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Mohamed Tamalt assassiné par la tyrannie

par Sid Lakhdar Boumédiene *

Un journaliste a été incarcéré pour des mots, c'est insupportable. Un défenseur de la libre parole a perdu la vie pour ces mêmes mots, c'est outrageant. Honte aux magistrats qui se sont laissés aller à confondre le droit et l'allégeance au puissant. Honte à tout juriste qui ose interpréter le droit de l'offense d'une telle manière. Honte aux assassins qui ont eu un droit de tuer par l'ensemble de la chaîne tyrannique.

La simple idée qu'un homme soit assassiné pour avoir écrit des mots est d'une nature qui n'est pas de notre monde mais de celui d'un univers qui semble de plus en plus éloigné du nôtre. Le malheureux a perdu la liberté puis ensuite la vie pour avoir dénoncé la tyrannie. Nous lui rendons hommage car nous n'avons pas été aussi courageux.

J'ai honte pour mon pays lorsque je vois ce sourire radieux de Mohamed Tamalt sur ces photos qui nous parviennent en ce jour de deuil. J'ai honte pour mes compatriotes qui continuent à accepter une tyrannie sans broncher. J'ai enfin une désespérance à voir ces députés de la République cautionner la dictature d'un homme et de sa fratrie. Mais ce n'est plus de la honte que nous avons lorsque ce même tyran est acclamé par les foules, c'est de la consternation.

Je ne connais pas cet homme et peut-être a-t-il des opinions radicalement contraires aux miennes. Je ne connais pas ses écrits et peut-être sont-ils révoltants. Je ne connais pas l'affaire judiciaire et peut-être entre-t-elle dans un cadre légal.

Oui, mais le problème est que cadre légal et légitimité du cadre légal sont deux notions radicalement opposées. Nous n'avons pas dû apprendre le même droit sur les bancs de la faculté et nous n'avons pas du tout la même perception de ce qu'il est et doit être. Un cadre légal dans un régime militaire avec un président à vie, une force de répression féroce et une censure solide, est frappé d'une nullité absolue, aucune de ses dispositions ne peut être invoquée par le droit, et encore moins pour incarcérer et assassiner un journaliste.

La vieille notion de l'injure au roi

En 2008, un homme a été condamné pour délit d'offense publique au chef de l'État pour avoir placardé une affichette sur laquelle était inscrite «casse-toi pov'c...» à l'encontre du président Nicolas Sarkosy. Mais en 2013, la France, dont l'Algérie a hérité du plus mauvais dans sa législation sans garder le bon, a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme. Au délit d'offense est opposé le droit à la liberté d'expression politique par tous moyens y compris par la caricature.

Impossible de garder donc plus longtemps ce qui avait été considéré comme un vieux fond de monarchie, le crime de lèse-majesté. Une offense au roi, un acte des plus répréhensibles envers l'État et son représentant de nature divine puisqu'il était sacré de cette délégation à la Cathédrale de Reims.

Tombé en désuétude jusqu'à cette affaire, la France a dû légiférer en 2013 pour annuler cette disposition moyenâgeuse et la remplacer par un délit d'injure ou de diffamation. Ce n'est manifestement pas suffisant car, comme le précise Amnesty International, ce type d'acte devrait relever du domaine civil.

Pourquoi ce qui est normalement du droit pénal pour les individus ne peut être que civil pour le chef de l'État ? Tout simplement parce qu'il y a une disproportion de pouvoir entre des personnes qui ne sont absolument pas sur le même pied d'égalité quant au rapport de force. Mais surtout, nous voyons bien là la tentation d'un gouvernant à museler tout ce qui le dérangerait. Fini la critique politique, fini la caricature et la fiction sur un quelconque personnage du pouvoir.

Cela est absolument impossible car la frontière serait de plus en plus proche et nous comprenons bien que dans une dictature militaire, c'est tout simplement un outil juridique au service du tyran. Mohamed Tamalt a été emprisonné puis assassiné suite à une interprétation zélée de nos magistrats dont je les accuse, sans l'ombre d'une hésitation. Pas de l'assassinat, bien entendu, mais que faisait-il en maison d'arrêt ?

