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Député, du politique au juridique

par Dali Youcef Omar*

Quid de la notion politique tronquée de député, ou « naïb » du peuple par rapport à la notion juridique avérée d'un contrat de mandat légalement formé par la base de l'article 571 du code civil algérien.

Si nous lisons littéralement cette disposition de la loi algérienne, initialement énoncée par l'article 1984 du code civil français, le mandat ou procuration (et non pas substitution ou « inaba ») reste donc, même en Algérie, un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose, pour le mandant et en son nom, le contrat ne se formant que par l'acceptation du mandataire.

Et du fait qu'il y a l'offre du mandant d'un côté dans ce « pouvoir de faire » et, de façon synallagmatique, l'acceptation de ce «pouvoir de faire » par le mandataire de l'autre côté, l'article 1134 du code civil français a prévu à cet effet contractuel réciproque que les contrats légalement formés et parmi eux ce contrat de mandat, fassent la loi des parties. Donc, le champ contractuel de l'article 1984 du code civil français a restreint le champ de légalité de cette « loi des parties», les actes sous seing privé et les contrats verbaux ou autres contrats moraux, comme ceux des députés de l'APN, étant prévu dans d'autres dispositions de ce code mais moins contraignantes ou dans d'autres textes de loi plus spécifiques.

Donc comme en France, le bulletin de vote reste avant tout un geste politique beaucoup plus qu'un acte de représentation de l'article74 du code civil algérien ou un contrat de mandat de l'article 571 du même code.

Mais certains politiques, un peu zélés, sont allés jusqu'à considérer quand même, malgré ces dispositions législatives règlementant les contrats de mandat, que la mise du bulletin de vote dans l'urne était « une offre de contrat de mandat » et que certains discours fallacieux de certains députés véreux devant leurs pairs seraient donc « l'acceptation de ce contrat de mandat » moralement conclu entre le peuple (rien que ça !) et ses élus avec, en prime, cette terminologie équivoque de « naïb » ou « nouab » que l'on retrouve partout. Et cette équivoque commence dans le code civil algérien lui-même en matière de contrat de mandat ou procuration (et non de substitution) entre la version française de ce code et sa traduction officielle en arabe.

En effet, l'article 571 du code civil algérien ne fait que reprendre intégralement et à la lettre l'article 1984 du code civil français, mais il n'aurait pas été traduit, à mon humble avis, de façon fidèle et cohérente du français à l'arabe par rapport aux autres dispositions du code civil français dans tous les chapitres du titre treizième.

Ainsi, la traduction de l'article 580 du même code civil algérien, concernant l'acte de substitution du mandataire par le tiers substituant, « inaba» a créé un amalgame dans la traduction de ces deux notions juridiques, savoir celle de représentation « inaba » de l'article 74 et celle de substitution « inaba » de l'article 580, en plus de la « inaba » de l'article 571 du code civil qui concerne, lui, le contrat de mandat proprement dit.

Et dans cette confusion, il est parfois difficile de se situer par rapport à un député de l'APN, un procureur général ou mandataire général et ses substituts, un procureur ou mandataire de la République et ses adjoints et enfin par rapport à un cocontractant qui a été mandaté par le très vieux moudjahed, avec pouvoir de substitution de l'article 580 en prime, à l'effet de conduire et disposer du véhicule spécialement aménagé par rapport à son handicap physique médicalement prouvé en principe, qu'il a fait importer spécialement pour lui de l'étranger à grand renfort d'euros, hors de portée du mandant !

Donc, pour démêler cet écheveau juridique et analyser, à sa juste valeur, cette notion virtuelle de mandataire du peuple, quelle différence juridique ou quelle part devoir faire entre la notion réelle de mandant et de son mandataire et la notion réelle aussi de mandataire substitué par rapport au tiers substituant. Ce questionnement sur la qualité exacte de mandataire du peuple ou de substitut des électeurs, pour qualifier à tort un député élu, m'est venue tout à fait par hasard quand j'ai lu d'abord la manchette de l'honorable madame Salima Tlemsani, la journaliste du journal El Watan du 06/11/2016, savoir que les milliardaires « s'hab ech'kara » ne pouvaient plus devenir les mandataires du peuple avec l'argent sale de la corruption de leurs électeurs, ce dont le petit peuple est innocent.

Et ce questionnement est devenu d'actualité quand j'ai vu ensuite sur la dernière page de ce même journal El Watan du 02/12/2016, une caricature signée HIC (que je ne connais pas) que j'ai essayé de calquer sur la notion de mandat ou procuration de l'article 571 mais en vain puis sur celle de la notion de substitution de mandataire de l'article 580 mais en vain aussi.

