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Quelle santé, pour ? quelle Algérie, ? quel Algérien ? (3ème partie)

par Docteur Mahmoud El Salah Khaznadar

La deuxième mesure de réforme est la réintroduction totale du secteur libéral dans l'exercice médical à travers la loi 88-15 du 3 mai 1988 relative aux cliniques privées. Il est essentiel de retenir que la réintroduction du privé médical dans le paysage ne répond pas à une démarche constructive de planification mais à celle de trouver une solution aux gros problèmes du secteur public. Ceci explique le non accompagnement de ce secteur et sa non «légitimation» jusqu'à l'heure actuelle.

Le choix politico-idéologique du système de santé consacré en droit constitutionnel dans la Constitution de 1976 (article 67 : tous les citoyens ont droit à la protection de leur santé. Ce droit est assuré par un service de santé général et gratuit) n'est plus retrouvé dans celle du 23 février 1989 qui, en son article 51, limite l'obligation de l'Etat à la prévention et la lutte contre les maladies épidémiques et endémiques. Il n'est plus question de gratuité.

La Constitution du 8 décembre 1996, modifiée par la loi 02-03 du 10 avril 2002 et la loi 08-19 du 15 novembre 2008, reproduit dans son article 54 les mêmes obligations de l'Etat en matière de santé. La notion de gratuité est supprimée, ce qui ouvrait la porte aux réformes indispensables à la promotion du système de soins. Réformes, hélas, depuis lors, différées et «ratées» jusqu'à ce jour.

1992-2002 : la déchirure

Le drame national vécu par le peuple algérien pendant cette décennie avec à terme des statistiques faisant état de 100.000 morts, 1.000.000 de victimes, des centaines de structures publiques détruites allant des unités industrielles aux établissements scolaires en passant par les unités de soins, ne nous permettent pas de qualifier cette période autrement que de déchirure. Bentalha, Raïs Hamidou, Relizane, pour ne citer que ces drames, ne peuvent pas sortir de la mémoire.

Durant cette période beaucoup d'action ont été menées, dont la mise en place d'institutions essentielles à l'inscription du système de soins dans la modernité et l'universalité :

- Révision des statuts des établissements de santé (CHU, EHS, SS) et mise en place des conseils d'administration

- Redynamisation des actions en matière de programme de santé et de population

- Redéfinition de la politique du médicament en matière d'importation, d'enregistrement, de contrôle et de distribution des produits pharmaceutiques ; levée du monopole de l'Etat sur les importations, la production et la distribution en gros des produits pharmaceutiques

- Mise en place de structures de soutien indispensables à l'action du ministère de la Santé : LNCPP, Laboratoire national contrôle produits pharmaceutiques ? IPA, Institut Pasteur d'Algérie ? PCH, Pharmacie centrale hôpitaux ? ANS, Agence nationale sang ? ANDRS, Agence nationale de documentation et de la recherche de la santé ?CNPV, Centre national pharmacovigilance ?CNT, Centre national de toxicologie ?INPFPM, Institut national pédagogique formation paramédicale.

La déontologie médicale réintroduite par la loi 90-17 du 31 juillet 1990 devient effective par la promulgation du décret 92-276 du 6 juillet 1992 portant code de déontologie médicale. Les premiers conseils sont installés en 1993 pour être dissous en 1994 suite à un recours formulé par l'UMA ; ils revoient le jour en 1998, en raison de l'indifférence des pouvoirs publics, du non engagement du corps médical et de l'absence de prise de responsabilité des élus, pour se limiter à la gestion des choses courantes loin des prérogatives réelles d'une telle institution.

La régionalisation, proposée comme objectif principal de la gestion des soins dans le cadre de la décentralisation et de la carte sanitaire, comme prédit par beaucoup, s'est arrêtée au stade de la désignation des responsables. Il est évident que cette mesure ne peut avoir d'impact réel que si elle se calque sur une région administrative telle que ce fut le cas des igamies.

