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Sucre... Ce si doux poison !

par M. A. Birem*

Les qualités sensorielles des aliments (surtout leur goût et leur arôme) sont de puissants déterminants de la consommation alimentaire. Elles peuvent orienter les choix alimentaires, stimuler la consommation, la décourager. Dans ce contexte, le goût sucré a une influence toute particulière qui est déjà marquée dès le départ. En effet, chez le nouveau-né, qui n’a encore jamais été nourri, une goutte de solution sucrée déposée sur la langue induit une mimique très caractéristique: plissement des yeux, décontraction du visage, extension de la langue qui parcourt les lèvres, et même parfois sourire.(1)

Ce réflexe gusto-facial est connu depuis plus de cent ans et a été bien décrit par Steiner dans les années 1970, puis par Matty Chiva (1985) qui a montré comment il contribue à la relation qui s’installe entre l’enfant et son entourage. Ce réflexe est universel, on le retrouve dans toutes les cultures et chez tous les enfants. En outre le nouveau-né humain préfère l’eau sucrée à l’eau pure. Ses préférences vont non seulement vers les glucides simples, mais encore vers ceux au goût le plus intense (saccharose, fructose) plutôt que vers des glucides simples moins sucrés (glucose, lactose). Récemment, les progrès de l’imagerie médicale ont même permis de montrer que dès le troisième trimestre de la grossesse, le fœtus, dont les récepteurs gustatifs sont fonctionnels, réagit à la présence de glucose dans le liquide amniotique de sa mère par une augmentation de la fréquence des déglutitions et même aussi parfois, par un sourire !

Le sucre : c’est quoi en fait ?

En chimie, le sucre est un hydrate de carbone, c’est-à-dire qu’il est composé d’atomes de carbone, d’atomes d’hydrogène, mais aussi d’atomes d’oxygène.

Il en existe plusieurs formes:

• Le glucose: il est présent dans les légumes.

• Le fructose: principalement présent dans les fruits.

• Le lactose: le sucre du lait.

• Le saccharose: c’est la forme de sucre avec laquelle on obtient le sucre blanc.

Ces sucres sont ce que l’on appelle des sucres «simples».

Les sucres «complexes» sont eux-mêmes construits à partir d’une multitude de sucres simples; ces sucres complexes sont présents dans les aliments et considérés comme des sucres «lents». Ce sont principalement les féculents et les produits céréaliers (pain, farine, pâtes, riz, pomme de terre, etc.). Les termes de «sucres lents et sucres rapides» ne devraient plus être employés car présentant trop d’ambiguïtés en terme de pics glycémiques et de réponses insuliniques.

Et pour cause, des aliments contenant comme principale source de glucides digestibles, de l’amidon, tels que la baguette de pain ou les pommes de terre (même cuites à l’eau), sont digérés très rapidement et font, à teneur égale de glucides, monter la glycémie presque autant que du glucose pur !!

Le sucre blanc: votre pire ennemi

Le sucre blanc ne tombe pas du ciel et ne pousse pas sur les arbres. On l’obtient par extraction du saccharose présent dans certains végétaux comme la betterave mais aussi la canne à sucre. Ce sucre extrait est ensuite raffiné par de lourds procédés chimiques dans le but de retirer toutes les fibres et tous les nutriments. C’est ce raffinage qui lui donne cette belle couleur blanche.

Son goût est très caractéristique. Il est facile à identifier dans un produit alimentaire. En outre, c’est un «masque sensoriel» puissant qui peut rendre impossible la perception d’autres caractéristiques gustatives des aliments.

Jadis notre apport en sucre était accompagné en fibres (quand on mange un fruit, par exemple), ce qui ralentissait sa consommation et son absorption dans le corps. Par comparaison, nous ne pourrions pas manger 10 oranges à la suite !!

Malheureusement, de nos jours toutes les occasions de consommer du sucre sont des occasions de consommer du sucre blanc raffiné qui n’a strictement aucun intérêt sur le plan nutritionnel: zéro fibres, zéro vitamines, zéro enzymes, zéro minéraux.

