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Dispenser une éducation-instruction promotrice de la liberté, de l'émancipation et du progrès

par Chaïb Aïssa-Khaled*

Pour jouer dans la cours des grands, l'Algérie doit considérer l'éducation et l'instruction comme étant les facteurs de libération, d'émancipation et de progrès. Celles-ci devront constituer une priorité de la nation, le centre même de ses préoccupations.

Cela dit, force est de constater que ce souci n'a pas été pris en compte vu que l'échec scolaire qui aurait pu être l'exception, s'est érigé au fil des années, sous l'égide des administrations centrales qui se sont succédé et de leurs relais départementaux, en normes. Ce beau monde, se contentant de faire dans des stratégies-tactiques élaborées et deux temps trois mouvements, mieux encore dans des leurres, excelle à s'inventer, tantôt idéaliste, tantôt prêcheur. En réalité, il fait semblant d'avoir l'accent de la sincérité et de mettre son nationalisme sourcilleux à nu. Il joue à avoir la conviction entêtée. Il s'évertue à doper ses mots pour se faire entendre. Son langage déroute dès le premier abord et les concepts souvent inattendus, parfois intempestifs, ne se laissent pas facilement domestiquer. Son geste en quête de contenance, cherche à aller plus loin comme pour s'affranchir des sens communs. Il ne cesse de s'ériger en défi. Il s'investit dans un renouvellement fastidieux d'attelages politico-administratifs en faisant la sourde oreille aux conséquences qui s'en décousent. Confondant le bien avec sa volonté, il s'amuse à tout effacer pour tout recommencer avec une dose supplémentaire de désinvolture. A ses yeux, la responsabilité n'est qu'une fantaisie, un artifice. Il se perd souvent dans sa pensée qui interroge certes mais qui ne s'interroge jamais. Son souci majeur est de se fossiliser dans la mission qui lui a été confiée. Dompter celle-ci est le benjamin de ses problèmes. L'échec national sur le plan du comportement et du réflexe citoyen, n'est en fait que l'expression de l'échec scolaire qu'il a par petites touches «traditionnalisé» au point de devenir une fatalité qui, flagellant les élèves et leurs parents, s'est fait l'écho de leur détresse et de leur désespoir. Avec l'air d'avoir l'air, il se dit agir pour que l'école algérienne ne demeure plus cette institution malfamée, sorte de son isolement et devienne celle avec laquelle il faut compter. Conclusion, l'échec de cette entreprise est on ne plus éloquent.

Il est cependant à constater que l'ère de la révolution civilisationnelle mondiale, marquée par les applications et les incidences multiples des technologies innovantes, est génératrice de défis systématiques de plus en plus complexes, pris en charge par des compétences dont les qualifications sont en adéquation avec les exigences de celle-ci.          Une école porteuse d'avenir est donc une nécessité impérieuse pour les peuples soucieux d'embrayer, sans complaisance, sur l'autonomie de leur développement durable. Organiser et planifier l'éducation et l'instruction, (la formation), de l'homme intégral* est une impérativité.

L'homme intégral est cet homme dépositaire de savoir-être que distille le capital cognitif comptabilisé, (savoir et savoir-faire). Il est cet homme qui se conjugue dans celui qui conçoit et celui qui applique. Il est celui qui est en mesure d'établir des correspondances entre ses expériences afin qu'elles aient de l'épaisseur. Il est celui qui adopte une position souple et fonctionnelle dans la gestion de ses préoccupations. Il est cet homme apte à s'ériger en rampe de lancement du développement durable, cette émanation du développement national autonome. Il est cet homme nanti de compétences générales et de qualifications spécialisées, de volonté et de sagesse. Il est cet homme qui saura établir entre lui et les choses de la vie une liaison aussi intime que possible.

Dans cette perspective, la finalité et la pertinence de la formation, (éducation et instruction), à entreprendre, devront indubitablement s'adapter aux exigences du relief civilisationnel mondial et promouvoir les configurations de l'environnement socioculturel qu'il sous-tend. Elle consiste à nantir l'esprit du savoir créatif de savoir-faire, cette culture de nécessité* qui lui assurera une souplesse et une fonctionnalité de mieux en mieux confirmées dans ses compétences générales et dans ses qualifications spécialisées.

*La culture de nécessité: c'est le capital de savoir créatif de savoir-faire et de savoir-être

L'amélioration de la condition culturelle d'un peuple, impliquant sa croissance civilisationnelle, l'objectif d'une école se voulant intelligente est de mettre l'homme et ses préoccupations, (ses ambitions, ses aspirations, ses besoins et ses contraintes), au centre des stratégies globales à adopter pour que s'accomplisse son «mieux-être». Elle lui apprendra à :

- développer un comportement intellectuel de mieux en mieux adapté aux situations de recherche-développement, en quête de vérités de mieux en mieux unies ;

- dompter ces vérités en quête de coefficients de confort de mieux en mieux pratiques ;

- conscientiser les intérêts que ces vérités animent pour les traduire en valeurs novatrices et réformatrices au profit d'un avenir commun aux hommes, de mieux en mieux accompli.