Nous avions pleinement adhéré au programme de substitution des transferts pour soins à l'étranger initié en 1993 en raison de sa finalité annoncée d'aboutir à terme de 5 ans à un développement des soins de haut niveau à l'échelle nationale par la création de centres de références régionaux soutenus par une politique de formation spécifique et ciblée dans les spécialités pourvoyeuses. Le financement étant assuré par les économies réalisées par la limitation des transferts. Les transferts sont passés de 5000 à 500 patients ?! Nous verrons dans un chapitre spécifique ce qu'est devenu ce programme.

Enfin cette période a vu naître une mesure décriée par les uns, applaudie par les autres et qualifiée aujourd'hui par les pouvoirs publics d'être en grande partie responsable de la situation du secteur : l'activité complémentaire introduite par la loi 98-09 du 19 août 1998.

En parler dans les détails impose un chapitre à part pour livrer une opinion objective, mais il faut signaler ici que son introduction au départ ne répondait pas à l'objectif d'intérêt général qui sous-tend une telle mesure dans les autres pays, y compris chez nos voisins maghrébins. Comme pour la libération de l'exercice privé de la médecine, l'option d'un mode d'exercice spécifique tel que pratiqué partout dans le monde n'a pas découlé d'une démarche de mise en place d'une planification.

Cette même loi qui autorise tous les spécialistes comptabilisant cinq ans d'ancienneté, tous corps et grades confondus, à postuler pour une activité complémentaire maintient le service civil pour les nouveaux spécialistes, mesure qui atteste de la conviction des responsables que cette mesure est la seule à même de pallier l'inégalité et l'iniquité de la couverture en soins. Il est loisible de démontrer que cette mesure qui n'apporte rien aux populations des «déserts médicaux» est nocive pour la promotion de la santé et de la médecine.

2002-2012 : la réforme hospitalière

La paix retrouvée, les esprits retrouvant une quiétude relative générée par la politique de concorde nationale, et l'embellie économique sont autant de facteurs propices à une politique de réformes. Emergeant d'une longue période de cauchemars, les citoyens qui sortaient d'une épreuve de survie quotidienne et qui n'aspiraient à rien d'autre que de retrouver une vie tranquille étaient psychologiquement prêts à tous les changements surtout si ceux-ci étaient porteurs d'une couverture sanitaire meilleure.

Le ministère de Souveraineté devient le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière (MSPRH) et la politique de réforme hospitalière initiée se fixait comme objectifs :

- De planifier et d'organiser l'offre des soins dans les établissements hospitaliers                

- De moderniser et de re-qualifier les services en prenant en compte les différentes modalités de prise en charge, avec en mai 2007 mise en place d'une nouvelle organisation sanitaire portant séparation des établissements hospitaliers et ceux assurant les soins de base et en janvier 2008 création des EPH et des EPHP

- D'humaniser et de sécuriser les prestations

- De replacer le secteur public au centre des missions de l'Etat dans ses missions de service public dans le respect des valeurs d'équité et de solidarité

- De structurer le financement des soins selon les catégories de population, assurés sociaux, démunis et autres

- De créer un cadre réglementaire qui permette aux établissements publics d'accéder à des ressources financières autres que le budget de l'Etat et le forfait CNAS

- De créer un cadre légal et réglementaire pour la création des hôpitaux privés

Plusieurs actions ont été menées dans le cadre des réformes :

1/ La contractualisation

Les lois de finances successives depuis 1992 disposent que «la contribution des organismes de sécurité sociale aux budgets de fonctionnement des établissements publics de santé doit être mise en œuvre sur la base de rapports contractuels». Elles précisent que «les dépenses de prévention, de formation, de recherche médicale et les soins prodigués aux démunis non assurés sociaux sont à la charge du budget de l'Etat».

Ceci implique que la catégorie des non assurés sociaux non démunis est concernée par un autre mode de paiement soit par le concerné, soit par un organisme tiers. Ainsi devait être entamée la réforme du financement de la santé dans le strict respect des dispositions constitutionnelles contenues dans l'article 51 de la Constitution du 23 février 1989.

La loi de finances 1995 (ordonnance 94-03 du 31 décembre 1994), dispose dans son article 165 que «la nature et le montant des ressources provenant des activités propres des établissements de santé sont fixés par arrêté conjoint du ministre chargé de la Santé et du ministre chargé des Finances». C'est suite aux conclusions du Conseil interministériel du 21 mars 1995 qu'un comité interministériel, chargé de la contractualisation, est installé le 10 avril 1995.