En plus, il va puiser dans nos précieuses réserves de vitamines, minéraux, enzymes pour sa métabolisation.

Quelques chiffres pour se faire une petite idée ?

• De 5 kg au 19e siècle, à plus de 35 kg de sucre/an/habitant de nos jours.

• Pour les Américains, c’est autour de 65 kg/an/habitant.

• Les ados boivent l’équivalent de 54 cuillères à café de sucre par jour, rien qu’en sodas. La limite maximum ne devrait pas dépasser 10 cuillères par jour.(2)

«Lorsqu’on entend parler de notre surconsommation de sucre, nous avons l’impression de ne pas être concernés car nous ne voyons pas physiquement le sucre que nous consommons. Le piège, c’est qu’il est caché et en plus, il est PARTOUT. Presque tous les produits transformés sont déjà préalablement sucrés, même des sauces, des soupes ou des plats industriels en contiennent».

Les conséquences d’une consommation de sucre blanc

Chez les adultes, l’apport de sucres simples représente entre un tiers et la moitié des apports glucidiques totaux.

La consommation de glucides simples diminue avec l’âge. Les apports sont plus élevés chez les enfants qui sont les plus vulnérables

Le sucre une drogue ?

De plus en plus de voix émergent pour considérer le sucre comme une drogue, avec les mêmes mécanismes d’addiction que la cocaïne.

A première vue, sa consommation excessive semble bien éloignée de la prise de cocaïne. Le sucre est lié au plaisir gustatif, la cocaïne, elle, n’a pas de goût, elle va directement se fixer sur les récepteurs du cerveau avec des effets psycho-analeptiques propres.

Le sucre peut néanmoins entraîner des «comportements addictifs» et il est assez courant de perdre le contrôle sur la quantité que nous mangeons lorsque nous avons besoin de nous consoler par exemple et la satisfaction est immédiate.

Les conclusions d’une étude avaient fait les gros titres de la presse médicale en janvier 2014 après qu’une équipe de l’université du Connecticut a mené une série d’expériences sur des rats. Les auteurs avaient alors constaté que les rats préféraient les célèbres biscuits bicolores «Oreo» à un shoot de morphine ou de cocaïne.(3)

UNE DROGUE… TRÈS LÉGALE

Il est actuellement interdit et illégal de donner de l’alcool à un enfant, de lui proposer une cigarette ou un rail de cocaïne. Pourtant, il est plus qu’accepté et admis d’inonder leurs produits alimentaires de sucre. Ce sucre qui aura les mêmes répercussions addictives qu’une drogue.

Dès l’enfance, les petits savent que «bonbon» ne rime pas avec «mauvais». Il est récompense ou réconfort. Ces significations lui seront définitivement associées.

Le goût sucré stimule le «centre de récompense» qui va sécréter de la dopamine et le plaisir est assurément au rendez-vous !

Le sucre et l’hypoglycémie post-prandiale:

Le mécanisme potentiel de cette réaction d’hypoglycémie est une décharge exagérée d’insuline induite par une charge alimentaire glucosée excessive. Elle pourrait avoir des conséquences sur la régulation de la prise alimentaire et sur l’adiposité.
En effet, il a été démontré des effets du sucre sur la «lipogenèse de novo» et la triglycéridémie chez l’homme. Après une charge de 10 mg/kg de sucre, la lipogenèse atteignait 30% alors qu’elle est de 1% à jeun. (Hellerstein et al, 1996).

En 2009, le Dr Robert Lustig a étudié le lien entre la consommation de sucre et de multiples morbidités. Il a identifié le sucre comme vecteur important dans l’épidémie des maladies dégénératives (plus de 35 millions de morts par an dans le monde, soit davantage que les maladies infectieuses).

Les données compilées par Lustig montrent comment la consommation excessive de sucre joue un rôle clé dans le développement de plusieurs types de cancer, l’obésité, le diabète de type II, l’hypertension et les maladies cardiaques.(4)

«L’un des principaux coupables d’une épidémie sanitaire mondiale, sans précédent demeure non surveillé».

