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La fabuleuse histoire du Docteur Zaibet

par Abed Charef

D'où vient la nouvelle menace contre la santé des diabétiques en Algérie? Du ministère de la santé. L'affaire Zaibet en fait foi.

Oser. Il faut juste oser, et tout devient possible. En suivant ce précepte très simple, Toufik Zaibet est devenu une star, un homme riche, et un symbole de cette Algérie de 2016, faite de duplicité, de naïveté, de charlatanisme, de fourberie et de tromperie, de mauvaise gestion et d'amateurisme. Avec ses airs de faux timide, manipulant quelques concepts scientifiques rudimentaires, ce petit technicien a réussi, à force de dribbles et de non dits, à monter une affaire fabuleuse, entrainant avec lui des chaines de télévision, des journaux, des hauts responsables, et même un ministre.

Ni médecin, ni chercheur, Toufik Zaibet était un petit bricoleur du week-end. Une vocation sympathique par ailleurs, et qui peut devenir, par ces temps de pénurie de main d'œuvre, rémunératrice si on l'exploite correctement. Mais M. Zaibet ne pouvait se contenter de si peu. Il voulait aller loin, très loin. Réaliser le coup de sa vie. C'était tellement facile, avec un terreau aussi favorable : des complices potentiels un peu partout, de la duplicité, pas d'institutions ni de freins légaux, et la possibilité d'intéresser d'éventuels récalcitrants.

Un économiste dirait qu'il y avait une forte demande, avec un marché en attente. Il suffisait de présenter une offre adéquate. Le paradis avait été pris par le FIS, la présidence squattée par Bouteflika, la banque par Khalifa. Il restait la détresse. Entre l'hypertension et le diabète, le choix a été fait. Allons-y pour le diabète.

Bigoterie et one-two-trisme

D'éminentes personnalités ont tenté de tirer la sonnette d'alarme. Des spécialistes du diabète, de la pharmacie, ainsi que des chimistes, des psychologues et des médecins de toutes vocations ont parlé d'escroquerie. Mais c'était visiblement insuffisant. Une animatrice de télévision, qui a joué un rôle important dans la supercherie, a reproché à un interlocuteur qui se montrait sceptique à propos des inventions de M. Zaibet, de « ne pas croire au génie algérien ». « Si l'invention avait été présentée par Jean ou Robert, vous auriez applaudi », a-t-elle dit, dans une recette qui a prouvé son efficacité : un brin de one-two-trisme, deux grammes de bigoterie, une pincée de bêtise, et beaucoup d'intéressement. Un obscur président d'une association pour « la promotion de la richesse intellectuelle » menaçait les contradicteurs de M. Zaibet de procès retentissants, et promettait un grand congrès de scientifiques algériens pour présenter le produit miracle. Pour quelle date ? Le 1er novembre, évidemment?

Le sens du marketing de Toufik Zaibet et des médias qui l'ont parrainé ont réalisé un vrai miracle. Le médicament devait donc être lancé le 1er novembre, et être baptisé Rahmet Rabbi ( Miséricorde de Dieu). Un coup de génie médiatique. Un internaute suggérait de compléter ces décisions en annonçant qu'il serait gratuit pour les palestiniens?

Syndrome Khalifa

Bref, cette blague de mauvais goût aurait été parfaite pour animer la vie locale si elle s'était cantonnée à un quartier, voire à un village. Mais elle s'est propagée dans tout le pays, et bien au-delà, pour atteindre des proportions délirantes. Au passage, elle a révélé la capacité d'une société déboussolée à admettre l'irrationnel, mais elle a surtout confirmé les dysfonctionnements institutionnels qui ouvrent la voie à de tels cirques.

C'est en effet le ministre de la santé lui-même qui a apporté son appui au bonimenteur. « Je le connais personnellement », a déclaré M. Boudiaf, sachant qu'en Algérie, une déclaration d'un a force de loi. En faisant cette déclaration, le ministre de la santé dispensait M. Zaibet des procédures en vigueur. Qui peut imposer une quelconque contrainte à un ami du ministre ? Dans l'Algérie de 2016, un ami du ministre, du wali, du général-major, peut tout obtenir, en passant au-dessus de la loi, ou à côté. Il n'est pas soumis aux mêmes règles que le citoyen normal.

C'est le syndrome Khalifa. Si tu crées une banque, cela veut dire que tu es riche. Si tu es riche, tu es forcément introduit dans les « hautes sphères ». Tu peux donc fonctionner à côté de la loi. Et si tu fonctionnes en dehors de la loi, cela veut dite dire que tu as des protections. Donc, tu es introduit dans les rouages du pouvoir. Pourquoi un fonctionnaire viendrait te mettre des bâtons dans les roues ? D'autant plus que des hommes se retrouvant dans cette posture peuvent se montrer généreux : ils proposent cadeaux de valeurs et virements en devises.

Ali Haddad, Khalifa et les autres

Pouvait-on avoir l'idée, jusqu'au début de ce mois, de s'opposer à un projet de Ali Haddad? Evidemment non. Cela a permis au président du FCE de dire et de faire ce qu'il voulait : prendre le FCE, empiéter sur des règles protocolaires, obtenir des marchés, acquérir un terrain situé à proximité de la gare routière d'Alger, ce qui serait impossible pour n'importe quel autre citoyen. Il a pu le faire parce qu'il est l'ami de qui vous savez. Lui refuser quoi que ce soit, c'est risquer son poste, et peut-être de sérieux ennuis.

Ces dérapages répétés paralysent les institutions, et forcent des hommes de bonne foi à se recroqueviller dans leur bulle, de peur d'attirer la colère du prince. La faute première en incombe d'abord au responsable le plus haut placé, le ministre de la santé, en l'occurrence. Dans l'affaire Zaibet, M. Boudiaf est passé outre les procédures en vigueur. Il n'a pas eu recours aux institutions à sa disposition. Il a un comité national du diabète, des conseillers dont la compétence est reconnue, un dispositif de pharmacologue réputé performant, et des procédures très strictes quand il s'agit de médicaments et dérivés. Il pouvait aussi avoir recours au simple bon sens. Il est passé outre. Et sa démarche l'a conduit non seulement au ridicule, mais aussi à une posture absurde : chargé de veiller sur la santé des Algériens, il est lui-même devenu une menace pour la santé des Algériens.