Dans ce cadre, deux études ont été réalisées : l'une confiée au CENEAP, financée sur le budget de l'Etat en1997 et déposée en juin 1999 ; l'autre commandée et financée par la CNAS au bureau d'étude SOFNAL en 2000 intitulée «maîtrise des dépenses de la CNAS afférentes à la couverture des prestations prodiguées aux assurés sociaux». Aucune n'a fait l'objet d'information, à ce jour, à destination des professionnels de la santé.

L'arrêté conjoint fixant nature et montant des ressources provenant des activités propres des établissements publics de santé, prévu dans la loi de finances de 1995, est signé le 26 janvier 2002. Le groupe interministériel chargé de l'élaboration et des modalités de la mise en œuvre de la contractualisation entre établissements publics de santé et organismes de sécurité sociale est installé le 16 mars 2002.

Le groupe interministériel (ministère de la Santé, Population et Réforme hospitalière, celui du Travail et de la Sécurité sociale et celui de l'Emploi et de la Solidarité nationale) avait le choix entre deux modes de paiement : le coût moyen de la journée d'hospitalisation par type d'établissement et par groupe de spécialités homogènes et le forfait par pathologie.

La démarche retenue a été de retenir dans l'immédiat la journée d'hospitalisation et de lancer les travaux d'approche de la deuxième option au premier trimestre 2003.

En janvier 2003 est lancée une opération de simulation de facturation dans dix structures pilotes (sans information ni médiatisation en direction des professionnels du secteur) :

- CHU : Mustapha, Constantine et Blida

- EHS : CPMC à Alger, El Bouni à Annaba et Erriadh à Constantine

- Secteurs sanitaires : Médéa, Ouargla, Arzew et Aïn El-Turck.

Cette opération avait entre autres objectifs déjà énoncés d'«évaluer les activités et les coûts hospitaliers» (instruction interministérielles du 14 janvier 2003).

Le décret 04-01 du 1 avril 2004 (fixant les modalités de versement de la contribution des organismes de sécurité sociale au financement des budgets des établissements publics de santé), parachève le cadre réglementaire de la réforme du financement du système de soins dont le premier acte a été défini par le décret 01-12 du 21 janvier 2001 (fixant les modalités d'accès aux soins en faveur des démunis non assurés sociaux).

Il est important de souligner que ce décret, 04-01, adopté en Conseil du gouvernement du 24 novembre 2003, est pris en application de l'article 116 de la loi de finances pour 2003 qui stipule que «la contribution des organismes de sécurité sociale aux budgets des secteurs sanitaires et des établissements spécialisés (y compris les centre hospitalo-universitaires) est destinée à la couverture financière de la charge médicale des assurés sociaux et de leurs ayants-droit». Dès lors, la refondation du financement de la santé est entamée dans l'esprit de tout lecteur.

La circulaire 09 MSPRH/SG du 15 avril 2004 indique la fin de la phase d'expérimentation induite en janvier 2003 et conclut que le bilan d'étape établi au 31 décembre 2003 permet de lancer la généralisation du processus à l'ensemble des structures publiques. La note 1026 MSPRH/CC du 30 décembre 2004 fixe au 1er janvier 2005 le démarrage du processus de contractualisation.

Nous en sommes à plus de dix ans, les choses sont en l'état, la réforme du secteur est, en ce moment même, appréhendée avec une amnésie qui défie tout entendement.

2/ La revalorisation des salaires des personnels médicaux du secteur public :

Contenue dans le décret 02-119 du 6 avril 2002 instituant une prime d'intéressement au profit de certains personnels relevant des établissements publics de santé et fixant les modalités de son attribution. Ce décret arrive immédiatement après la mise en place du groupe interministériel chargé de la contractualisation installé le 16 mars 2002 et faisant suite à l'arrêté conjoint Finances et Santé du 26 janvier 2002.