Elle lui assurera de la sorte les chances de souscrire, fort de potentialités significatives et utiles, au nouvel ordre civilisationnel mondial qui est en train de faire le sort des nations. Il est donc clair que cette école ne doit pas être ce privilège que s'accordent certains peuples et devenir par conséquent un modèle de civilisation mythifié. Elle ne peut, donc, demeurer inaccessible pour l'Algérie qui, faute d'une politique éducative et culturelle promotrice de cet homme intégral et qui refuse de cautionner l'illusion du savoir et d'entretenir ces points morts en chaîne qui ankylosent l'esprit, se contente d'une école refuge. Comment donc l'Algérie soucieuse d'accomplir son développement durable, pourrait-elle en enclencher le processus et en accélérer la cadence ?

Il lui suffit de prendre exemple sur les nations qui, aujourd'hui, s'affichent en tête du peloton parce qu'elles ont compris que le développement durable est non seulement possible et que son accomplissement est surtout indispensable et urgent et qu'il leur a fallu pour cela opter pour une école qui sera:

- érigée en un authentique moteur de réaménagement social. Elle formera le citoyen du monde. Elle assurera, pour ce faire, aux jeunes une orientation conforme à leurs profils psycho-intellectuel et psycho-mental par souci d'ajuster leur état d'équilibre à ses aspirations. Elle les incitera à réaliser une synergie entre leur épanouissement cognitif, psychologique, intellectuel et mental en apportant des réponses franches et novatrices à leurs interrogations;

- défaite de cette restriction culturelle que certains tentent de pérenniser;

- ouverte sur l'universel et en prise avec le sens nouveau de la vie auquel président la modernité et la démocratie pour que ses plans de formation, (éducation et instruction), soient hardis et ne génèrent cet intellectualisme contingenté et en total déphasage avec la révolution culturelle et scientifique qui anime le monde. Cette école qui, structurée dans une perspective d'ouverture sur le monde et rompant avec les querelles idéologiques et les dogmes, ne sera pas cet espace en rupture avec le complexe progrès-civilisation. Elle se gardera d'en faire un complexe mythifié. Elle produira la richesse et la puissance et non les malentendus. Elle a donc permis à ces nations de lutter contre cette insignifiance et ce confusionnisme qui empêchaient leurs systèmes technico-économico-culturels de prendre de l'essor et de gagner en envergure. Cette stratégie qu'elles avaient adoptée pour mettre leur avenir à l'abri du besoin, est animée par leur volonté de former l'homme intégral. Cette volonté se situant, bien entendu, au-delà du discours politique simplificateur et générateur d'utopie.

Il lui suffit donc, (à l'Algérie), d'admettre que le savoir occupe désormais une place inégalée dans l'évolution des rapports entre les nations et que la croissance civilisationnelle et la prospérité économique et sociale ne sont plus, et c'est une évidence établie, subordonnées à la possession des matières premières, fussent-elles des plus stratégiques. Il lui suffit aussi d'admettre que l'explosion vertigineuse des sciences et des technologies et l'accélération exponentielle de leur actualisation, ont permis l'émergence et la refondation continues d'une société de savoir et d'action.

Il lui suffit, en outre, d'admettre que le changement d'un paradigme pédagogique, quel qu'il soit, ne s'invente pas. Il doit se préparer et être protégé des fausses manœuvres, des illusions qu'il peut susciter et des désillusions qui peuvent s'en découdre. Il ne peut donc être engagé sous l'impulsion de modes ou de slogans populistes séducteurs. Il ne peut se confondre en une improvisation hâtive et devenir ainsi incapable de se soucier du degré de civilisation auquel elle aspire.

Il lui suffit, par conséquent, d'admettre que parmi les défis de l'avenir auxquels elle doit faire face, celui de l'éducation, de l'instruction, est le plus difficile et le plus complexe, mais aussi le plus chargé d'espérance et le plus passionnant à relever parce qu'il détermine à la fois l'avenir des générations futures, l'évolution et l'équilibre harmonieux de la société et le développement économique, scientifique et technologique de la cité.

En quête de performance, elle ne sera pas un consensus d'hallucinations. Elle exclura les impasses et s'ouvrira sur diverses issues par des voies latérales d'accès. Elle s'engagera à faire échec à l'échec scolaire et à former à des compétences générales et à des qualifications spécialisées.

Dans cette perspective, elle s'évertuera à investir l'esprit de cette mentalité scientifique, cette conjonction de la pensée rationnelle et de l'aptitude à l'autonomie intellectuelle, à la créativité et à la responsabilité indifférente aux fantaisies dans le choix de la décision.

Animée par le raisonnement logique et le jugement méthodique, la mentalité scientifique lui évitera, (à l'esprit), d'être en proie à la perte de rationalité, à l'équivoque, à l'incertitude et à l'incohérence dans sa démarche intellectuelle qu'elle soit spéculative ou conceptuelle parce qu'il saura explorer, prospecter, sélectionner, abstraire, concevoir, élaborer. Elle l'incitera par ailleurs à entretenir la culture de nécessité qu'il acquerra. Dès lors, il pourra affronter les situations-problèmes qui l'assiègeront par souci de les résoudre au profit du développement de la société au sein de laquelle il évolue et pour l'autonomie de laquelle il œuvrera.