Serait-il plus dangereux pour la santé que le tabac, l’alcool ou la cocaïne ? Ce n’est pas ainsi qu’il est perçu en tout cas et, contrairement aux deux autres substances, il est omniprésent dans notre alimentation.

«Le sucre provoque des maladies même sans rapport avec les calories ou le gain de poids. Il est devenu le facteur de risque primaire . Il y aura des gens de l’industrie alimentaire qui le nieront jusqu’au jour de leur mort, juste parce que leur gagne-pain en dépend».

Après les révélations sur le poids que l’industrie sucrière a fait peser sur la recherche scientifique pour incriminer le cholestérol, et dédouaner le sucre, voilà que deux chercheurs de l’université de Boston viennent de dresser la liste de 96 associations, sociétés savantes et autres organisations impliquées dans la santé publique – et non des moindres – qui ont reçu des financements en provenance des deux géants de l’agro-alimentaire que sont Coca-Cola et Pepsi-Cola. Sur ces 96 organisations, 63 sont des organismes de santé publique, 19 des sociétés médicales, 7 des fondations médicales, 5 des organisations gouvernementales. Le domaine d’intérêt de ces organisations n’est pas anodin puisque la liste contient deux organisations dans le diabète, l’American Diabetes Association et la Juvenile Diabetes Research Foundation.(5)

Comment le sucre influence le cerveau

L’explication de l’influence de la consommation de sucre sur l’humeur est assez simple. Quand il est consommé en excès, le pancréas s’affole et fournit trop d’insuline… et c’est: «l’hypoglycémie réactionnelle». C’est celle-ci qui va faire emballer une cascade de réactions, et nous allons voir comment.

Le sucre arrive à prendre le contrôle de notre cerveau !

Oui, le mot est lâché… prendre le contrôle de notre cerveau jusqu’à nous faire devenir quelqu’un d’autre. Quelqu’un de plus irritable, plus agressif et plus violent.

Et cela ne concerne pas seulement les cas rares que l’on retrouve à la page «Faits divers» des journaux: nous serions entre 25 et 30% à être concernés par cette prise de pouvoir !

Mais comment se déroule ce coup d’état intérieur ?

Pour comprendre l’attirance qu’exerce le sucre, il faut faire un petit voyage jusqu’à la base du cerveau. Il y a là un petit noyau bleuté que l’on appelle «locus coeruleus». S’il est bleuté, c’est qu’il contient du cuivre, nécessaire à la production de noradrénaline. C’est celle-ci qui va être sécrétée plus abondamment en cas de besoin pour produire un état de mise en alerte avec mobilisation des muscles, de l’oxygène (broncho dilatation), des carburants énergétiques (sucres et graisses) pour permettre des réponses concrètes aux dangers. La noradrénaline est en quelque sorte l’accélérateur de nos pulsions.

Mais comme dans toute bonne machine, pour calmer les ardeurs de l’accélérateur, il faut aussi un frein. Notre système de freinage est un neurotransmetteur que l’on appelle la sérotonine, qui a besoin de l’insuline pour être synthétisée.

Une grande partie de notre équilibre va reposer sur l’harmonie entre ces deux substances organiques.

Lorsqu’on consomme en abondance des glucides rapides, comme les boissons et aliments sucrés: le glucose monte rapidement dans le sang, faisant grimper l’insuline en proportion. Et environ deux heures plus tard, ce glucose redescend au-dessous de son niveau de base, et l’insuline aussi s’effondre (la sérotonine avec, bien sûr).

Le corps tente alors de remonter ce taux de sucre en stimulant aussi les surrénales qui vont produire en plus de l’adrénaline: l’épinéphrine et sa cousine la norépinéphrine. Ces deux hormones excitent encore plus le cerveau et le mettent en hyperactivité avec une production excessive de glutamate, qui est un neurotransmetteur excitateur.

A suivre...
*Médecin spécialiste en psychiatrie