Il stipule dans son article 10 que cette prime d'intéressement, non comptabilisée en fait dans le calcul de la retraite, est «financée par les ressources provenant des activités propres des établissements publics telles que prévues par l'article 165 de la loi de finances de 1995?». Il stipule également dans son article 4 que «?. au titre de la performance est attribuée en fonction du degré de réalisation des objectifs fixés dans le cadre d'un cahier des charges définissant la nature et le volume des activités ainsi que les obligations de chaque service et de chaque praticien».

13 ans après, l'échec de la réforme étant consommé :

- les établissements n'ayant pas de ressources propres, l'augmentation est prise en charge sur le budget de l'Etat ?!

- Les cahiers des charges n'ayant pas vu le jour, la prime au titre de la performance est attribuée à un pourcentage uniforme, dans l'indifférence totale des activités de chacun, conformément aux dispositions de l'instruction 005/MSP/MIN du 28 avril 2002 : 30% pour les spécialistes de 5 ans d'activité, 50% pour ceux de moins de 5 ans d'ancienneté et 70% pour les praticiens généralistes ?!

3/ L'activité complémentaire et l'activité lucrative :

La prime d'intéressement portant augmentation des salaires comportant une rubrique de «renonciation à l'activité complémentaire» le nouveau dispositif réglementaire est mis en place par les dispositions du décret 02-256 du 3 août 2002 qui, dans son article 4 bis, décrète que «l'exercice de l'activité complémentaire est incompatible avec l'occupation de tout poste de chef de service ou de chef d'unité».

Dans les faits il est donné aux plus jeunes la possibilité d'un exercice complémentaire qui est interdit pour les plus anciens : disposition diamétralement opposée aux objectifs attendus d'une telle mesure dans l'ensemble des pays qui l'appliquent.

L'activité lucrative, représentée par un exercice autorisé les week-ends et jours fériés, vient en 2006 (ordonnance 06-03 du 15 juillet 2006) rectifier cet illogisme.

4/ La nomenclature des actes et la tarification :

Le comité interministériel chargé de la mise en œuvre de la contractualisation avait, dans sa réunion du 7 février 2004, retenu le principe de la révision de la nomenclature des actes médicaux et de la tarification, en précisant : «compte tenu des prérogatives de chaque secteur».

Le cadre réglementaire de cette révision est fixé par le décret 05-257 du 20 juillet 2005 portant modalités d'établissement de la nomenclature générale et de la tarification des actes professionnels. La nomenclature des actes a été établie, la tarification est toujours en gestation, 10 ans après ?!

La seule tarification réglementée à ce jour n'est retrouvée que dans le cadre des conventions types conclues entre les organismes de sécurité sociale et les praticiens médicaux (système du tiers-payant) fixée par le décret 09-116 du 7 avril 2009. Cette tarification ne concerne que la consultation du généraliste fixée à 250 DA et celle du spécialiste à 450 DA.

Cette période est la plus «coupable» de la situation actuelle car elle était la plus propice à l'entame de réformes réelles :

- Le cadre juridique existait, avec un arsenal de textes allant de la constitution aux décrets

- Le contexte social était propice à l'application des réformes contenues et induites par les dispositions légales et réglementaires

- L'offre en soins en matière de structures était conséquente avec 283 hôpitaux publics (dont 14 CHU, 1 EHU, 5 EH, 68 EHS, 195 EPH), 7.022 structures de proximité (271 EPSP, 1.375 polycliniques, 5.376 salles de soins), 330 structures privées et 111 centres d'hémodialyse. Soit un global de 68.154 lits et donc un ratio de 1 lit pour 500 habitants, ce qui représente une couverture globale en lits très satisfaisante, bien que disparate entre les wilayates.

- L'offre en soins en matière de ressources humaines était également conséquente avec un total de 48.991 professionnels médicaux (522 professeurs, 183 docents, 2.658 maîtres-assistants, 13.132 spécialistes, 13.390 généralistes, 7.276 pharmaciens, 10.422 chirurgiens-dentistes, 1.408 parapublics dont 819 au niveau CNAS. Soit un ratio de 1 médecin pour 908 habitants

- La situation financière était idéale avec un budget multiplié par 4 entre 2000 et 2010 (fonctionnement et équipement) : 64,149 milliards de DA dont 20,54 de la CNAS en 2000 pour 233 milliards de DA dont 38 de la CNAS en 2010.

A suivre...