Cependant, pour que cette performance soit continuellement soutenue, il importe que l'éducation à entreprendre et l'instruction à dispenser :

- soient continuellement interpelées au plan de la signification, de la finalité et de l'actualité des concepts qu'elles véhiculent ;

- ne se confinent plus dans le statut d'un apprentissage artificiel se limitant à un montage d'automatismes disparates et fugaces ;

- se conjuguent dans un enseignement qui interpellera la pensée et l'action pour leur signifier d'associer la compréhension des concepts et la maitrise de leurs utilités pratiques ;

- initient l'esprit à ne plus se laisser aller sur la pente d'une imagination féconde en subtilités superflues, à traduire les connaissances qu'il acquerra au moyen de processus de recréation en culture de nécessité et à s'élever des notions confuses vers les notions claires, des notions claires des notions distinctes, des notions distinctes vers des notions déterminées. (Au risque de me répéter).

Structurant la mentalité scientifique, l'éducation et l'instruction contribueront à l'accomplissement du «mieux-être» social escompté. S'associant, elles ne formeront pas cet esprit réduit à un vulgaire consommateur de civilisations sans pour autant faire l'effort de les produire, à un apôtre sans auditoire.      

Elles formeront, par contre, cet esprit capable d'acquérir un degré élevé en matière de compréhension, d'assimilation et d'exploitation des concepts et en mesure d'investir ses connaissances au profit de l'innovation innovante potentiellement utile pour la cité.

Il est donc clairement justifié que l'éducation et l'instruction ne peuvent qu'être tributaires l'une de l'autre. L'éducation favorisant la compréhension des concepts et suscitant le besoin de les dompter, elle fertilise le soubassement psycho-intellectuel nécessaire et utile à cet effet. L'instruction structure le capital cognitif indispensable à l'intégration des concepts dans la dynamique de leur épanouissement.

Se conjuguant l'une dans l'autre, elles «déghettoïseront» la disponibilité de l'esprit à mieux connaître pour connaître plus et permettront à son aptitude de créer, de s'affirmer. Désormais, les hommes nantis d'une bonne éducation et d'une bonne instruction, développeront et associeront leurs talents particuliers pour entretenir leur avenir commun.

Cependant, leurs pertinences, (celles de l'éducation et de l'instruction), se vigoriseront de mieux en mieux si est entretenu entre elles cet équilibre nécessaire à la structuration de la mentalité scientifique et à son développement dynamique et, corollairement, à l'entretien de la culture de nécessité. Cela suppose :

- d'une part que soient davantage explorées les voies d'un véritable professionnalisme tant des enseignants que celui des décideurs politiques et pédagogiques et celles d'une conviction intime des divers acteurs sociaux quant à la systématisation du débat sur les projets de réforme de l'école ou de redressement des divers enseignements afin qu'ils ne soient plus livrés aux injures de la banalité ;

- d'autre part, que les programmes d'étude soient élaborés dans cette optique et prioritarisent en tout un chacun le sentiment d'être utile. Les informations qu'ils véhiculeront ne pourront cependant être assimilées et convenablement associées au champ aperceptif de tout un chacun qu'au moyen d'une pédagogie qui, s'appropriant à la recherche scientifique, se situera au nœud de toute réforme que ces programmes d'étude auront à subir pour qu'ils se libèrent de cette seconde nature qui veut qu'ils véhiculent des savoirs tout faits et définitifs, des vérités froides et impersonnelles. L'objectif est qu'ils recouvrent leur mission originelle, encourager l'esprit à rechercher pour découvrir et l'inciter à se révéler à lui-même à travers ses opérations d'analyse et de synthèse, à travers ses capacités de raisonner logiquement et de juger avec méthode.

Subjuguant l'instinct de bien penser et le besoin de bien se dépenser intellectuellement pour réussir, l'éducation nantissant l'esprit du pouvoir de rechercher la vérité absolue en s'y approchant au moyen de vérités relatives successivement établies et l'instruction fécondant sa prédisposition à créer, elles l'inciteront à exister en lui apprenant à comparer, à discerner, à abroger, à agréger, à imaginer tout en s'armant d'une curiosité contentive de la réflexion par souci d'orienter ses investigations à des fins utiles.

Etant une exigence de la société post-industrielle parce que contribuant à la promotion de l'avenir commun aux hommes, l'éducation et l'instruction devront s'investir dans le développement de cet homme intégral, de cet homme bien formé.

L'école algérienne travaillera à réhabiliter l'éducation et l'instruction dans leur interdépendance, dans leur interdépendance et dans leur complémentarité en vue d'une formation bien accomplie. (Ce sera là le thème de notre prochaine étude)

*Ancien Directeur de l'éducation, ancien Professeur-Chercheur INRE