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De «Rehmet Rebbi» à Rebbi Yerham (1)

par Kebdi Rabah

Ces derniers temps la scène médiatique s'est chargée d'une polémique ayant pour thème un produit censé guérir l'une des maladies les plus répandues sur la planète (plus de quatre cent millions de patients dont environ 1% en Algérie).

En effet, le diabète, objet de recherches soutenues par les plus grands laboratoires, après avoir englouti des milliards de dollars de par le monde, vient de trouver miraculeusement son épilogue à Constantine. Oui, à Constantine ! Capitale de l'Est d'un pays où le terme même de recherche se limite en grande partie aux services de sécurité et aux organisations humanitaires en charge de retrouver la trace des personnes disparues. C'est là qu'un «chercheur» algérien, inconnu dans le milieu universitaire, vient de terrasser, en s'appuyant sur la «miséricorde de Dieu», une des pathologies chroniques les plus retorses qui soient. Désormais, le pancréas peut se reposer, il n'a plus rien à craindre d'une rupture de stock en insuline grâce à une «miséricorde» en boîte à 1640 dinars l'unité, faut-il le souligner. Il aura suffi d'un battage médiatique intéressé et bien ciblé, conjugué à la somnolence ou la complicité des autorités sanitaires, pour créer la confusion dans les esprits et faire qu'une chimère s'imposât comme réalité auprès d'une population tellement chambrée qu'elle en est prête à gober n'importe quelle couleuvre, y compris celle de se persuader de toucher le gros lot par le seul fait de substituer un complément alimentaire à un traitement médicamenteux.

Mais peu importe, habitués à croire aux miracles, «fi bilad el mu'djizat», nombre de compatriotes ont cru qu'il était possible qu'une personne puisse solutionner un problème sur lequel toute une pléiade de savants, internationalement reconnus, planchent depuis des temps immémoriaux sans parvenir à autre chose qu'à des palliatifs pour suppléer la défaillance du pancréas quant à la sécrétion de l'insuline. Mais au pays des exorcistes, au pays où la «Roquia» et la «Hidjama» guérissent du cancer, qu'est ce minable diabète si non un mal bénin de plus à la portée de n'importe quel Algérien moyen, normal, pour peu qu'il soit «chater» qu'il ait la force de ses convictions et quelques paroles de Dieu au bout de la langue. Et puis, après tout pourquoi pas ! L'Algérie n'est pas à un miracle près. N'a-t-elle pas battu avec des fusils de chasse une armée de l'OTAN ? N'a-t-elle pas vaincu l'Allemagne en 1982 ? Dans un tel contexte un «remède», particulièrement lorsqu'il se dénomme «Rehmet Rebbi», ne peut que porter en lui-même tous les ingrédients de son succès. De plus il est né chez nous.

Après moult tortillements dignes des plus grands contorsionnistes, destinés à lui faire subir sa mue, voilà que le «RBH», qui a pris son envol en tant que médicament, atterrit en tant que complément alimentaire sur les bancs d'un marché chauffé à blanc par toute une kyrielle de médias sans vergogne et ce, sans les précautions préalables en termes d'études, d'essais cliniques et de publications des résultats etc. Il aura fallu attendre l'hospitalisation de quelques malheureux diabétiques qui ont abandonné leurs traitements et la réaction de certaines associations de la profession pour voir les autorités réagir en ordonnant son retrait et l'interdiction de sa commercialisation, en attendant les résultats de tests appropriés. Retrait dommageable pour les caisses d'Etat, car avec un «RBH» non remboursé, en remplacement de traitements remboursés, c'est une somme colossale que n'aurait pas eu à débourser la sécurité sociale. Quels que soient les résultats de ces tests, quand bien même ce produit sera remis en circulation, il n'en demeurera pas moins que ce qui s'est passé dénote l'état de vulnérabilité dans lequel le pays plonge chaque jour un peu plus. Pour preuve, la défaillance d'une autorité politique qui n'est intervenue que sur le tard (le 7 décembre) pour signifier qu'il s'agit là d'un «complément alimentaire» tout en restant muette sur les conditions et circonstances de la commercialisation de ce type de produit si non qu'il faille attendre les résultats des analyses futures?Rien que ça ! Mais ceci n'est pas la seule cause, il y a aussi le terreau favorable. Il est dans la glaciation des esprits, résultat de l'absorption d'un message religieux obscurantiste, salafiste ou autre, qui tend à reléguer la science à un rôle de faire-valoir, préférant lui substituer des pratiques d'un autre âge fondées sur l'immanence du surnaturel. En ce sens, le scandale du «BRH» n'est que la partie visible de cet iceberg à la dérive qu'est l'Algérie. En effet, les victimes du «BRH» ne représentent rien comparées à celles des charlatans du créneau de la médecine parallèle qui pullulent dans les quartiers, font salle comble, et dont les «prescriptions» sont souvent enrobées dans un glossaire racoleur titré pompeusement «médecine prophétique». Du reste, il faut reconnaître à l'auteur du «RBH» une compétence certaine en matière de marketing et de connaissance de la psychologie du consommateur car en s'adressant à une communauté aussi dévote, voire bigote, avec la dénomination «Rehmet Rebbi», il était quasi-certain de jouer sur du velours et du succès de son «business», allant jusqu'à affirmer qu'on lui a proposé le Prix Nobel à la condition de ne pas mentionner qu'il s'agit d'un produit d'origine arabe?Il lui reste juste à nous expliquer pourquoi cette noble instance, qui la lui a proposée ne lui a pas exigé de changer aussi la dénomination commerciale, mais apparemment elle semble plus «arabophobe» qu'islamophobe. Mais enfin bon !