Comme cette manchette ou cette caricature pouvaient faire le tour du monde et être vues même par les détracteurs de l'Algérie, il m'a semblé utile en tant que très simple gérant d'affaire (« foudouli ») d'attirer aimablement l'attention de HIC, de madame Tlemsani ou de nos députés, mandataires du peuple, sur l'aspect juridique de cette noble notion de mandataire de l'article 571 du code civil algérien qui ressort en filigrane de cette caricature et qu'on attribue indûment même à cet « élu », propriétaire de la « chkara » corruptrice.

En effet, HIC a dessiné de façon très éloquente un camion à benne basculante que certains appellent benne tasseuse pour ne pas la qualifier autrement et il a tassé ou entassé dans sa benne basculante un ensemble de figurines, d'apparence humaine. Et comme titre ou slogan donné à son dessin humoristique, HIC a écrit en gros caractères au-dessus de cette caricature : « 2017 en Algérie, fin de mandat pour les députés » sic.

Cela voulait dire clairement que les figurines dessinées dans la benne pour représenter nos députés, siégeant dans l'APN, finiront dans cette benne basculante ou tasseuse à la fin de leur mandat 2017!!!

Et cela m'a rappelé la malheureuse mésaventure qui était arrivée à un certain député mandataire ukrainien à Kiev, un certain 17 septembre 2014, quand il avait fini sa course précipitée dans une benne à ordures (sic) par le fait violent de ses électeurs, donc de ses mandants, qui l'avaient jeté à l'intérieur avec son cartable à discours sur lui, toute une symbolique pour tous les députés du monde, détenteurs de sacs. Donc HIC le caricaturiste aborde, sans le vouloir, la relation juridique contractuelle qui peut naître entre un mandant (personne physique ou morale), en l'occurrence le peuple et son mandataire ou son substituant, selon le terme juridique employé en langue officielle arabe, c'est-à-dire son bras juridique, que l'on va mettre dans la benne basculante en 2017.

En effet, en situation normale, le ou les mandataires, personne physique ou morale, peuvent ne pas être au four et au moulin et l'article 580 du même code civil algérien leur permet de se faire substituer c'est-à-dire se faire remplacer en tant que mandataires bien entendu (et non en tant que mandants) par une tierce personne (qui n'est, bien sûr, ni le mandant ni le mandataire), pour l'exécution fidèle du contrat de mandat qui les lie juridiquement à leur mandant qu'il fut personne physique ou personne morale, ce qui donne naissance à une deuxième relation juridique contractuelle, celle du tiers qui se substituera au mandataire pour exécuter ce même mandat au nom et pour le compte du même mandant, qu'il fût personne physique ou personne morale aussi.

Ainsi, le mandataire, soit par lui-même, soit par l'intermédiaire de son substitué, agit toujours au nom et pour le compte de son mandant, donc y compris pour le compte de ses électeurs, soit gratuitement, ce qui m'étonnerait, soit à titre grandement onéreux.

Donc, pourquoi qualifier ce mandataire de « naïb » puisque les électeurs ne lui ont jamais donné le pouvoir de se substituer un tiers c'est-à-dire de se faire remplacer par un tiers au sens de l'article 580 du code civil qui dispose que « Le mandataire qui sans être autorisé, s'est substitué quelqu'un (pour) l'exécution du mandat, répond du fait de celui-ci comme si c'était son propre fait ; dans ce cas, le mandataire et son substitué sont tenus solidairement. Si le mandataire est autorisé à se substituer quelqu'un sans détermination de la personne de substitué, il ne répond que de sa faute dans le choix du substitué ou dans les instructions qu'il lui a données. Dans les deux cas précédents, le mandant et le substitué du mandataire peuvent recourir directement l'un contre l'autre». Et quand nous lisons cet article 580 en arabe, les notions de « wakil » et de « naïb » sont vraiment distinctes en principe. Mais, ce qui ajoute plus de confusion à la notion juridique de substitution de l'article 580 du code civil c'est-à-dire « el inaba », c'est que même la représentation édictée dans l'article 74 du code civil algérien, dont fait état l'article 585 du même code, reprend le mot de « naïb » pour définir cette notion de représentant.

Pourtant, le législateur a mis sur un pied d'égalité le représentant tel que défini par l'article 74 du code civil et le mandataire tel que défini par l'article 571 du même code comme étant la même personne ou la même notion.

Pourquoi définir alors l'autre personne physique qui est le substitué du mandataire, lui-même mandaté par le mandant, par le terme « naïb » alors que les termes de l'article 580 du code civil sont très clairs savoir :

-« Le mandataire qui, sans être autorisé, s'est substitué quelqu'un dans l'exécution du mandat répond du fait de celui-ci comme si c'était son propre fait : dans ce cas, le mandataire et son substitué (donc 02 personnes distinctes) sont tenus solidairement...

