques pour la sélection. Premièrement, on analyse la fiche de poste pour déterminer les critères de sélection, qualifications, expérience et qualités personnelles, requises et souhaitées, et même les critères discriminants. Sur une grille d'évaluation, on pourrait ensuite attribuer une note à chaque critère et des clés de pondération selon l'importance. L'application de ces grilles d'évaluation pourrait conférer un caractère plus au moins objectif et fiable à la présélection pourvu que l'analyse initiale soit bien établie ! Cette approche est tellement systématisée que l'on peut l'appliquer automatiquement via des plateformes de recrutement ou des applications d'analyse de CV, l'informatique peut offrir même des avantages en recherchant des mots-clés par exemple, et surtout en matière de temps.

La subjectivité des recruteurs intervient par la suite dans les entretiens d'embauche. Il est vrai que là encore, une panoplie d'outils s'offre aux recruteur pour bien sélectionner le futur salarié : les tests d'aptitude, les tests de personnalité et les tests de simulation. Mais la fiabilité de ces outils reste à démontrer tout autant que celle de l'entretien d'embauche proprement dit.

Le recruteur peut-il vraiment cerner le candidat suite à une séance de questions-réponses qui ne dure qu'une heure ou une demi-heure ? Outre l'impossibilité de vraiment bien connaître une personne pendant une fenêtre de temps aussi brève, la subjectivité peut sérieusement biaiser la décision du recruteur. Un rapport publié par l'Organisation internationale du travail indique que 33% des demandeurs d'emploi sont victimes de discrimination selon leur physique(4). Une enquête menée par la chaîne de télévision française D8 a démontré des résultats proches : une actrice, travaillant avec les enquêteurs, a postulé 2 CV avec un parcours très similaire dans 50 offres de travail, seule différence sur un CV la photo de la jeune femme bien soignée est maquillée, sur l'autre, une femme moins belle, avec une denture moins parfaite et portant des lunettes : la version jolie de l'actrice a eu 3 fois plus de retours positifs que la version moins belle.(5) Cette discrimination persiste au sein de l'entreprise, lorsqu'il s'agit d'évaluer les employés, d'octroyer des augmentations de salaire ou des promotions. Dans son livre ?'DRH : le livre noir'', Jean François Amadieu écrivit : « Pour répondre à ces questions, on ne peut se contenter de décrire la merveilleuse boîte à outils des DRH, censée permettre, comme par enchantement, de recruter, récompenser et promouvoir les plus compétents et les plus performants des salariés.

Chacun d'entre nous constate bien, dans son expérience quotidienne, que la vie professionnelle n'est pas le monde des Bisounours et que les injustices y sont légion. La réalité, c'est qu'on est embauché en raison de ses relations autant que de ses compétences; que la graphologie a le droit d'être citée parmi les méthodes de recrutement; que les salaires et les carrières dépendent davantage des réseaux que des efforts; que les rémunérations des dirigeants ont explosé, sans lien avec la performance. Ou encore que les discriminations sont à l'œuvre partout, même là où on ne les attend pas ». Daniel Hamermesh, D. S., auteur du livre « La beauté paie. Pourquoi les gens beaux ont plus de succès », a étudié l'évolution d'avocats dans un cabinet américain sur une période de 25 ans. Les résultats qu'il a trouvés sont surprenants, les employés jugés beaux avaient obtenu plus de promotions et gagnent jusqu'à 15% de plus que leurs confrères moins gâtés par la nature.(6) Un autre type de discrimination à l'embauche, qui n'est pas cité dans ces recherches, concerne les femmes voilées. En France, le port de voile, considéré comme signe religieux ostentatoire, est quasiment interdit dans plusieurs institutions, dans d'autres, on ne l'écrit pas dans les règlements mais la discrimination est avérée. Le comble est que ce genre de discriminations s'applique dans un pays où l'islam est la religion de la majorité écrasante des citoyens comme l'Algérie. Une amie à moi s'est vue éliminer d'un entretien d'embauche chez un concessionnaire automobile, explicitement parce qu'elle porte le voile. Nous n'avons pas des statistiques sur l'ampleur du phénomène, parce que beaucoup de cas existent sans l'affirmer explicitement, et parce que généralement, les femmes victimes de cette discrimination ne se plaignent pas. Malheureusement, il n'y a pas d'enquêtes semblables sur la discrimination à l'embauche pour diverses raisons en Algérie, et à ma connaissance, il n'y a pas de loi qui protège les demandeurs d'emploi de ce type de comportements.

A suivre

*Pharmacien industriel, MBA en finances management

Notes

1- https://www.six-degrees.

com/the-high-cost-of-small-mistakes-the-most-expensive-typos-of-all-time/

2-http://www.usine-digitale.fr/article/le -fiasco-du-galaxy-note-7-pourrait- coûter-11-8-milliards-de-dollars-a-samsung.N449827

3- http://www.20minutes.fr/economie /1357657-20140422-incompetence- coûterait-trois-milliards-dollars-entreprises-francaises

http://www.pwc.com/gx/en/hr-management-services/publications/talent-adaptability/downloads.jhtml

4- http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/ddd_etu_201307 10_discrimination_emploi_analyse.pdf

5- http://tvmag.lefigaro.fr/programme-tv/en-quete-d-actualite-faut-il-etre-beau-pour-reussir-_d551d142-fbf5-11e5-84ed-82d078305403/

6- https://analyseeconomique.wordpress.com/2011/06/23/correlation-entre-beaute-et-salaire/