S'il est vrai que l'indication «complément alimentaire» figure bien sur la boîte, il est tout aussi vrai que très peu de patients savent faire la différence entre cette indication et ce qui relève de la pharmacologie. L'arnaque n'est donc pas dans le produit lui-même, il existe de par le monde des milliers de compléments alimentaires. Non ! elle réside dans l'opportunité de faire la promotion d'un produit en l'associant étroitement, dans un premier temps, au diabète, grâce à un message subliminal et au travail de désinformation de certains médias dont les effluves de l'escroquerie les attire autant que les vautours par celles des cadavres putréfiés. Des escrocs qui savent parfaitement que si cette promotion avait été faite en tant que complément alimentaire elle n'aurait eu aucun succès. Complément alimentaire ? Faudrait d'abord que les Algériens trouvent l'alimentaire ! Grâce à certaines télévisions et journaux, le produit est donc perçu et vendu en pharmacie pour guérir le diabète, quand bien même il porte l'étiquette «complément alimentaire». En effet, la désinformation ayant eu le temps de produire ses effets, signaler sur l'emballage qu'il s'agit d'un complément alimentaire n'a aucun effet car il ne diminue en rien la tentation de l'utiliser en tant que médicament. Dans un pays où on se soigne encore en usant des amulettes et recettes de «grand-mère», tout est médicament, à plus forte raison quand il se nomme «Rehmet Rebbi». La preuve en est donnée lorsqu'on constate que les patients l'ont commandé aux pharmaciens en précisant qu'ils veulent le produit contre le diabète. De là à ce que nombre de diabétiques abandonnent leur traitement il n'y avait qu'un pas qui a été vite franchi. En ce sens, l'illégalité réside dans la publicité mensongère, pour le reste les promoteurs du «RBH» n'ont fait que profiter de la permissivité de l'Etat et d'une situation d'ignorance et de dénuement des malades pour s'insinuer adroitement dans la lézarde psychologique de ceux qui souffrent.

Le recours à Dieu pour vendre une «pacotille» n'est pas nouveau. En Algérie, il a ses précédents. Il faut se remettre en mémoire un certains 5 juin 1989. Ce jour-là, au stade du 5-Juillet, le FIS tenait un meeting en préparation aux élections communales. Devant plus de cent milles fervents, Abassi Madani haranguait la foule. A un moment crucial apparut une écriture dans l'azur du ciel : «Allah ou akbar». En pleurs et en transe, les fidèles se prosternèrent croyant fermement que Dieu venait de les adouber. Quelques mois plus tard, la «faveur» de Dieu se confirmera et le FIS raflera 856 communes sur les 1540 que comptait l'Algérie. Le mystère de l'usage du laser n'ayant pas encore été levé, nombre de présents ce jour-là continuent, aujourd'hui encore, à croire au miracle. Des cartes postales représentant la «sainte» écriture furent produites et vendues par milliers à des nigauds qui croyaient ainsi avoir acquis une parcelle de Dieu avec cinq dinars. Du laser du 5-Juillet à la boîte du «RBH» la puissance de Dieu est «convoquée» pour étayer une affirmation et conférer à une pacotille un pouvoir surnaturel. L'effet de l'invocation de la puissance divine, ce dénominateur commun des charlatans dont les uns et les autres usent et abusent à satiété, serait nul ou de moindre effet dans une société éveillée et gouvernée intelligemment. Dans n'importe quel pays occidental, la marge de manœuvre dans une telle combine est si mince que les auteurs auraient eu affaire à la justice dès les prémices de l'arnaque. Chez nous, hélas, la clochardisation ambiante, la déliquescence des autorités font que la médecine parallèle, le charlatanisme, le surnaturel, les arnaques à grande échelle ont encore de belles années devant eux et d'autres «RBH», d'autres lasers, d'autres Khalifas continueront encore à essaimer, à profiter du laxisme de l'Etat, à se jouer de la crédulité d'un peuple si féru de miracles que beaucoup n'hésitent pas à l'affubler du sobriquet «ghachi». Alors à la prochaine !

(1) Le titre est puisé d'une caricature de Dilem