Mort pour un blasphème ?

Et si Mohamed Tamalt était mort pour un blasphème ? Ce n'est pas la première fois que nos juristes condamnent pour ce délit qui me semble, encore plus que l'offense au roi, sortir des ténèbres du droit. L'idée n'est pas exempte d'un certain argumentaire.

La première fois que j'ai lu la Constitution algérienne du président Bouteflika, je suis resté sans voix. Un article précise que le président de la République nomme les représentants du peuple à la chambre haute. Je me suis demandé si cette assemblée était alors une sorte de conseil économique et social, un organisme qui ne sert qu'à placer ses amis et à grever le budget de l'État. Il en existe tellement dans les constitutions.

Pas du tout, une rapide vérification indique que cette chambre est investie du pouvoir législatif dont un article précise qu'il a pour mission de voter les lois et de contrôler le pouvoir exécutif, c'est-à-dire le président de la République qui en détient le pouvoir absolu.

Le président nomme ceux qui le contrôlent, une admirable innovation juridique que même les juristes d'Idi Amine Dada n'auraient pas osé écrire. Mais alors, nous suggère la réflexion juridique face à une pareille énigme, la seule solution en droit est que le président soit le peuple. Mais oui, voilà, le président rédige les lois, les vote et contrôle la validité du système.

Subitement, à ce moment précis d'un exercice d'analyse juridique unique au monde, une idée traverse l'esprit. Et si le président se croyait être au dessus du peuple lui-même ? Une autre recherche rapide finit par trouver la réponse, c'est l'article l'obligeant à prêter serment aux commandements de la religion. Ouf, il ne se pense pas être... plus haut !

L'hypothèse est à écarter, Mohamed Tamalt n'a pas été condamné pour blasphème.

Quelques magistrats au service d'une tyrannie ?

Qui a osé mettre un homme en prison parce qu'il avait offensé un président à vie ? Qui peut oser argumenter que c'est au nom du droit que pareil outrage à l'humanité peut se justifier ? Qui peut, le regard droit et la conscience tranquille, faire un tel acte sans avoir la nausée ?

Et si celui-là ose argumenter par le droit et la justice, je lui rétorquerais alors ceci : Pourquoi n'avez-vous pas eu le même zèle pour tous les délinquants financiers dont l'ami du président ? Pourquoi n'ouvrez-vous pas une instruction lourde et sincère contre tous les crimes de la sécurité militaire et de tous les assassinats politiques de cette présidence puisque son titulaire est présent depuis 1962.

Pourquoi ne vous acharnez-vous pas envers l'ignoble pillage de l'Algérie, le scandaleux détournement de son patrimoine, les tortures et les crimes de ce régime militaire ? Pourquoi n'avez- vous pas la même lecture de l'offense que celle que vous avez eu envers ce pauvre Mohamed Tamalt ? C'est pourtant une gigantesque offense au peuple algérien qui a été faite. A côté, celle de Mohamed Tamalt n'équivaut même pas au vol d'un caramel dans une épicerie par un gamin.

Mohamed Tamalt a rejoint les milliers d'innocents qui sont le résultat d'une fausse interprétation juridique ou d'une non-prise en compte du droit, le vrai. Non, nous n'avons pas appris le même droit, nous ne sommes pas du même bord et je ne revendique aucune salissure d'une robe de magistrat car aucun démocrate ne l'aurait portée au service d'un régime militaire et népotique. Et ceux qui sont innocents d'une telle accusation, ils sont bien entendu l'écrasante majorité, n'emprisonnent pas des innocents pour un simple blog. Mais il faut que cette écrasante majorité s'exprime une bonne fois pour toute.

Paix à son âme et que ses écrits soient la marque de votre honte. Je ne les connais pas mais mourir pour des mots, quels qu'ils soient, je ne peux l'admettre.

* Enseignant