-Si le mandataire est autorisé à se substituer quelqu'un sans détermination de la personne du substitué, il ne répond que de sa faute dans le choix du substitué ou dans les instructions qu'il lui a données. »

En définitive, le député n'est pas le mandataire des électeurs, donc du peuple, ou son représentant au sens strict des articles 74 et 571 du code civil, car l'article 106 du code civil algérien précise que c'est le contrat qui fait la loi des parties et qui les lie dans la mesure où le député n'est nullement la personne substituée par le mandataire ou procureur au sens de l'article 580 du code civil.

 Et pour souligner l'excès d'utilisation du même terme « naïb » pour toutes ces situations juridiques bien précises mais différentes entre elles, même les rédacteurs des actes authentiques ou officiers publics comme moi, mandatés par l'Etat pour ce faire, collent hélas à la lecture stricte de l'article 571 du code civil algérien rédigé en arabe en commençant tous les actes de contrats de mandat ou procuration qu'ils rédigent par cette formule inexacte «? a comparu par-devant nous? (le mandant s'entend), lequel a, par les présentes, mandaté et s'est substitué y? » (wakkala wa anaba 3anhou).

Or le législateur, dans la version française du code civil algérien, qui est la plus juste, a visé le représentant ou la représentation dans l'article 74 du code civil, le mandat ou procuration dans l'article 571 du code civil et la substitution du mandataire dans l'article 580 du même code.

Je pense que la langue arabe reste une langue assez riche pour ne pas mettre le terme « naïb» à toutes les sauces à moins que les linguistes arabophones ne me confirment que la traduction du français vers l'arabe des articles 74, 571 ,580 et 585 du code civil algérien, repris tous les trois du code civil français, était fidèle et cohérente, ce dont je serai obligé de prendre acte en tant que notaire francophone à la base, ne maîtrisant l'arabe que pour les besoins professionnels.

Mais si la confusion dans les termes de ces dispositions de loi que je signale serait avérée, il appartiendra alors aux députés en tant que gérants d'affaire, plutôt que mandataires, des électeurs dont je fais partie, de pallier à cette anomalie ou cette lacune par un autre texte législatif plus clair et plus cohérent qu'ils voteront, avant la fin de leur mandat ou plus précisément « ouhda» actuelle ce qui prouvera qu'ils auront respecté le contenu de l'article 576 du code civil algérien.

Mais si certains continuent d'estimer que moralement c'est un véritable mandat que le peuple donne aux élus, que ce fût au niveau des APC, des APW ou de l'APN, l'élu deviendra aux yeux de la loi, donc de l'article 571 du code civil stricto sensu, le mandataire de ceux qui l'ont élu et ils peuvent lui demander des comptes, de vrais comptes devant le tribunal compétent, rationale materiae, à la fin de son mandat sans pour autant le jeter dans une benne basculante comme celle que nous voyons tous les soirs dans nos rues, à moins que tous nos députés n'aient été par le passé tous partisans de la chkara que veut éradiquer le nouveau secrétaire général du parti FLN, comme il l'a solennellement annoncé sur l'une des chaînes de l'ENTV, en ce mois de novembre, car s'il l'a annoncé de façon si solennelle c'est qu'il doit très certainement avoir la preuve de l'élément matériel et de l'élément moral constitutif de ce délit très grave de corruption et d'atteinte à l'image de marque du pays, grandement réprimé par la loi pénale. Donc, pour revenir à nos moutons, les moutons de Panurge qui n'ont pas utilisé de chkara pour devenir de bonne foi mandataires du peuple, mériteraient-ils la caricature de la benne basculante en 2017 alors que l'on peut tout simplement engager contre eux une réelle action civile en répétition de l'indu à la fin de leur mandat au cas où ils auraient perçu des salaires mirobolants pour ne rien faire durant tout leur mandat car l'article 576 du code civil précise que « le mandataire doit toujours, dans l'exécution du mandat, y apporter la diligence d'un bon père de famille », donc d'un père de famille responsable, ni corrupteur ni corrompu. Ou alors il faudrait prendre le taureau par les cornes et engager très simplement une action pénale et laisser le juste pénal suivre son cours pour le délit de corruption contre les pseudo-mandataires du peuple, « élus » grâce à l'argent sale de la corruption dont le secrétaire général du FLN a certainement la preuve irréfutable, le contraire n'étant, en matière pénale, que diffamation.

*Ancien élève de l' ENA, 8ème promotion -Ancien magistrat et actuellement notaire